Alexander Van der Bellen - nouveau président fédéral de l'Autriche - et Norbert Hofer, candidat du FPÖ
Le candidat centriste soutenu par les écologistes - Alexander Van der Bellen - remporte donc finalement l'élection présidentielle autrichienne. Avec quelques 50,3 % des voix contre 49,7 % à son adversaire d'extrême droite Norbert Hofer (FPÖ). L’écart entre les deux hommes serait d’un peu plus de 30 000 voix.
Guillaume Duval, rédacteur en chef d'Alternatives économiques, postait sur son profil facebook une allusion au "lâche soulagement", terme utilisé par Léon Blum au lendemain des accords de Münich en 1938 (dans un article d'ailleurs extrêmement critique sur ces accords malgré ce qu'en a retenu une mémoire collective défaillante), et l'illusion néfaste qu'il faudrait s'y laisser aller.
Le lâche soulagement ici n'a rien à voir avec la perspective d'une guerre qu'on craint mais dont on sait qu'elle viendra forcément et à laquelle il ne faudrait pas se dérober pour des raisons morales, politiques et historiques ; ici, il s'agit de se satisfaire du barrage très fins qui a empêché le FPÖ d'accéder à une fonction honorifique mais hautement symbolique, sans voir que les dégâts de cette campagne présidentielle autrichienne en annoncent d'autres bien plus graves et dévastateurs.
Jean-Yves Camus, politologue et spécialiste de l'extrême droite, me semble participer de cet aveuglement. Dans un entretien à l'Observateur, il voit dans la défaite de Hofer, l'expression d'un Front Républicain, la démonstration de l'incapacité du FPÖ à rassembler une majorité absolue de suffrages exprimés, une mauvaise nouvelle pour le FN car cela confirmerait que l'extrême droite ne peut arriver au pouvoir.
Face à cette analyse rassurante, il faut répondre par quelques arguments.
Une nouvelle étape dans la progression du FPÖ vers le pouvoir
“Nous avons gagné, de toute façon” disait avec joie Norbert Hofer dimanche, avant donc que les résultats soient connus. Car, pour le FPÖ, un échec à la présidentielle n’est en réalité qu’une demi-défaite.
A la différence de la France, l’élection présidentielle autrichienne n’est en effet pas un scrutin majeur, qui détermine l’orientation des politiques publiques pendant la durée du mandat du vainqueur. Même s’il dispose du pouvoir de destituer le gouvernement sans avoir à justifier sa décision, le rôle du président est surtout protocolaire, contrairement à celui du chancelier. L’Autriche étant un régime parlementaire, les différents partis devraient lancer toutes leurs forces dans la bataille des prochaines élections législatives, prévues en 2018.
Alexander Van der Bellen a remonté son handicap en mobilisant ses électeurs du premier tour, en amenant aux urnes 200.000 abstentionnistes et en réussissant à convaincre un tiers des électeurs d’Irmgard Griss ainsi que près de la moitié des électeurs du candidat conservateur. Il a réuni un électorat féminin (60% des femmes ont voté pour lui) et éduqué (76% de ses électeurs ont au moins le baccalauréat). Il a gagné dans les villes, son concurrent à la campagne. Mais le vote en sa faveur a plus été un vote de rejet qu’un vote d’adhésion. Selon les sondages sortis des urnes, 48% des électeurs d’Alexander Van der Bellen se sont d’abord prononcés contre Norbert Hofer.
C’est en cela que la défaite de Norbert Hofer s’apparente davantage à un contretemps qu’à un réel camouflet. Pendant la campagne, le candidat d’extrême droite avait en effet laissé entendre qu’en cas d’élection, il se tiendrait prêt à dissoudre le Parlement – une mesure jamais utilisée depuis 1930 – afin d’organiser des législatives anticipées. Norbert Hofer a déjà envisagé la suite après sa défaite : une nouvelle candidature dans six ans, et un soutien appuyé au chef de son parti, Heinz-Christian Strache, lors des prochaines législatives. Malgré cette déconvenue, le FPÖ compte bien capitaliser sur la dynamique créée pendant la campagne présidentielle pour l’emporter lors de ce scrutin.
L'Autriche est aujourd'hui gouvernée par un Chancelier social-démocrate, Christian Kern, ancien patron des chemins de fer autrichien, qui a remplacé en catastrophe le 17 mai dernier Werner Fayman (également SPÖ en poste depuis décembre 2008), démissionnaire après le premier tour de la présidentielle. Les deux ex-grands partis autrichiens, le SPÖ et l'ÖVP dirigent ensemble le pays depuis plus de 9 ans (janvier 2007) sous la direction des sociaux-démocrates. Le FPÖ, dont la participation au pouvoir avec Jörg Haider sous la chancellier du conservateur Wolfgang Schüssel entre 2000 et 2007 avait provoqué son explosion puis sa chute dans les sondages, a l'avantage d'être devenu une extrême droite tout à la fois banalisée et seule opposition formelle au SPÖ et à l'ÖVP dont les candidats respectifs ont subi une véritable déroute au premier tour de l'élection présidentielle avec moins de 12% des suffrages exprimés chacun.
Face à une coalition installée qui a effacée toute nuance entre droite et gauche, il y a donc de forte chance que le FPÖ et son populaire leader Heinz-Christian Strache fassent un carton aux élections législatives qui se font à la proportionnelle avec 43 circonscriptions législatives ; il est fort probable que ce parti soit le seul à être en mesure de réunir une coalition majoritaire autour de lui, car SPÖ et ÖVP n'auront sans doute plus les moyens de le faire ensemble. Or ÖVP et SPÖ ont chacun adoubé, à leur manière et à des niveaux différents, le FPÖ comme partenaire de coalition.
La faute des sociaux-démocrates autrichiens... et des sociaux-démocrates européens
En juin 2015, le SPÖ est en pleine crise politique : dans la région du Burgenland, une coalition les unit désormais au FPÖ. Ce choix sans précédent arrive après que le parti d’extrême droite a fait un bond électoral de 6 points, perdus symétriquement par les sociaux-démocrates dans ce qui était un de leurs bastions historiques (région rurale, plutôt pauvre, frontalière avec la Slovénie, la Slovaquie et la Hongrie). La campagne de 2015 s’est jouée quasi-uniquement sur la question des réfugiés. Les habitants ont été convaincus par le discours anti-immigration et «social» du FPÖ.
Malgré de houleux débats internes et le départ d’importantes personnalités du parti, Werner Faymann, alors chancelier et chef du SPÖ, a refusé de sanctionner cette décision, laissant aux responsables régionaux la liberté de leurs alliances, extrême droite comprise. Imaginez que le Nord/Pas-de-Calais/Picardie soit géré par une alliance PS-FN, c'est ce qui se passe en Burgenland. La seule sanction contre le parti social-démocrate autrichien du fait de cette alliance fut ... la suspension de cette région du groupe PSE au Comité des Régions européennes (CoR), un truc que personne ne connaît (avec tout le respect pour le gros travail de Matthieu Hornung ou Christophe Rouillon dans cette Assemblée).
Logiquement, le SPÖ fut incapable de se positionner au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle. Comment appeler à battre le FPÖ au second tour tout en étant allié avec ce parti à l’échelle régionale ? Il n'a pas appelé à voter Alexander van der Bellen au second tour. Les responsables du parti ont eu beau dire que « personnellement » ils voteraient pour lui, attitude qui a provoqué la colère de nombreux militants opposés à toute compromission avec l’extrême droite, notamment à Vienne.
Cette pantalonnade a renforcé les partisans d’une alliance avec le FPÖ au niveau national. Au lendemain de la démission de Faymann, un débat interne s’est ouvert autour de cette possibilité, si l’occasion se présentait en cas d’élections anticipées. Ce débat a fait planer pendant quelques jours la menace d’une implosion du parti, avant que le nouveau chef du parti et chancelier ne soit désigné en la personne de Christian Kern, syndicaliste opposé à toute alliance avec l’extrême droite. A l’époque de la conclusion de l'accord au Burgenland, une manifestation contre cette alliance jugée contre-nature avait rassemblé 400 personnes à Eisenstadt, la capitale du Land. Mais les mentalités semblent avoir évolué. Selon un jeune militant socialiste autrichien cité par Le Monde, une consultation interne a révélé que 39% des adhérents du SPÖ se disent désormais prêts à travailler avec l’extrême droite.
Par ailleurs, au-delà d'avoir entretenu une dilution du clivage gauche-droite, le SPÖ a versé comme le font certains en France dans une course à l'échalotte avec l'extrême droite. Le gouvernement Fayman est à l’origine de mesures contraires à ses valeurs. Dernier exemple en date : la très contestée loi « d’état d’urgence » migratoire, inspirée par la politique de Victor Orban en Hongrie. Celle-ci limite le nombre de réfugiés autorisés à rester en Autriche à 37.500 par an et permet à l’administration de refouler des demandeurs d’asile à la frontière s’ils ne sont pas persécutés dans le pays par lequel ils arrivent. La loi restreint le regroupement familial, limite l’attribution de l’asile à 3 ans pour les ressortissants syriens, irakiens et afghans, et rétablit la frontière du col de Brenner avec l’Italie ce qui est contraire aux règles de l’espace Schengen. Elle a été adoptée de concert par les socialistes et les conservateurs. L’extrême droite l’a rejetée parce qu’ils ne la trouvaient pas assez dure, les écologistes et les libéraux ont voté contre pour la raison inverse.
En résumé, une manœuvre politique qui consistait à doubler le FPÖ par la droite n’a généré aucun gain politique pour les socialistes, sans compter les conséquences désastreuses pour les réfugiés. Ironie de l’Histoire, elle a été adoptée le lendemain du premier tour de l’élection présidentielle, alors même que les deux partis qui la défendaient y ont rassemblé, ensemble, 22% des voix.
La loi migratoire est l’illustration extrême d’une coalition qui amène les sociaux-démocrates à la compromission la plus totale, sans aucun gain électoral. Les électeurs ont fini par mettre définitivement dans le même sac sociaux-démocrates et conservateurs, qu’ils voient comme les garants d’un même système.
L'attitude du PSE et des sociaux-démocrates européens dans cette affaire tient tout autant de la politique de l'autruche que d'une sorte de neutralité complice.
Le PSE continue de compter dans ses rangs Robert Fico, premier ministre slovaque, qui s'est à nouveau allié au niveau national avec l'équivalent local d'Aube Dorée. Le Président du PSE, le Bulgare Sergueï Stanishev - réélu au dernier congrès du PSE en juillet 2015 à Budapest avec 69% des voix des délégués face à .... aucun candidat (son seul challenger l'Espagnol Enrique Baron Crespo s'était retiré sous d'"amicales pressions") -, s'est allié avec un parti ultra nationaliste bulgare.
Le PS avait l'occasion de ruer dans les brancards au congrès de Budapest, et à un moment on pu croire que les délégués socialistes français y aurait mandat pour bousculer le congrès et créer un nouveau rapport de force, et que Les divisions au sein de la délégation SPD permettraient de bouger les lignes. Et d'ailleurs, ça commençait à bouger un peu, tellement ce congrès tournait au grotesque.
Mais finalement, les sociaux-démocrates scandinaves ont été lâches, allant chercher leurs ordres chez Martin Schulz, actuel président SPD du parlement européen et ancien candidat du PSE à la présidence de la Commission européenne, et celui-ci n'eut besoin que de laisser sous entendre que Jean-Christophe Cambadélis pourrait perdre sa vice-Presidence, s'il s'opposait à son complice Stanishev, pour que ce congrès s'achève sans débouché politique.
Ce congrès a démontré à l'extrême que le bateau PSE est vermoulu, pourri de l'intérieur, et que des partis nationaux aussi peu intéressés par un débat de politique européenne, centrés sur des intrigues d'influence minables et des agendas ultra-nationaux, avec des groupes d'activistes roumains ou bulgares amenés sur deniers européens pour faire la claque, un fonctionnement tellement peu démocratique que la présidente de séance anglaise elle même ne croyait pas à ce qu'elle faisait, bref, de tels partis méritent sans doute ce qui leur arrive. Le PSE n'est ni européen, ni fédéraliste. Il est opportuniste. Comme les sociaux-démocrates autrichiens, une fois alliés aux fachos, une fois bien soulagés de la victoire d'un Ecolo pour lequel ils n'ont d'ailleurs pas appelé à voter. Le jour où le PSE menacera d'exclure les députés SPÖ et SMER de son groupe, et virera Stanishev - et donc Schulz, qui ne domine le PSE que par ces combines de politicard rance - il prouvera vouloir entamer sa rédemption européenne.
Le prolongement d'une dynamique national-populiste en Europe
L’Europe a suivi de près le scrutin en Autriche. Et pour cause : l’arrivée de l’extrême droite à la présidence d’un pays de l’Union européenne aurait été une première depuis la seconde guerre mondiale. Même si l’Autriche a peu d’influence sur les institutions européennes, un effet boule de neige était redouté par Bruxelles. Les autres partis d’extrême droite, notamment le FN en France et l'AfD en Allemange, peuvent se référer au bon score de Norbert Hofer. C’est la concrétisation d'une réalité plus que jamais objective, qui offre les éléments d'une rhétorique fonctionnelle consistant à répéter "ce qui s'est produit en Autriche peut devenir réalité dans d'autres pays".
Par ailleurs, dans d’autres pays européens, une droite très conservatrice est déjà au pouvoir. En Pologne, le gouvernement du parti conservateur et eurosceptique Droit et Justice (PiS) a entrepris une série de réformes sur le contrôle des médias et de la justice qui inquiètent l’Union européenne. Des mesures similaires ont déjà été prises en Hongrie par le conservateur Viktor Orban, qui est allié localement aux néo-fascistes du Jobbik. Les deux pays refusent également d’accueillir des migrants, tout comme la Slovaquie et la République tchèque.
Au-delà de ces situations, le score du FPÖ renforce le mouvement «anti- système» dans l’Europe toute entière, de la Scandinavie à la Méditerranée – symboliquement, le jour d’un deuxième tour de la présidentielle en Autriche, un parti d’extrême droite a fait son entrée au parlement de Chypre. La courte victoire d’Alexander Van der Bellen montre que cette ascension de la droite extrême en Europe n’est pas irrésistible mais elle est insuffisante pour être célébrée comme un coup d’arrêt, surtout quand ceux qui devraient être ses principaux adversaires s'accomodent parfaitement de la situation.
Frédéric FARAVEL
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