La chancelière allemande Angela Merkel et Annegret Kramp-Karrenbauer lors du congrès de la CDU où la première a cédé la présidence du parti à la seconde
L'Assemblée Nationale a voté le 11 mars une résolution relative à la coopération parlementaire franco-allemande : cette résolution valide l'accord parlementaire franco-allemand du 8 octobre 2018 et la résolution commune de l'Assemblée nationale et du Bundestag du 22 janvier 2018 (55e anniversaire du Traité de l'Elysée) et institue une Assemblée parlementaire franco-allemande. Cette nouvelle institution serait donc compétente pour suivre les activités du conseil des ministres franco-allemand et du conseil franco-allemand de sécurité. Elle pourra aussi suivre les sujets présentant un intérêt commun pour les deux pays – y compris en matière de politique étrangère, de sécurité et de défense –, et formuler des propositions.
Le Bundestag devrait se prononcer « dans la semaine du 18 mars » dans le même sens avec en perspective la première réunion de l'assemblée franco-allemande le 25 mars 2019.
Ces déclarations et résolutions avant tout symboliques s'inscrivent en cohérence avec la signature du Traité d'Aix-la-Chapelle le 22 janvier 2019, qui crée le conseil des ministres franco-allemand et le conseil franco-allemand de sécurité.
Or non seulement cette résolution de l'Assemblée Nationale intervient dans un temps où les dirigeants allemands affichent un mépris et une condescendance appuyés à l'égard des institutions et de l'exécutif français, mais en plus – si l'on doit prendre au pied de la lettre les missions que se donneraient cette assemblée binationale – elle ignore des considérations juridiques et constitutionnelles pourtant importantes.
Du traité d'Aix-la-Chapelle à la disruption politicienne européenne d'Emmanuel Macron
Je ne reviendrai pas ici sur les critiques solides faites à l'endroit du Traité d'Aix-la-Chapelle. Pour résumer, la France y a concédé de nombreuses options à l'Allemagne, notamment en matière de diplomatie et de défense, sans que l'Allemagne ne le fasse sur quoi que ce soit. Au-delà des considérations générales sur le contenu du traité, celui-ci vient confirmer la nature déséquilibrée de la relation politique entre la France et l'Allemagne au profit de cette dernière.
Or le 5 mars dernier, Emmanuel Macron s'est institué comme une sorte de directeur de campagne du parti présidentiel et de ses alliés libéraux de l'ALDE pour les élections européennes. Cette descente dans l'arène électorale à l'échelle nationale et européenne était en soi une erreur majeure mettant à mal sa fonction de Président de la République française ; elle l'a par ailleurs particulièrement exposé à un risque d'échec politique, qui ne peut qu'affaiblir l’État français à cause de la confusion qu'il a ainsi générée entre sa fonction présidentielle et sa « disruption politicienne ».
Et de fait, cette lettre adressée aux Européens en 26 langues plutôt qu'aux chefs d’État et de gouvernement qui étaient ses interlocuteurs institutionnels l'a engagée sur la voie de l'échec : la plupart du temps ignorée dans la majorité des États membres, là où elle a été prise en considération c'est pour être critiquée assez vertement par les alliés (gouvernements, organes de presse, partis politiques) des conservateurs au pouvoir dans la République fédérale,ou moquée par des membres de la Commission européenne. Le seul soutien ostensible d'Emmanuel Macron venant « étrangement » du Premier ministre hongrois, Viktor Orbán, au moment même où celui-ci est en grande délicatesse avec le PPE (non pour sa politique contraire aux libertés publiques, mais pour avoir mis en cause le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, membre du PPE, sur la politique migratoire européenne).
La sèche réponse allemande au « directeur de campagne » de LREM et de l'ALDE
Alors que la Chancelière Angela Merkel avait mis près de 8 mois à répondre au discours d'Emmanuel Macron à La Sorbonne en septembre 2017, élections européennes obligent, la réponse allemande à la lettre de Macron ne s'est cette fois-ci pas fait attendre. Par la voix de la Présidente de la CDU (Annegret Kramp-Karenbauer – dit AKK), qui a succédé à la tête du parti conservateur allemand à Angela Merkel (et qui logiquement devrait lui succéder à la Chancellerie, dans les mois à venir), les dirigeants allemands lui ont envoyé le 9 mars une fin de non-recevoir particulièrement sèche.
Suppression du siège du Parlement européen à Strasbourg, remplacement du siège permanent de la France au conseil de sécurité par un siège pour l'Union européenne (proposition déjà émise par Olaf Scholz, ministre fédéral SPD en charge des finances, ce qui démontre la convergence des responsables allemands face à la France, malgré les nuances qui restent entre la CDU et un SPD particulièrement Macron-compatible) : la lettre d'AKK publiée en 6 langues sur le site internet de la CDU sonne comme un camouflet à l'endroit des intérêts diplomatique de la France. Elle dénonce également toute tentation d'une « européanisation des systèmes de protection sociale et du salaire minimum », interprétation extensive des évanescentes et inopérantes propositions épistolaires macroniennes sur le « bouclier social » et le « salaire minimum européen adapté à chaque pays » (ce qui revenait à dire pas de SMIC européen du tout). Par anticipation, elle exprime également un refus catégorique de toute « communautarisation des dettes » ; ce refus d'une proposition qui n'était même pas dans la lettre d'Emmanuel Macron a cependant particulièrement courroucé la ministre déléguée aux affaires européennes Nathalie Loiseau – sa colère traduit beaucoup plus l'impuissance des élites françaises devant leurs idoles allemandes, alors même qu'elles n'assument pas ouvertement leurs positions.
Angela Merkel s'est immédiatement précipitée, évidemment avec plus de précautions oratoires, pour apporter son soutien à la réponse d'AKK, lors d'une conférence de presse avec le Premier ministre letton. Il convient d'insister sur ce point vis-à-vis de tous ceux qui cherchent à relativiser la portée de la réponse allemande du fait du statut politique supposé inférieur d'AKK.
Une résolution française à contretemps
Il est donc étonnant que le très macroniste président de l'Assemblée Nationale, Richard Ferrand, ce soit à ce point empressé de faire voter la résolution validant la création de l'Assemblée parlementaire franco-allemande, alors que l'exécutif français et son camp politique étaient à ce point tancés par les partenaires allemands.
Notons que le président du Bundestag Wolfgang Schaüble (ancien ministre de l'intérieur puis de l'économie) ne montre pas le même empressement que son homologue français pour la mise en place de cette nouvelle assemblée : les seules sources indiquant que la résolution allemande équivalente serait votée la semaine prochaine sont françaises et Monsieur Schaüble ne s'est publiquement plus jamais exprimé sur ce dossier depuis novembre 2018 – il ne l'évoque même pas dans l'entretien (pourtant fort diplomatique) qu'il a donné le 4 mars dernier à Ouest France et aux journaux du FunkeMedien Gruppe.
Ainsi l'accélération de la création de cette assemblée binationale intervient dans un parfait contretemps : une fois de plus la relation franco-allemande semble à sens unique, les yeux de Chimène des dirigeants français à l'égard de la République fédérale allemande ne font face qu'à des regards d'acier des gouvernants allemands jaloux de leurs prérogatives et avant tout soucieux des intérêts souverain de leur État.
L'angle mort constitutionnel d'Aix-la-Chapelle et de l'assemblée binationale
Peu de commentateurs l'ont noté, mais le traité d'Aix-la-Chapelle, dont on peine d'ailleurs à connaître le calendrier de ratification, comme les résolutions (adoptées ou annoncées) pour la création de l'assemblée binationale méconnaissent totalement une donnée importante de la constitution française.
En effet, si en Allemagne c'est bel et bien le Bundestag qui détient pleinement les prérogatives parlementaires (seule une partie des lois fédérales doivent recevoir l'aval du Bundesrat, où siègent les représentants des Länder ; cette part est passée de 60 à 35% lors de la révision constitutionnelle de 2006 qui a élargi les compétences des Länder), le Parlement français est composée à égalité de l'Assemblée nationale et du Sénat. Or ce dernier a été totalement écarté des discussions préalables à l'élaboration du traité d'Aix-la-Chapelle et l'accord parlementaire franco-allemand, puis la création de l'assemblée binationale, l'ignore complètement. En l'état, la partie française de l'assemblée binationale ne peut donc prétendre représenter le Parlement français.
Plus grave : si cette assemblée a pour vocation de suivre (contrôler ?) les activités du conseil des ministres franco-allemand et du conseil franco-allemand de sécurité et les sujets présentant un intérêt commun pour les deux pays – y compris en matière de politique étrangère, de sécurité et de défense –, et formuler des propositions, elle empêche donc la Haute Assemblée française d'exercer sa mission de contrôle du gouvernement qui lui est conférée par la constitution de 1958.
Enfin, le traité et la future assemblée binationale méconnaissent également le fonctionnement des institutions allemandes. En effet, le rôle du Tribunal Constitutionnel Fédéral de Karlsruhe dans l'équilibre de la loi fondamentale allemande lui donne des prérogatives bien supérieures à celle des institutions similaires dans les États européens.
La Cour de Karlsruhe ne se contente donc pas d'émettre des avis sur la compatibilité des traités signés par la République fédérale avec sa loi fondamentale, mais elle apporte régulièrement dans ses attendus de nombreuses considérations d’une portée plus générale, parfois même d’ordre doctrinal – en particulier sur l’évolution et l’essence même de l’UE, sur les fondements de la démocratie et les modèles de leur mise en œuvre, sur l’identité constitutionnelle, ainsi que sur d’hypothétiques constellations de conflits d’intérêts entre la progression de l’intégration communautaire et le droit constitutionnel allemand. Ce qui a été vrai pour de précédents traités européens l'est également pour un traité bilatéral.
Or si le conseil des ministres franco-allemand est amené à suggérer des législations communes, si de la même manière l'assemblée parlementaire franco-allemande est amenée à examiner les propositions du conseil des ministres, les uns et les autres seront d'une manière évidente soumis aux arbitrages et aux prérogatives du Tribunal Constitutionnel Fédéral, non seulement sur la forme mais également sur le fond (ce que ne pourrait faire de manière équivalente le conseil constitutionnel français). Sans vouloir forcer le trait « souverainiste », cela reviendrait à soumettre les représentants de la souveraineté populaire française à une institution d'un pays tiers qui n'a pas de légitimité au regard du peuple français.
Frédéric Faravel