J'ai signé avec plusieurs responsables et militants laïques la tribune intitulée "Dissolution de la mission parlementaire sur la gestion de la crise : la démocratie bâillonnée ?"
Ce dernier épisode des méthodes de la majorité présidentielle à l'Assemblée Nationale illustre particulièrement une dérive autoritaire à l'occasion de la gestion de la crise sanitaire déclenchée par la pandémie de COVID-19. N'oublions pas que c'est cette même majorité de l'Assemblée Nationale qui a fait entrer dans le droit commun nombre de dispositif de l'état d'urgence (décrétés face aux attentats de 2015) auquel Emmanuel Macron avait pourtant promis de mettre fin. Ce sont Edouard Philippe et Emmanuel Macron qui ont choisi de créer un hydre juridique "l'état d'urgence sanitaire", alors que l'Etat disposait déjà de tous les leviers nécessaires (notamment dans le code de la santé) pour répondre à la situation et que cette forme particulière et nouvelle de l'état d'urgence implique un contrôle moindre du Parlement.
C'est donc une situation particulièrement dangereuse que nous traversons.
Frédéric FARAVEL
conseiller municipal et communautaire Gauche Républicaine et Socialiste de Bezons
Publié le 01/02/2021 à 17:32 dans le magazine Marianne et le 06/02/2021 sur ReSPBUBLICA, le journal du réseau de la Gauche républicaine, laïque, écologique et sociale
Plusieurs intellectuels et médecins s'inquiètent de la dissolution de la mission parlementaire dédiée à l’examen de la gestion de la crise de Covid-19.
Alors que se dessine un troisième confinement « serré », la majorité présidentielle ne trouve rien de mieux que de dissoudre la mission parlementaire dédiée à l’examen de la gestion de la crise de Covid-19. Elle argue que la raison d’être de la mission, ayant rendu son rapport en décembre 2020, aurait disparu. Nous sommes habitués aux contorsions de cette majorité de parlementaires recrutés sur CV lorsqu’elle, elle doit justifier, volens nolens, les injonctions élyséennes. Son seuil de tolérance est pourtant très élevé : il faut, par exemple, la remise sur le métier de l’article 24, pourtant poussé par Beauvau et voté par l’Assemblée nationale, de la loi sur la « sécurité globale », pour que le novice se rebiffe, comme jadis « le cave ». Las, l’argument de la majorité présidentielle tombe à plat : c’est le président de l’Assemblée nationale Richard Ferrand lui-même qui, mettant sur pied cette commission, avait déclaré que cette dernière durerait autant que la crise du Covid-19.
Ce pouvoir ne cesse de remettre en cause les principes de la démocratie parlementaire et les libertés publiques. La liste des mesures que certains avocats et défenseurs des droits de l’Homme ont sévèrement jugée, certaines ayant été même censurées par le Conseil Constitutionnel, donne le tournis : loi sur la sécurité intérieure, loi relative à la protection du secret des affaires, loi Avia contre « la manipulation de l’information », réforme du droit d'asile et de l'accueil des mineurs étrangers, loi sur la « sécurité globale », fichage des opinions philosophiques, religieuses et politiques, court-circuit et entraves systématiques des droits du Parlement, état d’urgence permanent, définition de la stratégie de crise au sein d’un « comité de défense sanitaire » couvert par le secret-défense, etc.
LA MACRONIE CONTRE LE PARLEMENT ?
Que n’aurait-on dit si Marine Le Pen, accédant à l’Élysée en 2017, eût présidé à cette funeste litanie de « réformes » ? Les mêmes qui, aujourd’hui, s’offusquent des protestations des oppositions, seraient vent debout face au « fascisme » rampant ! La majorité présidentielle argue, à l’appui de ses proclamations démocratiques, de dispositifs du type tirage au sort d’un panel de citoyens ou encore de « concertations » avec les représentants des groupes parlementaires – après le « grand débat » dont on attend encore les synthèses promises et la « convention citoyenne pour le climat » dont on sait ce qu’il est advenu des préconisations. Mais ce sont là des gadgets !
Ainsi, par exemple, on apprenait que le groupe de citoyens tirés au sort et destinés à « éclairer » la campagne de vaccination serait à parts égales composé de pro- et d’anti-vaccins. Mais alors, ce n’est plus un tirage au sort ! De même, on sait que les « concertations » organisées par le Pouvoir ne sont que des mises en scène médiatiques qui ne sauraient aucunement remplacer la délibération parlementaire. Cette dernière pourrait être éclairée par des institutions existantes, des « corps intermédiaires », mais, là encore, soit elles ont été supprimées par l’Exécutif (Observatoire de la pauvreté, MIVILUDES), soit elles ne sont pas saisies (Conseil Économique, Social et Environnemental), soit elles ne sont pas écoutées (Défenseur des Droits, Haute Autorité de Santé).
Il semble donc que la Macronie n’accepte les contre-pouvoirs que lorsqu’ils sont en ligne avec l’Élysée ou ne procèdent que de lui. Car, sinon, il ne s’agirait que de « débats stériles » et de « polémiques gratuites lancées par une opposition qui ne sait que s’opposer sans rien proposer », selon les formulations aussi creuses que récurrentes des porte-parole de la majorité. À ces polémiques, il conviendrait impérativement de mettre un terme au nom de l’efficacité face à la guerre virale. Perte de temps et d’énergie que tout cela ! Au surplus, les contre-pouvoirs institutionnels auraient la fâcheuse tendance à alimenter les aigreurs d’un peuple de « 66 millions de procureurs ». Après la neutralisation du Parlement, la dissolution du Peuple souverain au nom de la démocratie d’opinion ?
Dans aucun pays occidental, l’on assiste à une telle mise sous le boisseau des droits du Parlement et des libertés publiques. Aucun. En Allemagne, une telle dérive concentrant tous les pouvoirs aux mains d’une poignée d’individus serait impensable. Il en est de même dans le pays berceau de la démocratie parlementaire, la Grande-Bretagne. Autant dire que le modèle dont s’inspire Emmanuel Macron se situe davantage en Asie qu’en Europe ou même aux États-Unis. Certains proches du pouvoir ne s’en cachent pas en privé, comme l’a rapporté l’économiste Gaël Giraud. N’a-t-on pas entendu, médusé, sur une radio du service public, un grand généticien aux sympathies politiques transparentes, faire le « constat » que la « démocratie contestataire » (sic) française n’était pas aussi efficace qu’une dictature à la chinoise pour lutter contre la pandémie ? On se souvient aussi du Ministre de la Santé, Olivier Véran, sommant les députés de l’opposition, par trop critiques, de quitter… l’Hémicycle. Quel symbole, inimaginable dans un autre pays de démocratie parlementaire !
DÉMOCRATIE BÂILLONNÉE ?
C’est que l’« élite stato-financière » a été biberonnée à la Ve République et à sa claudication au profit de l’Exécutif. Ces déséquilibres institutionnels ont été amplifiés par le néomanagement : l’Efficacité justifierait la concentration accrue des pouvoirs au profit d’individus qui pensant « être tout » veulent – par altruisme certainement – éclairer le chemin de « ceux qui ne sont rien ». Le management veut des citoyens libres… d’obéir comme l’a souligné l’historien Johann Chapoutot. Ce mélange d’institutions déséquilibrées, d’autoritarisme managérial et de mépris de classe est détonnant, voire dynamiteur des principes fondamentaux de la République : liberté, égalité, fraternité. À cet égard, la crise du Covid-19 semble davantage être un prétexte plutôt qu’une cause du régime d’exception dans lequel nous sommes peu à peu plongés.
On dira que nous exagérons ; qu’il est outrancier d’accuser de telles visées un pouvoir démocratiquement élu et qui « présente » bien. On pourrait opposer l’alerte de George Orwell : ce dernier nous a prévenus que la prochaine fois que les fascistes reviendront, ils ne porteront ni uniformes ni bottes, mais des imperméables et des chapeaux melon. Non, en effet, nous ne sommes pas dans un régime fasciste. Mais nous en dévalons dangereusement la pente, pour cette simple raison : à chaque estocade portée à la démocratie parlementaire et aux libertés publiques, ce pouvoir légitime un peu plus la vision du monde du Rassemblement National. Quand on pense détenir la Vérité, on se croit autorisé à jeter par-dessus bord Montesquieu, et c’est bien ce qui inquiétait ce dernier. La démocratie est l’organisation pacifique du dissensus, raison pour laquelle l’agora parlementaire est son berceau et son écrin. N’en déplaise à l’Exécutif, le désaccord n’est pas une pathologie ; c’est notre condition démocratique. Il ne faut donc pas s’étonner que, dans ce climat délétère, certains sondages annoncent pour 2022 un second tour Macron/Le Pen aussi serré que le confinement qui vient.
La France devient une anomalie démocratique. Il est plus que temps que les froggies – comme se plaisent à nous surnommer les Anglo-Saxons qui, eux, ne transigent pas avec les prérogatives des assemblées élues – bondissent hors de la casserole où elles sont en train de cuire à petit feu.
Signataires :
Françoise Acker, sociologue
Paule Bourret, sociologue, cadre de santé
Raphaël Briot, praticien hospitalier, anesthésiste réanimateur
Didier Brisebourg, animateur de l'Association pour une Constituante (Hyères)
Patrick Chemla, psychiatre, chef de pôle, Centre Antonin-Artaud, Reims, membre de l’Union syndicale pour la psychiatrie (USP)
François Cocq, essayiste
Alain Damasio, écrivain
Marie-José del Volgo, maître de conférences praticien hospitalier honoraire Aix Marseille université
Jean-Pascal Devailly, praticien hospitalier, médecine physique et de réadaptation
Patrick Dubreil, médecin généraliste
Alexandre Fauquette, sociologue
Frédéric Faravel, conseiller municipal et communautaire GRS de Bezons (95)
Riva Gerchanoc, présidente de Combat laïque Combat social - Fédérer le peuple.
Delphine Glachant, psychiatre, présidente de l'Union Syndicale de la Psychiatrie (USP)
Roland Gori, professeur honoraire de psychopathologie, Université Aix-Marseille
Claudine Granthomme, combat laïque combat social - fédérer le peuple (Clcs-flp)
Laurent Heyer, anesthésiste-réanimateur, praticien hospitalier
Eric Jamet, éditeur
Marie Kayser, médecin généraliste
Matthieu Lafaurie, médecin
Patrice Leguerinais, militant associatif
Philippe Lévy, professeur des Universités, praticien hospitalier
Arnaud de Morgny, coordonnateur Île-de-France pour la Gauche Républicaine et Socialiste
Anne Perraut-Soliveres, cadre supérieure de santé et chercheuse
Matthieu Piccoli, médecin, patricien hospitalier
Frédéric Pierru, sociologue et politiste, CNRS
Pratiques, les Cahiers de la médecine utopique
Gilberte Robain, PH PhD Chef de service APHP Paris
Nicole Smolski, Praticien hospitalier anesthésiste réanimatrice honoraire
Jean Scheffer, ancien praticien hospitalier chef de service Albi
Frédérick Stambach, médecin généraliste rural à Ambazac, engagé dans la défense du service public hospitalier
Bernard Teper, co-animateur du Réseau Éducation Populaire (REP)
Richard Torrielli, médecin, ancien anesthésiste réanimateur du CHU de Bordeaux, membre d’Action Praticiens Hôpital
Julien Vernaudon, médecin gériatre
Frédéric Viale, essayiste
Jean Vignes, militant syndical et associatif