Contre toute attente, car au regard de nos positions pas si anciennes que cela, au regard de la place de l’égalité dans nos valeurs constitutives, on aurait pu s’attendre à ce que les militants, unanimement, fassent obstacle à cette mesure. On assiste au contraire à la décrédibilisation de la parole des militants qui y sont opposés.
Une inversion complète de nos repères et de nos valeurs
Pourquoi cette aphasie ? Parce que la majeure partie des militants socialistes est constituée d’élus, de collaborateurs d’élus et d’aspirants à être l’un ou l’autre.
Les auteurs de cette tribune n’y font pas exception : militants socialistes mais aussi salariés de parlementaires. La pérennité de notre contrat ne repose que sur la loyauté ; et c’est cette loyauté qui, entre autre, nous permet de payer nos loyers à la fin de chaque mois.
Nous nous sommes engagés dans cette voie professionnelle avec l’idée et la volonté de défendre les valeurs d’égalité, de liberté et de solidarité. Ces mots ne sont pas vains dans notre quotidien professionnel : ils représentent notre boussole. Aussi, nous ne pouvons nous résoudre à ce qu’un nombre significatif de parlementaires socialistes, sous le regard gourmand de la droite, s’accommodent d’une mesure qu’ils combattaient hier.
Nous faisons l’expérience traumatisante d’une inversion complète de nos repères et de nos valeurs, sans pouvoir exprimer haut et fort notre désaccord. Notre silence "public" n’exprime pas tant une crainte personnelle que le souci de mettre notre parlementaire dans l’embarras vis-à-vis de l’exécutif.
Une mesure inefficace dans la lutte contre le terrorisme
Pourtant, à ce jour, 21 fédérations départementales du PS ont d’ores et déjà pris position contre la constitutionnalisation de la déchéance de nationalité.
Parmi elles, le 15 janvier dernier, la fédération de Paris s’est explicitement prononcée contre, proposant, faute de mieux, l’indignité nationale ; certains de nos camarades et de nos élus n’ont pas manqué de disqualifier nos convictions en taxant nos arguments de "boboïtude parisienne" aveugle aux réalités de la France.
À ces camarades, on rappelle humblement et sans gloire que les Parisiens ont vécu au plus près la tragédie ; qu'ils connaissent tous – a minima – quelqu’un qui a perdu un proche. Ce n’est donc pas par irresponsabilité ou cécité que nous sommes opposés à la constitutionnalisation de la déchéance de nationalité.
Cette mesure, que tous s’accordent à reconnaître comme inefficace dans la lutte contre le terrorisme, n’a de symbolique que la ségrégation qu’elle opère entre mono et binationaux. L’argument, répété comme un mantra, que la déchéance de nationalité vise les terroristes et pas les binationaux, relève, à ce jour, de la fable.
Une réponse inappropriée aux attentats de 2015
Nous avons réalisé un tableau portant sur la nationalité des auteurs des attentats de 2015. Aucun d’eux n’auraient pu faire l’objet d’une déchéance à l’exception d’un Franco-belge !
Statuts administratifs des terroristes ou ayant été reconnus comme tels, car ayant commis les attentats de janvier et de novembre 2015
Chacun appliquera à ce tableau sa propre grille de lecture, mais, sans préjuger de la suite, personne ne peut plus dire que la déchéance étendue aux binationaux nés français est une réponse appropriée aux attentats de 2015.
Il semblerait que des compromis soient en cours de rédaction. Quelqu’en soit l’issue, on ne peut ignorer que réviser notre Constitution en la matière donnerait toute compétence au législateur – actuel et futur – de déchoir, en fonction de l’émotion du moment.
Dans toutes les hypothèses, y compris celle où la droite sénatoriale, majoritaire, envisagerait de jouer la surenchère constitutionnelle et la division, nous tenons à la disposition de nos camarades une note faisant la synthèse des arguments contre l’inscription de la déchéance de nationalité dans notre Constitution.