Lundi 11 juin en fin de journée, le maire de Bezons et l'association Bezons-West Bani Zeid (qui anime les relations entre la commune de Bezons et une collectivité de Cisjordanie) inauguraient une plaque commémorative dénommant une allée de la Nakba.
Le texte sur la plaque était le suivant :
« ALLÉE DE LA NAKBA
En mémoire de l'expulsion des 800 000 Palestiniens et de la destructions des 532 villages en 1948 par le criminel de guerre David Ben Gourion pour la création de l’État d'Israël. » (cf. illustration plus bas)
Je le dis tout net, la faute principale de cette plaque est la qualification par les responsables de l'événement de David Ben Gourion comme « criminel de guerre ». Non seulement c'est impropre juridiquement et faut historiquement et en cela c'est un point que je condamne avec énergie. D'aucuns diront que la traduction en arabe en-dessous est de mauvais goût, mais là on aborde un terrain glissant.
Il n'en reste pas moins que la Nakba, rigoureusement décrite par les deux premières lignes de la plaque, est une véritable tragédie humaine qui mérite non seulement d'être prise en considération, mais également qu'on cesse de la mépriser ou de la nier d'une manière ou d'une autre – objectif de tous ceux qui cherchent à faire croire que rappeler son existence équivaut à la volonté de détruire l’État d'Israël, à de l'antisionisme qui serait ici le faux nez de l'antisémitisme. Elle ne se rapporte pas comme certains veulent le faire croire à l'existence de l'Etat d'Israël en soi (cf. deuxième illustration plus bas).
Ainsi, je ne comprends pas une partie de l'argumentation du Préfet du Val-d'Oise pour exiger (ce qu'il a obtenu) le retrait de la plaque : en effet, celle-ci serait « une prise de position rompant ainsi avec le principe de neutralité républicaine dans le domaine international, domaine réservé à l’État en vertu des articles 52 et suivants de la Constitution, seul apte à à déterminer et s’exprime en matière de politique étrangère de la France. » ; par ailleurs, l’initiative serait « étrangère à tout intérêt communal […] et donc ne relève pas de [la] compétence de maire ». Est-il donc du domaine réservé de l’État de considérer qu'un fait historique avéré n'aurait pas le droit d'être dit ? En fait, il s'agit là de dire qu'on n'a pas le droit d'en parler parce que cela gêne un État tiers... De même, que vient faire l'intérêt communal pour dénommer des places : n'y a-t-il pas des places Mandela, des monuments aux rapatriés d'Algérie ou même une Place des Martyrs Assyro-Chaldéens (à Sarcelles, devant la cathédrale assyro-chaldéenne) ? Les deux arguments s'effondrent quand on dresse la liste des monuments en mémoire du génocide arménien ce qui a pourtant le luxe de déplaire au gouvernement turc (https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_de_m%C3%A9moriaux_du_g%C3%A9nocide_arm%C3%A9nien).
Le seule argument valable du Préfet – au regard du conflit en cours et de l'incapacité avérée d'aborder ce dossier avec calme et raison – c'était la menace de trouble à l'ordre public (renforcée il est vrai par la provocation inutile et détestable sur Ben Gourion). On peut dire que malgré le retrait de la plaque les faits lui ont donné raison (certains diront que cela a même légitimé dans leurs têtes les auteurs des débordements qui ont suivi), ce qui dit plus d'un malaise français sur ce sujet que cela n'engage selon moi la responsabilité du maire de Bezons et de son équipe.
Les premières attaques sont venues – on pouvait s'y attendre – du CRIF, passé maître dans son rôle depuis une vingtaine d'année de relais des positions des gouvernements israéliens les plus droitiers, de divers groupes de la droite nationaliste et de l'extrême droite israélienne et de leur relais en France, ou encore une ancienne conseillère régionale ex socialiste – signataire du manifeste « contre un nouvel antisémitisme » qui réussit à mettre mal à l'aise plus d'un militant antiraciste : elle écrit sur facebook que « le maire pense qu’il est important d’épouser les haines communautaristes et antisémites pour assurer son pouvoir. Alors en toute irresponsabilité, il importe le conflit israelo-palestinien sur un territoire fragile, où le niveau socio-culturel est aussi bas que le niveau de violence est élevé. »
C'est insultant pour les Bezonnais et j'apprends que j'apprends que mes voisins ont un niveau socio-culturel bas et qu'ils sont violents... Belle généralisation, belle insulte collective. Donc parler de la Nakba serait en soi « épouser les haines communautaristes et antisémites ». Je me permets de lui poser la question : quand Shlomo Sand, historien israélien reconnu, rappelle la réalité de la Nakba dans son ouvrage Comment la terre d'Israël fut inventée que l'université de Tel Aviv est construite sur le village d'Al Sheikh Muwannis envahi en 1948, vidé de ses habitants puis rasé, épouse-t-il les haines communautaristes et antisémites ? Quand il explique à juste titre, lui qui se revendique Israélien, dans son ouvrage Comment j'ai cessé d'être juif que le principal problème de l’État d'Israël c'est son incapacité à imaginer une identité et une citoyenneté proprement israélienne déconnectées de la religion et de la mythologie ethnico-religieuse (à ce titre, j'ai dû écrire voici quelques années un papier sur les différents moments ratés par Israël pour engager un véritable débat sur la Laïcité et que son instrumentalisation temporaire à des fins électorales par Ehud Barak nous avait fait reculer pour plusieurs dizaines d'années), Shlomo Sand épouse-t-il les haines communautaristes et antisémites ? Quand dans son ouvrage Comment le peuple juif fut inventé il déconstruit une immense partie de la mythologie sioniste (dont sont issues une bonne partie des problèmes intrinsèques de la société israélienne), épouse-t-il les haines communautaristes et antisémites ?
Quand on essaie d'aborder les problèmes posés à une société donnée, à une situation géopolitique particulière, il arrive forcément un moment où l'on est confronté à une forme de déconstruction des fictions (nécessaires) et des mythologies sur lesquelles cette société est fondée, toute société est fondée sur des fictions et des mythes. Dire cela à propos d'Israël et des conditions de son indépendance fait-il de moi ou de plein d'autres un antisémite, un anti-sioniste, quelqu'un qui veut détruire l’État d'Israël ou lui dénie le droit d'exister. Vu le nombre de fois où je me suis fait traiter de suppôt de l’État d'Israël, comptant Yitzhak Rabbin parmi mes « idoles », je me permets d'en douter.
À ce stade de la démonstration, je me permettrait d'ajouter pour mettre un terme à quelques raccourcis : quand une partie de la communauté juive ultra-orthodoxe (ce qui représente au bas mot quelques dizaines de milliers de personnes) manifeste pour dénoncer le sionisme et l'existence de l’État d'Israël (pour des raisons d'interprétation religieuse), ils sont évidemment antisionistes, mais sont-ils antisémites ?
Pour finir, je connais un peu Dominique Lesparre et la situation politique à Bezons. Lui-même et son équipe municipale ont toujours défendu l'existence des deux Etats dans les frontières de 1967. Il n'a pas besoin de flatter le communautarisme dans sa commune pour être populaire et être régulièrement réélus et avoir des scores flatteurs à d'autres élections que les municipales, un examen un peu sérieux de son électorat démontrerait que cela ne lui est pas utile. Il est simplement convaincu qu'il défend une cause juste – elle l'est – celle du peuple palestinien ; il manque sans doute parfois de retenue, le dérapage sur Ben Gourion le démontre, mais c'est une cause qui lui tient à cœur depuis des années et qui ne doit rien à une démarche électoraliste.
Malheureusement, on en serait resté au CRIF ou à l'ex conseillère régionale ex socialiste, ce ne serait pas si grave. Pendant une semaine, l'équipe municipale, les agents municipaux ont reçu des lettres, des appels téléphoniques d'injures, d'insultes, de manière insistante, répétée, organisée, puis des menaces de mort, répétées, insistantes, organisées, jusqu'à ce que finalement jeudi dernier on atteigne le climax avec une alerte à la bombe... Il y a bien des candidats à ce type de manœuvres écœurantes et inacceptables : le Betar, la Ligue de défense juive (LDJ), tout ce que compte comme relais en France les soutiens des partis d'extrême droite israéliens. Quand on pense que la LDJ est toujours autorisée en France alors qu'elle est interdite comme organisation terroriste aux États-Unis et en Israël...
Bien sûr, pas de condamnation affichée sur les réseaux sociaux, aucune réaction de la part de l'ex conseillère régionale, je n'ai pas vu non plus de communication publique du Préfet pour dénoncer les menaces, les insultes qu'on subit les élus et le personnel municipal, des agents de la fonction publique, et de leurs enfants (puisque les menaces sont aussi adressées aux enfants dont les nervis de l'extrême droite israélienne disent qu'ils les retrouveront). Pourtant, quoi que l'on puisse reprocher aux élus, ils ne peuvent être tenus responsables de tels débordements qui ne peuvent en aucun cas recevoir une quelconque justification. Ils sont proprement inacceptables et la Ville de Bezons, ses élus et ses agents mériteraient qu'on leur témoigne un minimum de solidarité face aux agressions qu'ils ont subi. Ces actes sont intolérables : l’État, les élus, les partis politiques devraient l'exprimer. Ce que je fais ici.
Pour ma part, sur ce sujet comme sur d'autres, je continuerai d'essayer d'aborder les débats sous l'angle de la raison.
Frédéric FARAVEL