En échec sur sa réforme des institutions, Emmanuel Macron a entrepris de passer en force sur celle de la fonction publique (FP), baptisée en la circonstance « transformation ». Le projet de loi (PjL) que vient d’adopter, le 27 mars, le conseil des ministres n’est pourtant que l’aboutissement provisoire d’une démarche particulièrement chaotique.
Les difficultés rencontrées par le gouvernement depuis un an l’ont contraint à réduire ses ambitions. Mais s’il proclame ne pas vouloir supprimer le statut général des fonctionnaires, son projet le dénature gravement en prévoyant, notamment, un recrutement massif de contractuels, des plans de départs volontaires de fonctionnaires, des ruptures conventionnelles dans des conditions incertaines, la mise en cause du dialogue social réel (tout en revendiquant une mise en avant de la négociation collective lorsqu'elle pourrait permettre une atteinte au « principe de faveur ») et la rémunération dite « au mérite ». Tout cela en cohérence avec une logique de suppression annoncée de 120 000 postes de fonctionnaires, alors même que de l'aveu d'une bonne partie des cadres des fonctions publiques d’État et hospitalière que ces services « sont à l'os », et dans une situation de grande confusion en matière de décentralisation consécutive aux réformes initiées durant le quinquennat de François Hollande. De plus, un projet de fin de l'équité des rémunérations entre Fonctions publiques, au détriment des fonctionnaires territoriaux est sur la table depuis l'été 2017.
Ce contexte et l'absence de réalité du dialogue social lors de l'élaboration de ce projet de loi ont conduit l'ensemble des représentants des salariés à rejeter celui-ci avant sa présentation en conseil des ministres ; la position des employeurs territoriaux est plus qu'ambivalente. En définitive, le texte n'est soutenu que du bout des lèvres par des associations professionnelles « managériales » au sein de la Fonction publique – et encore, l'association des DRH des grandes collectivités territoriales estime que le travail est inachevé (pas dans notre sens) et qu'elle manque sa cible sur la santé, les conditions de travail, la formation, le texte n'étant selon cette association qu'un prétexte pour favoriser les suppressions de postes.
À ces logiques, nous devons opposer :
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une défense du statut qui garantit la continuité, l'effectivité et la neutralité du service public ;
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une réelle mise en œuvre du dialogue social tant au niveau des cadres nationaux que sur le terrain, en associant les représentants des salariés à la définition des stratégies et des conditions de travail en général ;
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une réelle moralisation de la Haute Fonction Publique au sein de laquelle les conflits d'intérêts au profit du privé vont croissant ;
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une revalorisation de l'image, des métiers et des rémunérations ;
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un maintien de l'équité salariale entre les 3 FP (interdire la décorrélation du point d'indice de la Fonction publique territoriale - FPT - de celui des Fonctions publique d'Etat et hospitalière - FPE et FPH) ;
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enfin, un véritable chantier en vue d'une gestion prévisionnelle des effectifs et des compétences (GPEC) à long terme.
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Examen des principaux articles - ou plutôt des plus problématiques
Article 1er
L'objet de cet article est de poser les bases juridiques pour retirer un certain nombre de compétences aux instances de dialogue social au sein de la FP, notamment les commissions administratives paritaires (CAP). Cependant en réécrivant l'alinéa 1er de l'article 9 de la loi du 13 juillet 1983, il introduit une notion utile qui permet théoriquement d'associer les délégués des fonctionnaires « à la définition des orientations en matière de politique de ressources humaines », ce qui irait dans le sens d'une future GPEC.
Cependant la portée réelle de l'amendement au sens du gouvernement apparaît dans les derniers mots, puisqu'il renvoie à un décret en Conseil d’État soit « l'examen de décisions individuelles » soit l'ensemble des compétences des organes consultatifs, donc limite la portée des dossiers examinés dans ces instances sans que la représentation nationale puisse en dire un mot.
Article 2
Cet article prévoit une nouvelle faculté de saisine du seul Conseil commun de la fonction publique (CCFP) sur les projets de textes comportant des dispositions communes à au moins deux versants et comprenant, également, des dispositions spécifiques à un seul versant présentant un lien avec ces dispositions communes : cela oblige donc à la consultation du seul CCFP pour tout projet de loi, ordonnance ou décret sur la quasi totalité des sujets concernant la fonction publique et impuissante les conseils supérieurs de chacune des fonctions publiques. D’autre part, il modifie la composition du collège des employeurs territoriaux du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (ce qui ne pose pas de problèmes particuliers).
Article 3
Cet article crée le comité social d’administration, territorial ou d’établissement, issu de la fusion des comités techniques (CT) et des comités d’hygiène, de sécurité et de conditions de travail (CHSCT) actuels.
Ce serait comme lors des réformes du code du travail conduites sous Hollande et Macron porter atteinte à l'expertise acquise par les représentants des salariés dans les CHSCT, les importantes questions d'hygiène, de sécurité et de condition de travail ne seraient plus qu'examiner dans des réunions fourre-tout où il serait impossible d'examiner au fond des sujets à la fois complexe et essentiels à la vie des travailleurs.
Article 4
L'article opère le fameux recentrage des attributions de ces CAP en supprimant l’avis préalable de cette instance respectivement sur les questions liées aux mutations et aux mobilités dans la FPE (pourquoi pas) et sur les questions liées à l’avancement et la promotion dans les trois versants de la fonction publique ce qui est bien plus gênant. En contrepartie de cette évolution, l’article prévoit d’une part la possibilité pour un agent de se faire accompagner par un représentant syndical désigné par une organisation syndicale représentative de son choix pour l’assister dans l’exercice de recours administratifs contre des décisions individuelles défavorables dans ces matières (mesure positive que je suggère de conserver).
Il procède ensuite à l’harmonisation de leur architecture en les instituant par catégories (et non plus par corps) dans la fonction publique de l’État. Il met fin, ensuite, aux groupes hiérarchiques dans les fonctions publiques territoriale et hospitalière en permettant que les fonctionnaires d’une catégorie puissent, sans distinction de corps, de cadres d’emplois, d’emploi et de grade, se prononcer sur la situation individuelle (y compris en matière disciplinaire) des fonctionnaires relevant de la même catégorie – ce qui ne me pose pas problème puisqu'il permet à des fonctions de grades inférieurs à celui de l'agent examiné de participer.
Les dispositions dangereuses sont les suivantes : il retire aux CAP les avis en matière d'avancement, or les CAP sont et resteront les instances les plus proches du terrain et donc les plus aptes pour juger de la pertinence et la cohérence de la mise en œuvre des politiques d'avancement. Il me paraît nécessaire de réintroduire certaines compétences ou nécessité d'information des CAP qui étaient précisées à l'article 30 de la loi du 26 janvier 1984, concernant l'avancement, les effectifs et certaines mesures disciplinaires ; de réintroduire l'avis des CAP des collectivités territoriales sur les réintégrations empêchées d'agents, sur les transferts de plein droit d'agent dont le service et transféré, sur la répartition d'agents dans les collectivités d'un syndicat ou d'un EPCI dissous, etc. ; enfin de rétablir l'avis et le recours à la CAP sur les litiges en matière d'accord pour temps partiel, de démission et sur l'établissement des listes d'aptitude.
Article 5
L’article 5 habilite le Gouvernement à prendre par ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi en matière de négociation dans la fonction publique. L’objectif est de développer la « négociation sociale » aux niveaux de proximité (collectivité territoriale ou d’un établissement public hospitalier, social ou médico-social). Les ordonnances devront préciser les autorités compétentes et les domaines de la négociation, d’adapter les critères de reconnaissance de la validité des accords, de définir les cas et conditions dans lesquels les accords majoritaires disposent d’une portée ou d’effets juridiques ainsi que les modalités d’approbation qui permettent de leur conférer un effet juridique. L'article 5 est extrêmement général :
Recourir aux ordonnances pour la négociation sociale ne saurait être anodin après le processus autour des ordonnances Pénicaud sur le code du travail. Il est invraisemblable que cette question de la négociation sociale – d'autant plus au sein de la fonction publique, donc concernant des services et des agents qui personnifient la puissance publique auprès des Français – se fasse hors du débat parlementaire, surtout s'il s'agit d'introduire ainsi des mesures qui seraient dérogatoire aux statuts de la Fonction Publique, au principe de faveur et à la hiérarchie des normes.
Article 7
Cet article étend la dérogation à la règle d’occupation des emplois permanents de la fonction publique par des personnes ayant la qualité de fonctionnaires à des emplois de direction de l'État, de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière. L’accès à certains de ces postes, auparavant limité aux concours, est élargi à la voie de recrutement direct (contractualisation).
Les risques posés par une telle extension sont nombreux : accroissement prévisible des conflits d'intérêts par multiplication des allers-retours entre privé et public avec des hauts cadres dirigeants directement issus du privé qui pourraient donc défendre au sein de la haute administration les intérêts du privé ; importation à marche forcée des méthodes managériales du privé alors que l’État et la puissance publique en général ne sont pas des « entreprises » ; précarisation des hauts cadres dirigeants qui seraient donc soumis à des pressions multiples (politique ou économique) et ne pourraient donc plus défendre des logiques d'intérêt général (y en a qui le font encore) ; risque corrélatif de clientélisme et de spoil system à la française ; inégalité d'accès aux postes à haute responsabilité dans la FP puisqu'il ne sera plus nécessaire d'avoir passé un concours ou gravi les échelons dans la FP pour y prétendre, cette perspective serait évidemment rapidement fermée aux fonctionnaires car les postes à responsabilité seraient dans une telle logique rapidement capté par des intérêts tiers...
Le débat devrait plutôt porter ici sur la nécessité impérieuse d'une interdiction drastique des conflits d'intérêts dans la haute fonction publique.
Article 8
Cet article crée un contrat de projet au sein de la fonction publique, au prétexte de mobiliser des profils divers pour la conduite de projets ou d’opérations identifiés s’inscrivant dans une durée limitée (un à six ans). Ce nouveau contrat n'ouvrirait droit ni à un contrat à durée indéterminée, ni à titularisation, et serait ouvert à l’ensemble des catégories hiérarchiques.
Dans la FPT, les embauches en contrats de missions, signés et résiliables au gré des élections locales, privilégient une conception clientéliste de la gestion locale, à l’opposé de l’éthique de la Fonction Publique, de neutralité, de probité et d’indépendance à l’égard des intérêts privés ou partisans. Dans la FPE et la FPT, cet article pose les mêmes problèmes que l'article précédent.
Article 9
Il étend significativement les possibilités de recruter des agents contractuels au sein de la fonction publique d’État, tout en maintenant le principe selon lequel les emplois permanents de l’État sont occupés par des fonctionnaires, afin de renforcer la qualité et la continuité des services publics dans les territoires.
Les employeurs publics auront désormais la possibilité de recruter par voie de contrat sur les emplois de toute catégorie hiérarchique, et non plus seulement de catégorie A, lorsque la nature des fonctions ou les besoins du service le justifient, notamment lorsque l’emploi fait appel à des compétences techniques spécialisées ou nouvelles, ou lorsque la procédure de recrutement d’un titulaire s’est révélée infructueuse. En outre, le recrutement des agents contractuels est également ouvert lorsque l’emploi ne nécessite pas une formation statutaire donnant lieu à titularisation dans un corps de fonctionnaires.
Cet article soumet les agents contractuels des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l’État pris pour l’application de l’article 7 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État.
Enfin, cet article ouvre aux établissements publics de l’État une faculté de recrutement d’agents contractuels pour l’ensemble de leurs emplois afin de leur d’offrir une souplesse supplémentaire de fonctionnement (à l’exception de ceux pourvus par les personnels de recherche).
Cet article est dangereux pour les mêmes raisons que les articles 7 et 8.
Article 10
L'article autoriserait le recrutement par contrat sur les emplois de catégorie B, lorsque la nature des fonctions ou les besoins des services le justifient, dans les mêmes conditions que pour les emplois de catégorie A. D’autre part, les communes de moins de 1 000 habitants et leurs groupements pourront recourir au contrat pour l’ensemble de leurs emplois permanents, quelle que soit la quotité de temps de travail de ces emplois. Enfin, l’article simplifie les règles de recrutement sur les emplois à temps non complet afin de mieux répondre aux besoins des collectivités territoriales et de leurs établissements publics, de ne plus recourir à la vacation pour pourvoir ces emplois et prévenir dit-il, à l’avenir, le développement de situations de précarité.
Les employeurs territoriaux pourront aussi recruter des agents contractuels sur les emplois dont la quotité de temps de travail est inférieure à 50 % de la durée légale. Enfin, les centres de gestion pourront recruter des agents contractuels et les mettre à la disposition des collectivités qui le demandent, pour l’occupation de ces mêmes emplois à temps non complet.
Or en l’état actuel du droit le recours aux contractuels dans la FPT est permis :
1) lorsqu’il n’y a pas de cadres d’emplois de fonctionnaire adéquats ;
2) pour les catégories A quand les besoins des services/nature des fonctions le justifient et si aucun fonctionnaire dispo ;
3) pour les emplois de secrétaire de mairie dans les communes/groupements de communes de moins de 1000 habitants ;
4) Pour les emplois à temps non-complet inférieur à 50% des communes/groupements de communes de moins de 1000 hab (ce qui serait supprimé par cet article du PjL) ;
5) Pour les emplois des communes moins de 2000 habitants et les groupements de communes de moins de 10 000 habitants dont la création/suppression dépend d’une autorité s’imposant aux collectivités et établissements publics.
Ces contractuels sont recrutés en CDD d’une durée maximum de trois ans, sans que cela soit modifié par le PJL, alors qu’il promeut le recours au CDI pour les contractuels de la FPE et que les contractuels de la FPT sont les plus précaires.
Article 12
L’article modifie le statut général des fonctionnaires pour faire disparaître la référence à la notation et généraliser l’entretien professionnel permettant d’apprécier la valeur professionnelle des fonctionnaires. Si la logique de notation est aujourd’hui très imparfaite, et ses grilles obsolètes, son remplacement par l'entretien professionnel me paraît introduire une logique d'arbitraire et d'individualisation absolue de la procédure. Il conviendrait donc plutôt de privilégier une actualisation du principe de notation.
Cet article a, par ailleurs, pour objet, au sein de la FPT, de prévoir que la demande de révision du compte rendu de l’entretien auprès de la commission administrative paritaire interviendra désormais à la seule demande de l’agent, ce qui me paraît positif.
Article 13
L'article prétend assurer la cohérence des critères déterminant la rémunération des agents publics, fonctionnaires ou contractuels, quel que soit leur employeur public, en soulignant l’importance du critère de l’engagement professionnel et du mérite. Il précise également pour la FPH les conditions de mise en œuvre de l’intéressement collectif en le liant à la qualité du service rendu.
C'est donc dans les deux cas une logique de prime au mérite avec risque dans une logique comptable que ces primes soient peu à peu défalquées dans la FPH des rémunérations fixes.
Article 14 :
L'article prévoit la suppression de la compétence consultative des CAP en matière de promotion de corps, de cadres d’emplois et de grade, et instaure dans les trois versants de la fonction publique des lignes directrices de gestion concertées au sein du nouveau comité social institué à l’article 3 du PjL, sur le même modèle que celles instituées en matière de mobilité pour les fonctionnaires de l’État.
Article 16 :
L'article procède à une réforme du cadre déontologique applicable aux agents publics.
Le Gouvernement souhaite faciliter le pantouflage partiel des fonctionnaires en limitant le contrôle (avis qui s’imposent à l’agent et à l’administration !) de la Commission de déontologie, notamment pour des fonctionnaires ou agents qui créent ou reprennent une entreprise, mais aussi en lui enlevant son pouvoir de “recommandation” sur les situations individuelles. Ceci va mécaniquement augmenter les conflits d’intérêts !
Cet article devrait au contraire être une nouvelle occasion d'aborder le problème des conflits d'intérêts des Hauts Fonctionnaires. Il faudrait également que la déclaration d’intérêts soit transmise à l’autorité hiérarchique précédente et à l’autorité hiérarchique actuelle pour information, et pas uniquement à la Haute Autorité de Transparence de la Vie Publique (HATVP). En effet, elles peuvent toutes les deux détenir des informations et elles doivent aussi garantir à la HATVP que la déclaration est sincère.
Article 17 :
L'article autorise le Gouvernement à prendre par ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi pour une réforme des institutions médicales et des droits en matière de santé dans la fonction publique. Mais il n'a pas pris le temps d’une réelle concertation, débats, et sans préciser ses intentions réelles. Encore une fois le recours aux ordonnances n'est pas légitime ; il conviendrait de renvoyer ce sujet à la concertation avec les représentants des fonctionnaires.
Article 22 :
L'article prévoit des ordonnances pour réformer la formation des fonctionnaires, réformer le recrutement des agents de catégorie A et la formation spécifique en vue de faire évoluer professionnellement les agents les moins qualifiés, les agents handicapés et ceux exposés aux risques d'usure professionnelle.
Il est plus qu'étonnant que le gouvernement prétende passer par ordonnance sur un tel sujet qui devrait être débattu par le parlement après une réelle concertation avec le CNFPT et les CS des FP.
Article 26 :
L’article met en place, à titre temporaire pendant six ans, à compter du 1er janvier 2020 jusqu’au 31 décembre 2025, un dispositif de rupture conventionnelle applicable aux fonctionnaires relevant des trois versants de la fonction publique : c'est un cas supplémentaire de cessation définitive de fonctions qui entraîne radiation des cadres et perte de la qualité du fonctionnaire. Elle ne concernera ni les fonctionnaires stagiaires, ni les fonctionnaires détachés sur contrat, ni les fonctionnaires ayant droit à une pension de retraite à taux plein.
Un remboursement de l’indemnité de rupture conventionnelle est prévu, sous certaines conditions, en cas de retour dans l’emploi public dans les 3 années consécutives à la rupture conventionnelle.
L’évaluation de cette expérimentation sera présentée au Parlement un an avant leur terme. Elle portera notamment sur le nombre de fonctionnaires couverts par ces dispositifs et leur coût global.
L’article pose également le principe de la rupture conventionnelle pour les agents CDI dans les 3 FP ainsi que pour les ouvriers de l’État. Les modalités d’application de la rupture conventionnelle, notamment l’organisation de la procédure, seront définies par voie réglementaire.
L’article étend enfin le régime d’auto-assurance chômage des agents publics civils aux cas de privation d’emploi résultant d’une rupture conventionnelle, sur le modèle de ce qui existe pour le secteur privé, ou de certaines démissions donnant droit à une indemnité de départ volontaire.
Ces ruptures conventionnelles, dans un rapport par nature inégalitaire État - agent, sont un moyen de licencier en masse. La rupture conventionnelle présente des dérives évidentes. Pour les plus faibles, elle est souvent acceptée par le·salarié·poussé par son employeur à la suite d’une situation de mal-être, voire de conflit au travail. Elle constitue en outre un véritable outil d’ajustement de l’emploi et permet aux employeurs publics de contourner les règles. On peut aussi « imaginer » que ce dispositif permettrait de virer des fonctionnaires, en les mettant sous pression de quitter la FP, sans passer par la procédure disciplinaire habituelle qui garantit les droits du fonctionnaire…
Par ailleurs, il est surprenant que le PjL prévoit une possibilité de remboursement de l'indemnité de rupture conventionnelle pour les agents ayant occupé « un emploi permanent à temps complet et titularisés dans un grade de la hiérarchie des administrations de l’État, des autorités administratives indépendantes ou des établissements publics de l’État » qui dans les 3 années consécutives à leur « rupture conventionnelle » souhaiteraient occuper un emploi dans la FPE. En imaginant que cette forme de rupture conventionnelle soit mise en place dans la FP (tant pour les titulaires que pour les contractuels), pourquoi exiger des anciens agents publics une telle contrainte alors qu'elle n'est évidemment inexistante dans le privé ? On peut cependant concéder quelques cas de vigilance particulière là où la procédure de rupture conventionnelle pourrait être utilisée non pour faciliter des licenciements mais pour accompagner à grands frais le « pantouflage » d'une oligarchie technocratique, ajoutant ainsi du « beurre dans les épinards » des conflits d'intérêts. Il conviendrait au minimum d'interdire cette la « rupture conventionnelle » pour les cadres issus des grandes écoles qui doivent des années de services à l’État et interdiction pour les hauts fonctionnaires
Enfin le PjL ne crée pas un droit à l’assurance-chômage des fonctionnaires « rupturés », mais un régime spécifique pour les agents ayant fait une rupture conventionnelle (agents de la FPE, FPT, mais pas FPH) ou d’une indemnité pour restructuration de service : en réalité, tout cela est un habillage pour faire passer les « plans de départ volontaire » annoncés par Gérald Darmanin.
Article 27 :
L'article crée un cadre juridique pour permettre de véritables plans sociaux dans la FP sans réelles garanties en terme de procédure de « reclassement ».
En cas de suppression d'un emploi dans le cadre de la restructuration d’un service ou d’un corps, le PjL crée un accompagnement personnalisé dans l’élaboration et la mise en œuvre d’un projet professionnel et un congé de transition professionnelle destiné à favoriser l’accès à des formations nécessaires à l’exercice d’un nouveau métier : c'est presque un sous licenciement économique.
Dans la FPE, le PjL implique une affectation automatique sur un emploi vacant de même grade dans un même périmètre ministériel MAIS le souhait de l'agent n'est pas forcément pris en compte. Si l'agent demande une mutation ou un détachement cela peut se faire dans le même périmètre ministériel MAIS à l'échelle nationale ce qui impliquera une mobilité forcée (on cherche ici à favoriser les départs volontaires). Si ces mesures n'ont pas débouché, l'agent peut demander une mutation ou un détachement dans le département ou la région dans un autre périmètre ministériel – là encore les mobilités peuvent être problématiques. Jusqu'ici les souhaits géographiques des agents étaient prioritaires.
Le PjL prévoit une possibilité de mise à disponibilité d’un an dans le secteur privé (avec perte de ses possibilités d'avancement et sans qu'il soit précisé quels sont les conséquences pour l'agent qui refuserait d'aller dans le privé), avec une partie de sa rémunération payée par l’État (on prévoit de subventionner l'emploi ?!). En cas de démission par l’agent public, il aurait droit à une indemnité de départ et à une forme d'assurance chômage.
Dans la FPH, le PjL permet une affectation sur tout emploi vacant (correspondant au grade) dans le département sur la demande de l’État OU sur sa demande priorité de recrutement dans un autre établissement du département OU sur tout emploi vacant dans un établissement de la région, on sait ce que cela signifie en terme mobilité avec la taille des nouvelles régions.
Ces mesures permettront donc au gouvernement de procéder à des plans de licenciement, en lui laissant les mains libres sur la manière de procéder (« restructuration d’un service ou d’un corps » lui laissant une très large marge d'appréciation arbitraire) . Au-delà des conséquences sur les agents eux-mêmes, on vient bien apparaître une logique conduisant à une anémie du maillage territorial de l’État sur les territoires.
Par ailleurs, cette logique de « dégraissage » de la FPE va entraîner un reclassement progressif de nombreux cadres d'Etat vers les collectivités territoriales ce qui pose à mon sens deux problèmes de fond :
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ces agents n'ont pas la même « culture » que les cadres territoriaux dans le rapport aux administrés et usagers et en terme de proximité de l'action publique. Au moment, où les Français – au travers du mouvement des « Gilets Jaunes » – expriment un besoin de proximité dans l'élaboration et la mise en œuvre de l'action publique, cette dynamique va créer des ruptures et des incompréhensions dommageables aux liens sociaux et aux collectivités. Cela s'ajoute à la mode actuelle au sein de certaines catégories de cadres territoriaux (cf. tribune du 26 mars dans Le Monde du président de l'association des DRH des grandes collectivités territoriales) en faveur des méthodes managériales du privé qui créeront des dégâts supplémentaires sur certains agents dont l'employabilité hors de la FPT serait souvent impossible : nous risquons d'être ainsi confrontés dans les années à venir à une hausse de l'absentéisme, de l'usure professionnelle et des burn out ;
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le reclassement des cadres d’État dans la FPT, conjuguée à l'embauche massive de cadres issus du privé, va profondément gripper le processus imparfait mais existant de promotion sociale et professionnelle dans les collectivités locales ce qui va diminuer la motivation et la mobilisation des personnels.
Enfin, le PjL ne crée pas un droit au chômage classique : tout est à déterminer par décret. On pourrait au demeurant se demander qui suivra ces agents licenciés pour accompagner leur « retour à l'emploi ».
Il conviendrait au minimum de remettre les souhaits géographiques des agents en priorité dans les « reclassements » et de ne pas attendre le décret pour fixer aux agents victimes du licenciement les « bénéfices » du licenciement économique classique.
Article 28 :
Cet article permet d'engager par voie administrative un vaste chantier de privatisation des activités de services publics actuels en accompagnant le détachement des agents dont le service est privatisé vers les nouvelles entreprises qui bénéficieront de cette privatisation. Ce détachement est prononcé pendant la durée du contrat liant la personne morale de droit public à l’organisme d’accueil, sur un contrat de travail conclu à durée indéterminée auprès dudit organisme. Durant ce détachement, le fonctionnaire conserve une rémunération au moins égale à celle qu’il percevait antérieurement. En outre, les services effectués dans cette position sont assimilés à des services effectifs dans son corps ou cadre d’emplois d’origine afin de préserver ses droits à promotion dans son administration d’origine. Enfin, lorsque le contrat liant la personne morale de droit public à l’organisme d’accueil prend fin, le fonctionnaire peut opter soit pour sa radiation des cadres et le versement d’une indemnité prévue par décret, soit pour sa réintégration de plein droit dans son administration d’origine.
En fait, le gouvernement nous refait en pire le coup de France Télécom, d'autant que la façon dont est présenté le texte donne à penser que ces privatisations pourraient se faire sans passer par un débat national et parlementaire.
Titre V
Les articles 29-30-31-32-33-34-35 sont le « supplément d'âme sociétal » offert par le gouvernement pour faire passer la potion amère de cette déconstruction libérale du service public pour un grand projet progressiste. C'est l'équivalent du « droit à la déconnexion » et du « compte personnel d'activité » dans la loi El Khomri.
Frédéric Faravel