Je choisis de publier ici en accès facile l'enquête conduite par Mediapart sur les cas de harcèlement au travail reprochés à la sénatrice EELV Esther Benbassa. En effet, de nombreuses personnes ne sont pas abonnées à ce média et souhaitent comprendre sincèrement ce qu'il se passe... d'autres tentent désespérément de défendre la parlementaire, défenseure autoproclamée des opprimés, en jouant sur la difficulté d'accéder au contenu de l'article, multipliant les sous-entendus et tenant de jouant sur ce qui apparaît comme des approximations si l'on se contente de lire les résumés d'articles sur Facebook ou Twitter.
Je connais bien le dossier pour en être l'un des acteurs - pas l'une des victimes - au travers de mes activités syndicales au sein de la CGT-CP, aux côtés d'Yseline Fourtic, Barbara Gomes, Julien Garcia ou Albin Toubiana Faure, et d'autres encore syndiqués ou non qui ont accompagné amicalement ou syndicalement les victimes tous ces longs mois... J'ai eu l'occasion de mesurer à quel point le personnage est manipulateur et à quel point le dossier est lourd. Il est important qu'un média aussi important que Mediapart (dont la ligne éditoriale est assez proche politiquement des positions de la sénatrice "écologiste" - je dis ça pour les tenants de la théorie du complot qui voient dans cette enquête une opération montée de toute pièce en période pré-électorale) car il était urgent de briser l'omerta, que j'ai vu plusieurs personnes souffrir et être terrorisées. J'ai vu également trop de responsables politiques se planquer derrière une cécité volontaire, camouflant des petits intérêts politiques, Esther Benbassa étant toujours dans les charnières qui peuvent faire ou défaire les groupes parlementaires à la gauche de la Haute assemblée. Je dois dire qu'à ma connaissance seule la présidente du groupe CRCE a pris ses responsabilités, a entendu les salariés d'Esther Benbassa avant de signaler la situation aux plus hautes autorités du Sénat. Comme nous la CGT, les salariés ayant trop peur alors pour porter plainte, elle ne put faire plus.
Je dois dire aussi que comme beaucoup de monde j'ai eu du mal à croire toutes les rumeurs qui couraient depuis longtemps sur la sénatrice... jusqu'à ce que des gens que je connaissais bien, et qui ont eu le courage de relever la tête ensuite, soient eux-mêmes victimes de la tourmente et que je vois de mes yeux leur santé décliner. Il en faut du courage pour briser l'omerta dans un petit monde où le poids symbolique du pouvoir politique vous muselle plus facilement encore. Je ne saurais que trop leur conseiller d'aller désormais au bout de leur démarche et de porter plainte, car sinon leur ancienne patronne s'en tirera trop facilement. Vous trouverez également les réponses apportées à Mediapart par la parlementaire qui ne peut pas dire donc (comme elle le prétend dans le communiqué de presse pathétique qu'elle a publié dans la soirée du jeudi 8 juillet 2021) que l'article n'ait été qu'à charge ; il se trouve qu'elle nie cependant des faits établis par écrits et joints par le média.
Je prends sur moi de rendre accessible et gratuit un article payant ; vous pouvez le lire en dessous ou télécharger le PDF. Cela me paraît une nécessité car il en va de la justice et du secours à apporter à des gens qui ont été en danger pendant plusieurs mois (et certains plusieurs années).
Frédéric FARAVEL
membre du bureau du syndicat CGT des collaboratrices et collaborateurs parlementaires
conseiller municipal et communautaire Gauche Républicaine et Socialiste de Bezons
coordinateur national des pôles thématiques de la GRS
Enquête de Mediapart sur Esther Benbassa publiée le 08/07/2021
enquête conduite par David Perrotin et publiée dans Mediapart le jeudi 8 juillet 2021
Huit anciens collaborateurs de la sénatrice EELV Esther Benbassa et six de ses anciens étudiants qu’elle employait à l’École pratique des hautes études dénoncent, documents à l’appui, des menaces, humiliations et pressions à répétition. L’élue, qui conteste l’intégralité des faits, est aussi accusée d’avoir fait pression sur une salariée pour qu’elle décale une opération chirurgicale.
« Quelle véritable joie de retrouver les terrasses ! Un premier moment que j’ai choisi de partager avec mes collaborateurs », tweete la sénatrice Esther Benbassa le 19 mai dernier, lors de la réouverture des restaurants. Un mois plus tard, elle poste de nouveau une photo, supprimée depuis, pour le marteler. « Anciens et actuels collabs, fêtant ensemble, hier soir, au restaurant du Sénat l’anniversaire d’A., qui a travaillé trois ans au cabinet. Un peu de joie partagée... »
Ces messages, a priori anodins, ne sont sans doute pas le fait du hasard. La vice-présidente du groupe écologiste au Sénat sait que Mediapart enquête sur les relations qu’elle peut avoir avec ses collaborateurs. Elle tente depuis de prouver que c’est un plaisir de travailler pour elle et n’hésite pas à le mettre en scène.
Depuis plusieurs mois, Mediapart a recueilli le témoignage de huit anciens assistants de la sénatrice EELV qui décrivent un climat de « terreur » où la professeure d’histoire « humiliait en permanence ses assistants ». Plusieurs étudiants qui l’ont côtoyée à l’École pratique des hautes études (EPHE) - elle y est directrice d’études - tiennent les mêmes accusations. Surtout, Mediapart révèle comment, à plusieurs reprises, l’élue choisit de faire passer son travail avant leur santé quitte à les mettre en danger.
Tous ont souhaité conserver leur anonymat pour « préserver leur carrière » et parce qu’ils craignent « des représailles ». Près de 20 personnes confirment avoir été témoins directs ou indirects des agissements de la sénatrice. Cette dernière, longuement interrogée par Mediapart, dément l’intégralité des accusations.
Esther Benbassa, 71 ans, est élue depuis 2011. D’abord sénatrice du Val-de-Marne, elle représente Paris depuis 2017. Elle a aussi une brillante carrière universitaire avec un passage au CNRS avant de devenir directrice d’études à l’EPHE, où elle a créé le centre Alberto-Benveniste pour étudier l’histoire socioculturelle des juifs. Cette médiatique membre de la commission des lois défend des idées progressistes et se veut en pointe dans la lutte contre toute forme de harcèlement.
Pourtant, d’après de nombreux témoignages mais aussi des centaines de documents (mails, SMS, courriers et enregistrements), son management est vivement décrié depuis 2006. Tous décrivent « la méthode Benbassa » faite « d'humiliations, de menaces et de harcèlement ».
Des pressions pour faire repousser une opération chirurgicale
« Au début, il y a une sorte d’état de grâce avec elle. Elle est adorable, tout ce que je faisais était exceptionnel », confie Jérôme* qui a été son assistant parlementaire pendant un an. « Et très vite, c’est un véritable enfer. » Même constat pour Grégoire*, qui a travaillé pour l’élue jusqu’à 2020. Rapidement, il note chez elle « des changements d’humeur assez violents ». « Elle pouvait être adorable et subitement devenir exécrable et humiliante », rapporte l’ancien assistant de 29 ans. « Ça a été très vite compliqué, je ressentais une angoisse permanente à l’idée d’aller au boulot et je craignais le moment où elle pouvait être détestable », confirme un autre ex-salarié de l’élue.
En février dernier, un épisode particulier marque les trois assistants et suscite même l’indignation au-delà du bureau d’Esther Benbassa. Le 1er janvier 2020, Dany*, la vingtaine, sa collaboratrice parlementaire, se rend aux urgences après d’importantes douleurs au thorax. Les médecins lui annoncent qu’il s’agit d’une récidive d’un pneumothorax et qu’il faut qu’elle se fasse opérer rapidement du poumon pour subir un talcage pleural. En clair, on doit lui coller le poumon à la plèvre.
« Lorsque j’ai vu la chirurgienne, j’ai exprimé mes réticences à me faire opérer immédiatement. Je lui ai expliqué que je vivais une relation professionnelle très compliquée, que j’étais en période d’essai et que la sénatrice faisait peu de cas des gens malades. Je craignais que ma période d’essai ne soit pas renouvelée », explique Dany. Elle repousse finalement la date pour arrêter l’opération au 10 février 2020, période lors de laquelle les travaux parlementaires sont suspendus au Sénat.
« La semaine suivante, alors qu’elle savait mon état fragile, Esther m’a demandé de l’accompagner à une manifestation tout un après-midi, se souvient Dany. On est ensuite allés dans un café et c’est là qu’elle m’a annoncé qu’elle ne souhaitait plus me garder dans son équipe », explique l'ex-assistante parlementaire. Lors de cette discussion, Dany assure que la sénatrice lui aurait notamment reproché sa « fragilité », ce qu’Esther Benbassa conteste.
La sénatrice l’avait pourtant déjà déploré dans un mail envoyé à toute son équipe quelques jours avant. « Je regrette profondément l’état de santé en constante fragilité de Dany », écrivait l'élue le 5 janvier. « Il était très clair que le fait que je doive me faire opérer lui posait problème. Elle me disait vouloir un cabinet pleinement mobilisé sur la réforme des retraites et m’a dit que cela n’arrangeait pas “son calendrier parlementaire” », ajoute la salariée. Un message consulté par Mediapart montre que l’assistante parlementaire en avait fait part à une amie dans la foulée. La sénatrice dément avoir voulu la licencier et dit lui avoir « seulement » demandé de « décaler aux vacances de février ou de mars ».
« Ne me donnez pas des réponses de syndicaliste »
Dany dit avoir finalement cédé et décidé de reporter son opération au 11 mars 2020 pour « contenter la sénatrice ». « Ma chirurgienne était très surprise et m’avait précisé que c’était la première fois qu’on lui demandait une chose pareille », témoigne l’assistante.
Deux jours avant cette hospitalisation, le 9 mars, Esther Benbassa contacte Dany pour tenter une nouvelle fois de la convaincre de décaler l’opération. On est à quelques jours du premier confinement et la sénatrice s’est mise en tête que l’acte serait sûrement reporté avec l’arrivée dans les hôpitaux des malades du Covid. Elle craint que cela soit décalé en avril par exemple, en pleine réforme des retraites programmée avant l’arrivée de la pandémie.
D’après des échanges consultés par Mediapart, Esther Benbassa demande donc si l’opération ne peut pas plutôt être planifiée en juillet, quatre mois plus tard. « On a des priorités au bureau, voilà je vous le dis, s’agace la sénatrice. J’ai mon mot à dire aussi comme employeur, c’est pas vous qui décidez pour mon bureau. Votre médecin vous dira, c’est vrai, c’est pas moi qui décide de la partie médicale, néanmoins je vous parle des problèmes qu’on aura au bureau », insiste-t-elle en reprochant à son assistante « de lui prendre la tête ».
Dany explique qu’elle va tenter de voir si un report est possible mais partage son inquiétude à l’idée de faire traîner son opération. « Si je dois me faire opérer avant juillet, je me ferai opérer avant juillet c’est tout. Pour l’instant je me fais opérer cette semaine donc tout va bien », explique t-elle pour la rassurer. « Ne me donnez pas des réponses comme ça de syndicaliste », rétorque Esther Benbassa lorsque Dany précise qu’elle s’en remettra à la décision de son médecin. « Vous n’êtes pas ronde du tout, immédiatement vous dites “oui c’est mon médecin qui décide”. Oui votre médecin décide je suis d’accord, et moi je vous parle des problèmes qu’on peut avoir dans notre bureau parce qu’on aura la loi sur la réforme des retraites », insiste la sénatrice.
Quelques minutes plus tard, Esther Benbassa revient à la charge et, mécontente de cet échange, envisage de se séparer de sa salariée. « Je crois qu’on ne s’entend pas toutes les deux. Ça me sera très difficile de faire un chemin commun. Vous m'angoissez, j’ai envie de travailler dans le calme », justifie-t-elle.
Comme vous y en a des dizaines ! Des dizaines qui ne savent pas écrire une lettre et qui n’ont pas leur place au Sénat.
Elle reproche à Dany son ton - pourtant très poli - lors de ces discussions, prétexte des erreurs commises dans une lettre que la collaboratrice devait rédiger quelques jours avant et la menace une nouvelle fois de rompre sa période d’essai. « Vous savez je peux encore aujourd'hui annuler votre contrat de CDI puisque c’est jusqu’à ce soir », avance la sénatrice qui poursuit : « Comme vous y en a des dizaines ! Des dizaines qui ne savent pas écrire une lettre et qui n’ont pas leur place au Sénat (...) Moi je n’aime pas votre façon de me parler. Voilà. On n’est pas ici dans l’usine en train de se syndiquer contre le patron (..) Pourquoi vous me répondez que “c'est mon médecin qui décide, c’est mon médecin qui décide” ? Enfin je sais pas, votre médecin ce n’est pas lui qui gère mon cabinet. »
Malgré les échanges consultés par Mediapart, Esther Benbassa assure « n’avoir jamais pu dire ça ».
Après ces vives discussions, Dany dit avoir été « dans un état d’anxiété et d’incompréhension ». « Je ne comprenais pas qu’elle pense à son bureau avant tout et qu’elle ne se soucie pas de mon état de santé », explique-t-elle. L’Agas, l’association pour la gestion des assistants de sénateurs, est aussi alertée par la CGT et conseille à Dany « de saisir la cellule harcèlement ». « Votre alerte sera comme une main courante », lui précise l’un des membres le 2 mars par SMS.
Après l'hospitalisation (qui a donc bien lieu du 11 au 16 mars) et la convalescence de Dany décidée par son médecin, Esther Benbassa reprend contact avec elle le 23 avril. « Elle m’a annoncé qu’elle voulait se séparer de moi. Elle voulait absolument que ce soit une rupture conventionnelle et promettait de me faciliter les choses. J’ai dit que j’allais réfléchir et j’ai fini par accepter, car il était hors de question pour moi de retravailler pour elle », explique la salariée.
Un élément encore une fois nié par la sénatrice. Les messages consultés par Mediapart montrent pourtant que cette discussion a bien lieu alors que Dany était encore en arrêt maladie. La collaboratrice accepte cette proposition le 25 avril et signe une rupture conventionnelle le 12 mai 2020. Elle démissionnera finalement le 26 mai après avoir trouvé un autre emploi.
La CGT des collaborateurs du Sénat alertée
Lors de cet épisode, les collaborateurs d’Esther Benbassa avaient saisi dès janvier Barbara Gomes, collaboratrice au Sénat et syndicaliste à la CGT. Face à leur détresse, elle avait tenu à leur envoyer un courrier le 30 janvier 2020 pour résumer la situation et laisser une trace écrite dans le cas où ils entameraient une procédure.
« Dany semble être victime de ce que je qualifie de chantage à l’emploi par le recours à des éléments relevant d’une discrimination en raison de l’état de santé », peut-on lire dans ce document également envoyé à d’autres membres de la CGT.
Barbara Gomes, aujourd’hui conseillère de Paris, rend aussi compte d’un événement dont elle a été directement témoin. Lorsque Esther Benbassa aurait refusé que Dany aille à son rendez-vous médical. « Elle expliquera à l’anesthésiste ce qu’elle fait, qu’elle est collaboratrice, il comprendra qu’avec ce métier son agenda est chargé », avait déclaré la sénatrice selon la syndicaliste. « Je ne m’en souviens pas », affirme aujourd'hui l’élue.
Barbara Gomes évoque aussi différentes humiliations proférées au téléphone par la sénatrice à propos de son assistante et conclut : « Je suis très inquiète pour votre état de santé, psychique et physique. (...) Il faut vous sortir de là, il faut que tout cela cesse. »
Sollicitée par Mediapart, Barbara Gomes confirme avoir constaté la « détresse quotidienne » des trois assistants d’Esther Benbassa. « Je craignais beaucoup pour leur santé. Ils semblaient terrorisés par la sénatrice et craignaient constamment ses réprimandes et même ses récompenses », témoigne-t-elle. Yseline Fourtic-Dutarde, ancienne secrétaire générale de la CGT-CP, dit avoir « accompagné » quatre collaborateurs : « Ils étaient en souffrance avec un stress aigu. Cela avait des répercussions sur leur santé, et ils étaient en hyper vigilance constante », décrit-elle.
Des menaces et des reproches réguliers
D’après les anciens collaborateurs, leur souffrance était entretenue par des dizaines de mails aux « reproches presque systématiques ». « À la lire, on ne comprenait plus pourquoi elle nous avait embauchés. On était des gens incapables selon elle », dénonce Dany.
Extrait d'un sms envoyé par Esther Benbassa où elle menace de se séparer de l'un de ses collaborateurs. © Mediapart
Dans ces dizaines de mails consultés par Mediapart, les reproches de la sénatrice sont en effet massifs et récurrents et concernent l’ensemble de ses collaborateurs, qui ont tous bac + 5. Elle s’agace de coquilles laissées par l’un de ses assistants, reproche leur utilisation du téléphone personnel, un problème d’agenda, l’incapacité de l’un de ses assistants à modifier sa photo Wikipédia ou des miettes non ramassées dans son bureau. Les écrits sont parfois violents. Sa spécialité : envoyer des mails-fleuves et dénigrer le travail d’un des collaborateurs devant tous les autres. Son obsession : reprocher des fautes d’orthographe ou de syntaxe à ses assistants, via des messages contenant eux-mêmes de nombreuses fautes.
« Bonjour Grégoire, avez-vous relu votre newsletter ? Je suis tellement choquée que je ne souhaite même pas faire de commentaires. Les fautes de français, la pauvreté du langage, la méconnaissance des lois...», s’agace Esther Benbassa le 26 avril 2020. En novembre 2019, Grégoire a le malheur d’introduire un mail par « Madame, Monsieur », au lieu du traditionnel « copines, copains » de rigueur quand on s’adresse à des écologistes. « Tant de travail pour autant de fautes », lâche-t-elle. « Elle ne cessait de nous dénigrer, se souvient Grégoire. Je le vivais très mal mais une partie de moi pensait qu’il y avait une part de vrai. »
Lors de chaque échange, les collaborateurs d’Esther Benbassa font profil bas. Cette docilité n’empêche pourtant pas les coups de sang de la sénatrice. Le 9 juillet 2019, Cédric*, un autre assistant parlementaire, annonce par SMS qu’il a terminé toutes les tâches qu’il lui restait à effectuer. « Je quitte le bureau et suivrai la (courte) séance depuis chez moi si vous le permettez. Bonne soirée », envoie-t-il à 19 h 17 d’après des échanges qu’il avait transmis à ses collègues de l’époque. « Très bien, merci ! », répond-il, lorsqu’elle lui précise qu’il n’a finalement pas besoin de suivre la séance.
Quelques heures plus tard, Esther Benbassa envoie un long SMS de reproches et fustige notamment la forme de ses messages. « Cédric, je vous prierai de m’épargner vos mots et commentaires et vos points d’exclamation. Je tiens à vous rappeler que je suis sénatrice et pas vous », écrit-elle. « De même lorsque vous quittez le bureau, vous me demandez comme il est d’usage si vous pouvez quitter et pas utiliser des formules abruptes du genre “je quitte le bureau” », ajoute-t-elle.
Le 16 janvier de la même année, la sénatrice reproche à Lise* et Cédric de ne pas être restés jusqu’au bout d’une audition. « Vous ne travaillez pas dans un bureau de poste », écrit-elle avant d’enchaîner : « Vos questions n’étaient pas de niveau (...) Vous êtes dans un enfantillage qui moi, m’insupporte (...) Vous donnez jamais un travail bien fini, il faut toujours passer derrière vous (...) Vous arrêtez !!! » Elle menace ensuite l’une de ses collaboratrices : « Si vous ne pouvez pas me seconder, je pense que la présence de deux personnes au bureau (qui compte trois assistants) est largement suffisante... »
« Les menaces de licenciement sont quotidiennes avec elle », souffle Grégoire. En effet, la sénatrice ne cesse de laisser entendre à ses collaborateurs qu’elle ne va pas les garder à l’issue d’une période d’essai ou qu’elle va s’en séparer. Le 25 novembre 2019, elle lui reproche une erreur d’agenda : « Deux bourdes déjà le lundi. Pensez-vous continuer de cette façon-là ? En tout cas pour moi ce sera difficile de continuer à travailler dans ces conditions. Je vous aurai averti. A bon entendeur salut ! »
« S’il faudrait s’époumoner pour avoir du bon travail, je ne crois pas que j’ai envie d’en faire l’expérience en vous recrutant », envoie-t-elle à Dany le 6 décembre 2019 alors qu’elle est en période d’essai. « Vous me mettez en difficulté, un de ces jours je vais perdre patience », écrit-elle à Grégoire en avril 2020. Et d’ajouter un mois plus tard : « Chaque chose que vous faites devient un fardeau pour moi. (...) Je désespère. »
Interrogée par Mediapart, Esther Benbassa dément tout « climat de terreur » ou toute situation de « harcèlement ». « Quand ils écrivent correctement ça va, sinon je les corrige. Je leur fais des remarques c’est vrai, mais je ne les dénigre pas. » Elle dit ne pas se souvenir de les avoir menacés. « Peut-être dans un moment de colère mais mon objectif n’était pas de les menacer. J’en ai gardé certains 7 ans, 5 ans ou 3 ans », insiste-t-elle avant de nous envoyer quelques marques d’affection reçues par d’anciens salariés.
Ces menaces sont pourtant nombreuses et régulières tout au long de son mandat selon les nombreux messages consultés. « Je n’aime pas ce genre de remarques de jeunes gâtés. Si ça se reproduit, et ce n’est pas la première fois, je risquerai de me fâcher pour de bon, ce qui serait préjudiciable à notre collaboration », écrivait-elle par exemple le 12 novembre 2013 à l'un de ses salariés.
La sénatrice voulait empêcher le télétravail pendant le confinement
En 2020 encore, Cédric, son salarié depuis plusieurs années, a également dû batailler avec la sénatrice qui souhaitait qu’il interrompe son confinement pour venir travailler au Sénat. D’après plusieurs témoignages, Esther Benbassa ne souhaitait pas qu’il télétravaille depuis sa maison familiale. « Esther me demande de rentrer à Paris (...) Elle m’a dit que le Parlement allait se réunir pour l’annulation du deuxième tour et qu’elle aura besoin de moi », déplore le salarié dans un message qu’il avait envoyé à ses collègues le 15 mars 2020 et qui a été consulté par Mediapart. Il pourra finalement travailler confiné.
Mais lors du déconfinement, Esther Benbassa revient à la charge et exige qu’il rentre à Paris. Les consignes officielles du Sénat sont pourtant claires : le travail en présentiel doit être exceptionnel et consenti par le salarié. Une fois encore, les syndicats sont saisis par les collaborateurs et finissent par publier un guide pour rappeler les consignes. La sénatrice se résout finalement à le laisser télétravailler. Auprès de Mediapart, Esther Benbassa dément encore et précise s’être « conformée aux règles exactes du Sénat ». Un membre de la CGT confirme pourtant ces témoignages. De retour quelques mois plus tard au Sénat, Cédric a par ailleurs contracté le covid et dû être hospitalisé.
Face à ces « mises en danger », le syndicat propose de les accompagner dans leur démarche, mais les trois salariés craignent « des représailles ». « C’était un sujet de préoccupation pour nous à la CGT. On se demandait s’il ne fallait pas passer outre leur avis et qu’on sollicite la justice ou une autre instance, explique l’ex-syndicaliste Barbara Gomes. On avait peur d’être à la limite de la non-assistance à personne en danger et on s’est posé la question de notre propre responsabilité face à cette situation de harcèlement. Mais cette simple idée les effrayait tellement, qu’on ne l’a pas fait. »
Barbara Gomes raconte aussi le « flicage permanent » mis en place par Esther Benbassa pour surveiller ses assistants. « C’est de notoriété publique que les communistes (qui appartenaient au même groupe que les écologistes) mangent à midi à la cantine du Sénat. Mais Esther Benbassa demandait à ses collaborateurs qu’ils n’aillent pas manger à la cantine avant 13 heures », explique-t-elle.
Une information confirmée par l’ensemble des collaborateurs. « Elle semblait vouloir les isoler pour exercer un pouvoir », ajoute-t-elle. Un isolement et des règles qui concernent la plupart des assistants de la sénatrice depuis le début de son mandat. « Entre 2012 et 2014, ils n’étaient même pas autorisés à venir à la réunion hebdomadaire du groupe. C’était absurde », renchérit une autre salariée du groupe EELV.
La sénatrice vérifiait aussi régulièrement que ses collaborateurs respectent bien cet horaire de déjeuner en passant des appels à 12 h 50 ou 14 h 10 par exemple pour s’assurer de leur présence au bureau. Huit autres salariés du Sénat confirment ces éléments. Faux, rétorque l’élue qui assure que ses assistants ne lui « ont jamais demandé de déjeuner à midi ».
Des pressions sur une salariée en deuil
Les anciens collaborateurs contactés dénoncent un véritable « système d’emprise » mis en place par Esther Benbassa qui aurait sérieusement affecté leur santé. Que ce soit au début de son mandat en 2011 ou en 2020, les procédés seraient identiques. Beaucoup pointent le turnover « très important » de son cabinet, comme un indice éclairant le malaise des salariés. D’après notre décompte, plus de dix-huit assistants parlementaires sont passés par son bureau en seulement deux mandats. Contactée, l’Agas a refusé de nous donner le chiffre exact, qui pourrait être plus élevé. Esther Benbassa, elle, affirme qu’elle a pu avoir « 8 ou 10 salariés ».
Esther Benbassa n’hésite pas non plus à embaucher des étudiants dont elle dirige la thèse et accentuer ainsi encore davantage la dépendance qu’ils pourraient avoir vis-à-vis d’elle. C’était le cas de Sarah* par exemple qui a travaillé pour elle entre septembre 2011 et avril 2014. « Au début, je me suis dit que si Esther m’engueulait et me criait dessus, c’est parce que je devais m’améliorer », explique celle qui dit avoir été « en partie détruite » par cette collaboration. Elle relate aussi ces mails « énormes, bourrés de fautes et de reproches » du dimanche soir. Plus étonnant encore, des courriers montrent que le mari d’Esther Benbassa, historien et philosophe, pouvait lui aussi envoyer aux assistants de son épouse des tâches à effectuer.
En juillet 2012, le père de Sarah, malade d’un cancer, est sur le point de mourir. « Son état de santé empirait et ma mère m’a demandé de revenir en Tunisie, car les médecins avaient dit qu’il en avait pour quelques jours seulement », se souvient-elle. Elle dit être allée voir Esther Benbassa pour lui demander si elle pouvait prendre un congé et partir rapidement, ce que la sénatrice n’aurait d’abord pas autorisé. Esther Benbassa accepte finalement qu’elle parte quelques jours et l’assistante prend un billet d’avion pour le lendemain, le 6 juillet.
Trois jours plus tard, Sarah renvoie un mail à la sénatrice pour lui annoncer devoir prolonger son séjour. « Non seulement l’état de santé de papa s’aggrave, mais maman, épuisée physiquement et psychiquement, craque », justifie-t-elle en s’excusant et en espérant « compter sur sa compréhension ». Le courrier est accompagné de justificatifs médicaux prouvant l’état de santé déplorable de son père.
Réponse de la sénatrice : « Je comprends Sarah et je suis très triste, mais moi je n’ai personne au bureau à part Anaïs* puisque Asma est en congé maladie. Je n’ai même pas quelqu’un pour me préparer mon dossier pour l’hémicycle. Vous auriez dû m’avertir ce matin pour que je m’organise (...) Bon courage ». Le père de Sarah décédera trois jours plus tard, le 12 juillet.
« Je vivais un vrai calvaire en travaillant avec elle. Elle pouvait être adorable le matin, nous offrir des cadeaux et devenir subitement exécrable », décrit l’assistante.
« Ce qui était très dur était sa manière de diviser l’équipe en nous prenant à part pour dénigrer les collègues ou révéler des choses très personnelles sur chacun de nous », ajoute l’ex-assistante. Et ce, même lorsque cela concernait leur santé.
Le 25 juillet 2012, de retour de Tunisie, Sarah a rendez-vous avec Esther Benbassa. L’élue demande de ses nouvelles, puis lui annonce qu’elle souhaite la conserver tout en renouvelant le reste de son équipe.
Lors d’échanges avec Sarah consultés par Mediapart, elle précise vouloir se « débarrasser » de ses « employés » et s’en prend à Assma*, son autre collaboratrice, car la sénatrice « n’en peut plus ». Elle déplore son manque de communication et le fait qu’elle soit « sous anxiolytique » pour justifier sa décision de vouloir se séparer d'Assma. Après son départ, plusieurs salariés du Sénat partagent leur stupeur et une sénatrice lui propose même de témoigner en sa faveur en cas de besoin.
Des rumeurs se propagent autour de cette séparation et Esther Benbassa est contrainte d’envoyer un mail à tous les sénateurs de son groupe pour s’expliquer. Contrairement aux échanges que nous avons pu vérifier, elle affirme à ses collègues que c’est Assma qui a souhaité partir. « J’ignore la source d’une rumeur selon laquelle je l’aurais maltraitée, envoie-t-elle le 30 juillet 2012. J’ai été profondément blessée que quelqu’un – qui vient tout juste d’arriver – ait pu ici évoquer même la simple possibilité d’un “harcèlement”. » Aucun membre du parti EELV ne réagira.
Sarah continue à travailler pour la sénatrice encore deux ans et doit composer avec ses humeurs. « Elle était capable de me reprocher d’avoir réservé un hôtel qui avait un matelas trop dur pour elle, mais j’acceptais tout. Je voulais finir ma thèse et je me disais que cela pouvait être trop préjudiciable que je change de directrice », explique-t-elle.
Décidément, elle n'a pas trop envie de travailler aujourd'hui.
Parfois, Esther Benbassa ne cache même pas le rapport conflictuel qu’elle entretient avec ses employés. En 2013, lors du vote de la loi sur le mariage pour tous, elle envoie une tribune à publier sur le Huffington Post. Dans son billet, modifié depuis, elle reprenait heure par heure ses activités avant et après le vote.
Elle livrait aussi cette étonnante description : « Ma collaboratrice, plutôt de mauvaise humeur depuis ce matin, n'arrête pas de parler au téléphone. Décidément, elle n'a pas trop envie de travailler aujourd'hui. Un autre imprime des textes. Le bruit m'empêche de suivre, mais ils n'en ont que faire. »
« Qu'y a-t-il de mal à ça ? C’était humoristique », plaide la sénatrice.
En février 2014, Sarah annonce qu’elle va quitter le cabinet à l’été et qu’elle compte préparer de manière sérieuse la transition pour son successeur. Début avril, elle se rend chez la généraliste pour un rhume. « Elle m’a dit que je ne pouvais pas reprendre le travail tout de suite et que j’étais en souffrance et m’a prescrit deux semaines d’arrêt maladie », explique-t-elle, documents à l’appui. À l’issue de cet arrêt, le médecin le prolongera de quinze jours.
Mise au courant, la sénatrice décide d’abréger sa collaboration et de la faire partir avant l’été. Son message d’au revoir est lapidaire : « Veuillez svp passer le 28 avril pour nous déposer votre téléphone et les clés et bien sûr prendre des affaires qui vous appartiennent. Bien à vous. »
« Je me suis effondrée en larmes à la lecture de ce mail. Après deux ans et demi de travail, c’est comme ça qu’elle m’a dit merci », indique Sarah. « Je lui ai juste épargné son préavis pour qu’elle puisse préparer sa soutenance de thèse », se défend l'élue.
Des salariées femmes parfois moins payées que les hommes
« Benbassa dit défendre les indignés et des idées progressistes, mais c’est la première à les bafouer », lâche Benoît, un autre ancien collaborateur. Les huit ex-assistants parlementaires dénoncent notamment la répartition des rémunérations. « Cela lui arrivait de moins bien payer les femmes que les hommes à compétences égales, accuse Carine*, qui a travaillé pour elle en 2019. J’étais payée 200 euros de moins que mes collègues hommes. » Esther Benbassa jure n’avoir « jamais moins payé les femmes que les hommes».
Grâce aux fiches de paie consultées, Mediapart a toutefois pu constater que les salaires étaient parfois inégaux. La même année par exemple, Dany était payée environ 1 870 euros net quand Grégoire et Cédric recevaient 2 282 euros de rémunération. Ils étaient pourtant tous juniors avec cinq ans d’études après le bac et seul Cédric avait une plus grande ancienneté.
En avril dernier, la sénatrice avait d’ailleurs pris la parole dans l’hémicycle pour défendre l’augmentation du salaire des enseignants. Et laissait penser, au passage, qu’elle payait correctement ses salariés : « Quand on voit qu’un étudiant agrégé gagne 2 000 euros en début de carrière alors que les collaborateurs parlementaires au Sénat commencent à un taux beaucoup plus élevé. » Sa sortie a immédiatement suscité l’indignation de la section CGT des collaborateurs qui s’est fendue d’un communiqué pour dénoncer des propos « choquants ».
D'autant que les rémunérations de la sénatrice pouvaient parfois être faibles. En 2013 par exemple, l’un de ses collaborateurs était payé environ 1 580 euros net par mois. Si Esther Benbassa affirme que c’est parce qu’il était « à temps partiel », ses fiches de paie indiquent qu’il travaillait bien à temps complet.
Esther Benbassa perd un procès contre deux étudiants
Ce mode opératoire serait identique à l’École pratique des hautes études, lorsque Esther Benbassa n’était pas encore sénatrice. Six étudiants, qui ont également collaboré avec elle en tant qu’assistants, pour certains de 2006 à 2011, décrivent auprès de Mediapart « les pressions quotidiennes » qu’elle pouvait aussi exercer sur eux.
Des étudiants ont même rédigé un roman à clé qu’ils ont tenté de faire publier en 2010. Sur 300 pages, ils brossent un portrait déflagrateur d’Esther Benbassa et publient même des mails qu’elles pouvaient leur envoyer. Les accusations sont les mêmes que celles des assistants parlementaires.
« Elle alterne les compliments et les cadeaux avec des humiliations et des menaces », témoigne Pauline*, qui était son étudiante en plus d’être son assistante au centre Alberto-Benveniste. « Elle avait aussi l’habitude de nous envoyer des mails assassins dès qu’on était en vacances. Elle ne le supportait pas », ajoute Yvan* qui a travaillé avec elle entre 2005 et 2008. Encore une fois, la sénatrice jure n’avoir « jamais harcelé personne ».
« Yvan, il n’est pas possible de travailler avec vous, vous avez tous les défauts des chercheurs de pays dits émergents », lui envoie-t-elle par exemple le 25 décembre 2006 entre autres dizaines de courriers du même genre. Le 3 septembre 2007, elle lui reproche de ne pas lui avoir répondu pendant ses congés et le 22 février 2008, alors que Yvan est encore en vacances, elle lui envoie un mail pour dénigrer une autre étudiante qu’elle emploie également : « Marina* continue à envoyer des trad torchon et les remarques glissent sur elle. Je suis furieuse, moi qui travaille tant et qui se tue à la tâche. Je commence à la haïr et cela m’arrive très rarement. »
Le 11 octobre 2007, Pauline est hospitalisée d’urgence pour une hémorragie interne. « J’étais en congé donc je n’ai rien dit, mais elle m’a harcelée d’appels. J’ai fini par lui écrire que je ne pouvais pas répondre, étant hospitalisée », témoigne Pauline. « Là c’était fou. Elle a été très intrusive et a contacté l’hôpital pour tenter de savoir ce que j’avais exactement et dans quelle chambre j’étais », ajoute-elle. Esther Benbassa et son mari finissent par se rendre dans sa chambre le lendemain. Lors de la convalescence de Pauline, Esther Benbassa lui aurait reproché son arrêt maladie qu’elle jugeait trop long. « Je ne lui ai jamais reproché ça, je suis même allée la voir », rétorque l’élue, malgré plusieurs témoignages disant l’inverse.
D’après notre décompte, au moins six étudiants qui l’avaient choisie pour diriger leur thèse ont finalement renoncé entre 2007 et 2011.
« Lessivés », Pauline et Yvan avaient quitté le centre en 2008, « mais son comportement problématique n’a pas cessé », explique Yvan. Les deux étudiants avaient en effet travaillé pendant plusieurs années avec Esther Benbassa pour écrire les notices d’un dictionnaire « des racismes, de l’exclusion et des discriminations » pour les éditions Larousse. Esther Benbassa a tenté de les évincer de la couverture alors qu’ils avaient signé un contrat de co-auteurs.
D’après nos informations, Esther Benbassa, qui avait attaqué en justice ses deux étudiants et Larousse, a été condamnée le 31 mars 2009 à payer 2 000 euros chacun aux étudiants et à la maison d'édition. « L’attitude intransigeante et irrespectueuse des règles protectrices du Code de la propriété intellectuelle de Mme Esther Benbassa (...) justifient l’allocation de la somme de 2 000 euros à chacun des défendeurs », précise notamment le jugement. Le dictionnaire a finalement été publié et les deux noms des étudiants ont été conservés.
Des alertes ignorées au Sénat et chez EELV
Alors comment comprendre que ces agissements aient pu durer tant d’années ? D’après les étudiants d’Esther Benbassa contactés, la direction de l’EPHE avait été alertée sur son comportement comme le montrent plusieurs mails. Même chose au Sénat où la majorité des personnes jointes affirment que « tout le monde savait ».
« On entendait très souvent Esther hurler sur ses collaborateurs quand on passait dans leur couloir », témoigne d’ailleurs le collaborateur d’un autre sénateur. La sénatrice balaie les accusations. « Il arrive qu’on s’énerve entre nous car on a beaucoup de travail, explique-t-elle. Pour les hommes, les femmes crient tout le temps quand elles demandent des choses. Et moi je suis une femme étrangère avec un accent, donc selon eux je crie. » Un élément pourtant confirmé par cinq autres salariés du Sénat présents à proximité du bureau de la sénatrice.
En 2020, Éliane Assassi, la présidente du groupe communiste au Sénat, dont Esther Benbassa faisait partie, est alertée et reçoit l’ensemble de ses assistants. « À l’époque où Esther était dans mon groupe, ses collaborateurs m’ont fait part de nombreux dysfonctionnements. Ils évoquaient de nombreux propos ou actes dégradants, confirme-t-elle à Mediapart. Je leur ai dit qu’il fallait en parler et que des structures existaient pour signaler les faits. » Sans vouloir détailler les mesures qu’elle a pu prendre, la sénatrice assure « avoir pris ses responsabilités » et en « avoir parlé à qui il fallait ».
Grégoire, lui, a alerté la commission anti-harcèlement du Sénat, mais n’est pas allé jusqu’au bout des démarches. « J’ai été en arrêt maladie, complètement déprimé », explique-t-il. Une attestation médicale confirme que son « état de santé a nécessité un suivi médical régulier entre septembre et décembre 2020 ». « Je n’avais plus la force de m’engager là-dedans. Ma priorité était de trouver un autre boulot », justifie-t-il. Plusieurs élus ont en effet aidé certains collaborateurs à trouver un autre poste. « On a passé leurs CV à beaucoup de gens », rapporte un membre du groupe écologiste au Sénat.
Joint par Mediapart pour savoir pourquoi aucune mesure n’a été prise par le groupe EELV au Sénat, le tout récent président Guillaume Gontard n’a pas souhaité nous répondre.
D’après nos informations, enfin, Esther Benbassa s’est entretenue avec Gérard Larcher le 22 avril 2020. Quelle était la teneur de ce rendez-vous ? Sollicité par Mediapart, le cabinet du président du Sénat a choisi de se murer dans le silence. La sénatrice, elle, affirme qu’on ne lui a « jamais » parlé du traitement qu’elle réservait à ses collaborateurs.
Les ex-assistants parlementaires et les anciens étudiants contactés par Mediapart disent tous parler aujourd’hui pour « faire en sorte qu’il n’y ait plus d’autres victimes ». Deux d’entre eux songent à porter plainte contre l’élue écologiste.
Les prénoms avec un astérisque ont été modifiés.
Les assistants parlementaires et les étudiants qui ont accepté de témoigner, soucieux de leur vie privée et de leur carrière professionnelle, ne souhaitent pas apparaître sous leur vrai nom dans l’article. Ils craignent aussi des « représailles » d’Esther Benbassa.
Cinq d'entre eux ont cependant accepté, au cas où la sénatrice attaque Mediapart en diffamation, de témoigner auprès du tribunal des propos et des faits détaillés dans l’article.
Cette enquête, débutée il y a plusieurs mois, s’appuie sur des centaines de documents (SMS, mails, enregistrements, courriers, certificats…).
Esther Benbassa a été longuement contactée par téléphone le lundi 5 juillet 2021. Elle a ensuite envoyé à Mediapart un dossier contenant plusieurs messages de remerciements envoyés par d'anciens collaborateurs.
Plusieurs fois sollicité, le président du groupe EELV au Sénat, Guillaume Gontard, avait précisé à Mediapart qu’il nous rappellerait le 6 juillet 2021, ce qu'il n’a finalement pas fait.
- Plusieurs de vos anciens assistants parlementaires évoquent un « climat de terreur » en travaillant avec vous. Qu’avez-vous à dire ?
Non je ne vois pas. Je suis peut-être quelqu’un d'exigeant car lorsqu’on écrit, je corrige. Mais quand mes collaborateurs sont partis, ils sont partis car je n’avais pas assez d’argent étant donné qu’on a des points que nous partageons entre les trois collaborateurs, donc ça fait peu d’argent. J’ai un collaborateur qui a travaillé 5 ans avec moi et qui est encore mon étudiant, il finit sa thèse. Il occupe mon bureau à la fac.
- Plusieurs ex-collaborateurs évoquent aussi des « humiliations à répétition » et « des changements d’humeur récurrents » et parfois violents. Qu’avez-vous à répondre ? Vos relations ont pu parfois être compliquées avec certains ?
J’ai eu un collaborateur qui s’est mis en congé maladie, son profil ne correspondait pas, il m’a dit qu’il avait trouvé du travail. Cela a pu arriver, mais ceux qui partaient étaient en CDD et d’autres partent car ils trouvent du travail. J’ai même une ancienne collaboratrice qui est revenue travailler au groupe aujourd’hui. J’ai des gens qui m'envoient des fleurs pour mon anniversaire même depuis qu’ils sont partis.
- Vous arrivait-il de crier sur vos collaborateurs lorsque vous étiez dans votre bureau au Sénat ?
Il arrive qu’on s’énerve entre nous car on a beaucoup de travail. On discute à haute voix. Pour les hommes, les femmes crient tout le temps quand elles demandent des choses. Et moi je suis une femme étrangère avec un accent, donc selon eux je crie. Je ne crie pas sur eux et personne n’a entendu dans les couloirs que je crie sur quelqu’un. J’ai une voix de prof mais je ne crie pas.
- Certains ex-collaborateurs évoquent des remarques violentes , du dénigrement, lorsque vous leur reprochiez d’avoir commis des fautes dans le travail qu’ils avaient à rendre. Est-ce exact ?
Quand ils écrivent correctement ça va, sinon je les corrige. Je leur fais des remarque c’est vrai, mais je ne les dénigre pas et dire qu’il faut faire les choses de telle façon, ce n’est pas du dénigrement. Au contraire, j’essaie de leur apprendre le métier et je suis exigeante, c’est vrai, mais cela ne m’empêche pas de leur dire quand c’est très bien et de faire des fêtes, des déjeuners et dîners avec eux.
- Tous évoquent des menaces de licenciement récurrentes. Est-ce exact ?
Je ne me souviens pas, peut-être dans un moment de colère. On est souvent dans le rush, il se peut que j’ai pu dire un mot de trop. Mais ils savent que je les ai toujours soutenus.
- Vous pouvez envisager que ces menaces aient pu créer un climat de peur pour eux ?
Mon objectif n’était pas de les menacer. J’en ai gardé certains 7 ans ou 5 ans, 3 ans. Chez nous le turn-over est de 3 ans.
- En janvier 2020 avez-vous annoncé à l’une de vos collaboratrices, qui devait se faire opérer d’un pneumothorax que vous souhaitiez vous séparer d’elle après qu’elle vous a annoncé devoir se faire opérer ?
Non, je ne lui ai pas dit que je voulais me séparer d’elle. Je lui ai seulement demandé, parce qu’elle avait un pneumothorax je crois qu’elle avait depuis un moment je suppose, si elle pouvait faire cette opération en février car comme ça elle pouvait prendre un long congé. Elle m’a dit non et j’ai accepté qu’elle se fasse opérer en janvier. Je ne lui ai pas du tout dit que je voulais me séparer d'elle, surtout que je l’aimais bien. Je lui ai seulement demandé de reporter un peu mais elle s’est fait opérer au moment où elle l’a demandé. Elle m’a d’ailleurs envoyé un mail de remerciement lors de son départ.
- Avez-vous demandé à votre collaboratrice, deux jours avant son opération, le 9 mars, si elle pouvait décaler l'hospitalisation à juillet 2020 ?
Non, je ne lui ai pas demandé pour juillet, je lui ai dit de décaler aux vacances de février ou de mars. Elle m’a dit non et s’est fait opérer à la date qu’elle avait convenu.
- Lui avez-vous précisé lors de cette même discussion que son « médecin avait son mot à dire », mais que vous aussi et que vous aviez un « calendrier parlementaire » ?
Non, je lui ai dit gentiment puisqu’elle a cette maladie depuis un moment si elle peut faire ça en février ou avril.
- Lui avez-vous reproché de livrer « des réponses de syndicaliste » lorsqu’elle vous a répondu qu’elle agirait selon la décision de son médecin ?
Je ne me souviens pas de ça. Peut-être en rigolant.
- Lui avez-vous ensuite dit que vous souhaitiez vous séparer d’elle en lui reprochant de vous avoir répondu qu’elle privilégiait la décision de son médecin et en lui reprochant la rédaction d’une lettre que vous n’aviez pas appréciée ?
Non, je ne lui ai jamais dit ça. Elle a démissionné mais c’est vrai que si je lui ai dit de reporter un peu c’est qu’elle était très souvent malade. Elle était stagiaire, je lui ai fait un CDI après car elle avait des problèmes d’argent et je l’ai titularisée avant les fêtes de Noël pour qu’elle ait un salaire.
- Lui avez-vous précisé que comme elle, « il y a des dizaines qui ne savent pas écrire une lettre et qui n’ont pas leur place au Sénat » ?
Non, je n’ai jamais pu dire ça.
- Lui avez-vous annoncé vouloir vous séparer d’elle via une rupture conventionnelle le 23 avril 2020, pendant sa période d’arrêt maladie ?
Non, on s’est séparés bien plus tard, en juin. J’ai attendu que le confinement soit levé avant de me séparer d’elle.
- Avez-vous exigé en janvier 2020 qu’elle vous accompagne lors d’un déplacement avec le média Konbini alors qu’elle avait un rendez-vous chez un anesthésiste pour préparer son opération ?
Je ne m’en souviens pas. Elle a dû aller chez l’anesthésiste, c’est tout.
- Est-il exact que vous avez demandé, avant de vous raviser, à l’un de vos collaborateurs de ne pas se confiner en famille et de revenir travailler à Paris le 15 mars ?
Jamais de la vie. Je les ai tous mis en télétravail surtout que moi-même j’ai attrapé le covid.
- Est-il exact que vous avez demandé à ce même collaborateur de ne plus télétravailler à partir du 11 mai 2020, jour du déconfinement, ce qu’il aurait refusé ?
Moi je me suis conformé aux règles exactes du Sénat. Ils ont télétravaillé et ils venaient peut-être un jour ou deux. J’ai respecté le règlement du Sénat. Je n’aurais jamais fait ça, j’ai veillé à leur santé. L’un de mes collaborateurs a d’ailleurs eu le covid plus tard et a été hospitalisé, je l’ai aidé.
- Est-il exact que vos collaborateurs avaient le droit de prendre leur pause déjeuner uniquement entre 13 h et 14 h et qu’il vous arrivait régulièrement de le vérifier en les contactant par téléphone au bureau avant ou après ?
Non, je suis une des rares sénatrices à ne jamais appeler le soir. Je ne surveille pas l’heure d’arrivée ou de départ. Ils ne m’ont jamais demandé d’y aller à midi. Je leur donne 9 semaines de vacances.
- Est-il exact que certaines femmes, aux compétences égales, étaient moins rémunérées que les hommes au sein de votre bureau ?
Non, j’ai toujours, quand j’avais 165 points, partagé équitablement. Je n’ai jamais payé moins les hommes que les femmes. Ma collaboratrice actuelle est payée comme les autres 3400 euros brut. Les personnes plus anciennes perçoivent un peu plus.
- Est-il exact que l’un de vos collaborateurs de 2012 était rémunéré 1 580 euros net par mois pour un temps complet ?
C’était un temps partiel.
- Combien d’assistants parlementaires avez-vous employés depuis 2011 ?
Je ne sais pas, 8 ou 10, je ne saurais pas vous dire. Certains sont restés longtemps.
- Est-il exact que votre mari, Jean-Christophe Attias, pouvait demander à vos assistants d’effectuer des tâches précises ?
Non, c'est lui qui m’aide surtout à tenir mon site. Il n’a jamais demandé à qui que ce soit de l’aide.
- Avez-vous exprimé votre regret qu’il n’y ait « personne dans votre bureau » pour vous aider et « préparer vos dossiers » lorsque votre collaboratrice a dit devoir prolonger son séjour en Tunisie pour être au chevet de son père malade ?
Je ne me souviens pas de toutes mes phrases, mais je suis connu pour être très humain. Surtout, cette personne était mon étudiante. Je ne lui aurais jamais dit ça.
- Avez-vous écrit ce passage, supprimé depuis, dans une tribune publiée dans le Huffington Post en 2013 : « Je file dans mon bureau exigu pour suivre par écran interposé les explications de vote qui précèdent le scrutin, à l'Assemblée nationale(...) Ma collaboratrice, plutôt de mauvaise humeur depuis ce matin, n'arrête pas de parler au téléphone. Décidément, elle n'a pas trop envie de travailler aujourd'hui. Un autre imprime des textes. Le bruit m'empêche de suivre, mais ils n'en ont que faire. Je m'accroche pour saisir chaque mot. L'émotion monte.»
Oui et qui y a t il de mal à ça ? C’était humoristique. C’était de l’ironie. Si j’ai écrit ça avec humour, c’est un peu la vérité, je racontais un moment. Nous sommes très nombreux dans le même bureau.
- Est-il exact que vous avez abrégé votre collaboration avec votre collaboratrice lorsque vous avez été informée qu’elle avait prolongé un arrêt maladie en avril 2014 ?
Pas du tout, elle devait partir. Je lui avais fait une rupture conventionnelle. Je lui ai juste épargné son préavis pour qu’elle puisse préparer sa soutenance de thèse. J’étais un peu chagrinée qu’elle parte.
- Plusieurs anciens étudiants de l’EPHE que vous avez employés au centre Alberto Benveniste, dénoncent des pressions et humiliations à répétition…
Pressions en quoi ? Cela n’a rien à voir avec ma vie sénatoriale. Je n’ai jamais harcelé ces personnes.
- Vous arrivait-il de leur reprocher de ne pas être assez joignable même sur des temps de congés ?
Jamais. Je ne les appelle jamais ni le samedi, ni le dimanche, ni pendant les vacances.
- Avez-vous reproché à l’une de vos étudiantes d’avoir un « arrêt maladie trop long » après son hospitalisation pour une hémorragie le 11 octobre 2007 ?
Je suis allée la voir à l’hôpital. Je n’ai jamais reproché ça. Je comprends plus, vous faites mon histoire à l’EPHE aussi ?
- Avez-vous été condamnée par la justice pour avoir voulu retirer deux étudiants de la couverture de votre dictionnaire « des racismes, de l’exclusion et des discriminations » chez Larousse alors qu’ils avaient signé un contrat de co-auteur ?
Ce n’est pas ça. Ils avaient fait du copier-coller de dictionnaires existants et nous avons avec mon mari réécrit une grande partie des notes qu’ils avaient faites. On a réglé le problème sans qu’il y ait de soucis. J’ai été condamnée, on avait perdu en première instance. On a pas fait appel et cela a été réglé. Les noms ont été conservés. On a passé un accord au final qui est confidentiel.
- Avez-vous eu un rendez-vous avec Gérard Larcher le 22 avril 2020 ? Quel était l’objet de ce rendez-vous ?
Je le vois de temps à autre. Il ne m’a jamais parlé de mes relations avec mes collaborateurs .