Le samedi 9 avril 2016 après-midi aura démontré jusqu'à la caricature les impasses dans lesquelles se trouvent la gauche et tout particulièrement les socialistes, près d'un an avant les élections présidentielles, et qu'il nous faudra dépasser, si nous voulons éviter tout à la fois le ridicule, le déshonneur et l'élimination.
Comme les autres membres des instances nationales du Parti Socialiste, je suis resté enfermé durant quelques heures au troisième sous-sol du 101, rue de l'université dans la salle Victor-Hugo où se réunissait le conseil national du PS. Pendant ce temps, dehors, dans le monde réel, des dizaines de milliers de salariés défilaient dans les rues de Paris et de 200 autres villes du pays pour exiger le retrait du projet de loi El Khomri. C'était pourtant parmi ces personnes que se trouvaient ceux qui ont fait la victoire de la gauche en 2012 et sans doute même de très nombreux électeurs de François Hollande dès le 1er tour. C'était à leurs côtés que nous aurions dû être...
La mobilisation sociale compense à ce stade par la détermination le nombre "attendu" par les impatients ou ceux qui veulent la dénigrer. N'oublions pas que la fatigue et les désillusions ont profondément pénétré notre société et le peuple de gauche : il est dur de dépasser la résignation lorsque les mobilisations sociales sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy qui ont préparé le terrain au retour de la gauche à l'Elysée se sont vues "récompensées" par les reniements récurrents de son successeur. Car à tout prendre, personne - même les plus sceptiques - n'auraient imaginé qu'une telle dérive de la "gauche" au pouvoir fut possible. Plus encore, personne n'aurait imaginé qu'un projet de loi de loi comme celui porté par Myriam El Khomri fut envisageable, surtout à un an des présidentielles alors que les erreurs des 4 années précédentes ont déjà largement érodé le crédit présidentiel, le périmètre et la solidité de sa majorité présidentielle que auraient été nécessaires pour un sujet aussi important (abstraction faite de l'orientation du projet).
Comme pour chaque projet majeur du quinquennat Hollande, excepté le "mariage pour tous", il y a sans doute un élément de sidération récurrent qui accompagne la surprise y compris chez ceux (rares) qui se réjouissent de ses contrepieds. Mais la Nuit Debout semble désormais démontrer qu'un cap est franchi ; au-delà du renouvellement des modes d'actions politiques (pour la France, car on peut y retrouver de manière plus modérée les échos des Indignados de la Puerta del Sol ou du mouvement Occupy aux USA), et sans tomber dans les élucubrations et la novlangue gauchistes de fin d'AG du mouv', cette initiative inédite marque une sorte de "convergence des luttes"... ou plutôt comme le disait spontanément aux journalistes un participants/spectateurs, il s'agit d'une agrégation des mécontentements à gauche, le "ras-le-bol dépasse largement la seule loi El Khomri".
Comme précédemment, le projet de loi prend au dépourvu ceux qui ont permis l'élection de François Hollande - et qui sont aujourd'hui dans la rue - et ses propres soutiens politiques. A aucun moment, le Parti Socialiste n'a été associé aux décisions du quinquennat. Effacé au point de savoir s'il y avait encore un parti et premier secrétaire avec Harlem Désir, c'est peut-être pire encore depuis deux ans avec Jean-Christophe Cambadélis qui multiplient moulinés et coups de menton pour un vide politique tout aussi important. Faisons le bilan, au-delà de la répétition des déroutes électorales, de l'action de Jean-Christophe Cambadélis : ce sont des coups politiques d'appareil... un "référendum" bidon sur l'unité de la gauche aux régionales, une injonction à annoncer son soutien à François Hollande, le running gag de l'Alliance Populaire qu'on lance tous les deux mois, mais surtout le gain d'un congrès fondé tout à la fois sur l'appel au légitimisme et le mensonge (un mensonge réussi car Martine Aubry et ses amis ont préféré être aveugles et sourds, et d'une certaine manière - même en quittant le secrétariat national du PS - continuent de l'être).
Car enfin, répondant à un ami, premier secrétaire fédéral méridional (motion A), en marge du conseil national, qui me reprochait de "pourrir" Camba sur les réseaux sociaux, je tenais à remettre les choses en place : "Dis mois Camba nous dit qu'il applique la motion A votée par les militants en créant l'Alliance Populaire, mais tu ne crois pas que pour réussir et nous sortir de la panade il aurait pu s'enorgueillir d'appliquer sa motion sur des sujets autrement plus cruciaux ? comme le budget 2016 - sur lequel il avait réuni en juillet 2015 une large majorité du BN pour ne rien en faire et capituler devant l'exécutif - ou comme le droit du travail... votre motion dit exactement le contraire du projet de loi El Khomri... tu ne crois pas que c'était plutôt là-dessus qu'on attendait qu'il applique sa motion ?"... "Si, bien sûr..."
pour une analyse de projet de loi El Khomri cliquer ici
J'aurais pu continuer et être désagréable en disant que nous avions atteint le déshonneur sur cette histoire de déchéance de nationalité, avec le ridicule de Cambadélis s'excusant de n'avoir pas réussi à convaincre la droite de voter le compromis de l'Assemblée Nationale qui inscrivait à la fois la déchéance de nationalité et la possibilté de l'apatridie dans la constitution de la République française... Pourtant le Premier secrétaire s'était lui-même dicté devant le BN (et sans lui demander son avis d'ailleurs) les conditions de la sortie de crise : ni stigmatisation des binationaux, ni apatridie... donc Camba s'excuse devant les Français de ne pas avoir convaincu la droite d'adopter une solution qu'il condamnait publiquement devant les socialistes...
Comment s'étonner dans ces conditions que le PS perde des milliers d'adhérents ? Oh, ce n'est pas de façon bruyante... Ceux qui partent ne renouvellent pas leur cotisation plutôt que de claquer la porte avec fracas. Des quelques 135.000 adhérents en capacité de voter au congrès de Poitiers en juin 2015, seuls quelques 75.000 avaient participé. Le résultat en est qu'à peine plus de 86.000 socialistes étaient à jour de cotisation fin 2015 (ils n'ont pas tous voté) et que près de 110.000 adhérents potentiels sont encore dans les fichiers actifs du PS. En un an, le PS a perdu une capacité de 25.000 adhérents et dans les mois qui viennent d'ici la présidentielle il peut encore en perdre autant. On est loin des centaines de milliers de personnes que Cambadélis "voient" s'engager dans la campagne présidentielle.
Comment tenir dans ces considérations ? comment supporter d'assister à un conseil national du PS alors que votre coeur et votre raison vous pousseraient à rejoindre les manifestants ? Comment supporter tout cela pendant qu'on joue la montre, pour éviter de voir des dizaines de membres des instances nationales quitter l'Assemblée Nationale pour partir entre République et Nation, en faisant une présentation hors sol et sans débat contradictoire de l'avant projet de loi Egalité-Citoyenneté ?
Il faut se dire que le sujet majeur de ce CN est suffisamment important pour que le vote qu'on vous demandera à la fin vous donne le coeur au ventre.
Le CN devait valider la participation théorique du PS à des primaires de la gauche et des écologistes. Les justifications en sont évidentes : avec la tripolisation de la vie politique, largement consécutive aux erreurs commises par François Hollande et ses gouvernements, le rassemblement est la seule manière pour la gauche d'assurer sa présence au second tour de l'élection présidentielle, seule la relégitimation par les débats avec les citoyens peut permettre à l'ensemble de la gauche de sortir de l'impasse dans laquelle ce quinquennat l'a plongée.
Cependant pendant plus de deux heures, jouant de l'évitement, du mépris et souvent de la condescendance, la direction du PS a tenté de fixer des conditions à ces primaires telles qu'elles ne pourraient jamais avoir lieu. L'essentiel se jouent d'ailleurs sur la capacité laissée aux socialistes de présenter plusieurs candidats. Qu'un seul socialiste puisse se présenter face aux représentants des partenaires et la compétition et le débat seraient déséqulibrés, que ce socialiste puisse être le seul président sortant et alors tous comprendraient le marché de dupe d'une opération de ré-adoubement artificiel qui ferait fi du de l'inventaire de son quinquennat.
Vous trouverez ci-joint le texte de la résolution du PS sur les primaires adopté en conseil national samedi à l'unanimité ; je l'ai votée tout en mesurant les difficultés qu'elle contient, car
il reste cependant d'énormes ambiguïtés souhaitées comme telles par la direction :
- - la pluralité des candidatures socialistes à cette primaire n'est pas encore acquise, elle dépendra avant tout de notre capacité à mettre la pression d'ici juin pour que la direction du parti n'impose qu'une seule candidature PS à la primaire de la gauche. Si tel était le cas et que le CN tranchait entre différentes candidatures pour imposer qu'il n'y en ait qu'une seule face aux candidats des partenaires de gauche, il y a fort à partir que seule celle de Hollande s'il souhaite être candidat aboutirait ce qui ferait avorter immédiatement la primaire tant sur le projet que sur les personnes ;
- - la direction du PS refuse qu'un cadre commun politique - ne serait-ce que minimum - soit défini, qu'il sorte ou non des débats citoyens qui doivent se tenir de la fin du printemps à l'automne. Ce n'est pas mon avis ni celui de l'aile gauche du PS qui souhaite que les débats citoyens soient pris en compte pour qu'on puisse faire le bilan du quinquennat et que les erreurs commises soient analysées et servent de leçons pour le programme à venir, et que les candidats à la primaire - en plus de soutenir le ou la gagnant(e) - s'engagent à défendre un nouveau rapport de la gauche au pouvoir et une nouvelle pratique des institutions (si ce n'est leur réforme profonde)...
- - enfin, nous avons un véritable problème à partir du moment où le PS a décidé lors d'un précédent CN de ne pas avoir de programme pour les présidentielles (donc pour les législatives). Si en plus il ne devait y avoir qu'un seul candidat PS autorisé à se présenter dans les primaires, cela signifierait que le PS lui signerait d'autant plus un chèque en blanc sur les propositions qu'il porterait...
À partir du moment où Hollande était le candidat du PS, du MRC et du PRG en 2012, que la majorité parlementaire qu'il contraint (plus que de recevoir son assentiment) est composée des mêmes, que des membres du PS soutiennent sa candidature on ne peut exclure celle-ci a priori sauf à exclure le PS en tant que tel du périmètre de la gauche et donc TOUS ses membres du périmètre. Je le redis le meilleur moyen de démontrer qu'il n'est plus dans le périmètre de la gauche c'est de démontrer que son bilan et sa ligne sont largement désavoués par le peuple de gauche dans une primaire de la gauche. Et moi je regarde ça tranquillement car je suis convaincu que nous pouvons le battre.
Nous pouvons encore obtenir des primaires réellement ouvertes à condition de mettre la pression dans le parti et sur la place publique... Je ne vous cache pas qu'en l'absence de primaires réellement ouvertes je considère que nous serions déliés de tout engagement et obligation vis-à-vis du candidat qui serait soutenu par la direction du parti. Ce candidat sera sans doute éliminé au soir du 1er tour, soldant ainsi le naufrage définitif d'un appareil hors-sol, mais le reste de la gauche - un PCF en perdition qui aura vu le Front de Gauche mourrir de ses contradictions, EELV qui n'en finit plus de se décomposer (seule action directe efficiente mais finalement pas souhaitable non plus de François Hollande) - sera lui aussi explosé et les conditions de la recomposition de la gauche pour l'avenir du pays seront gravement compromises.
A nous donc de faire le lien entre les mobilisations qui commencent pour que François Hollande comprenne enfin que la responsabilté commande qu'il s'écarte ou pour que grâce au rassemblement de la gauche, celle-ci se dote d'une plateforme commune et d'un(e) candidat(e) qui saura la faire sortir de l'ornière et permettra que l'avenir de la République ne soit pas hypothéquée.
Frédéric FARAVEL
résolution du CN du Parti socialiste adoptée à l'unanimité le 9 avril 2016 sur les primaires à gauche
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