Dans une tribune au Monde publiée samedi 24 septembre 2022 à 6h, que je signe avec David Cayla (économiste et essayiste), Catherine Coutard (vice présidente du MRC), Marie-Noëlle Lienemann (sénatrice GRS de Paris et ancienne ministre) et Emmanuel Maurel (député européen et animateur national de la GRS), nous expliquons que la gauche doit arrêter d’être défaitiste en renonçant au plein-emploi. Elle ne doit pas oublier l’importance du travail dans la société, et ce que nous devons tous à ceux qui l’assument. Vous trouverez cette tribune ci-dessous.
La place du travail dans la société et dans le projet que la gauche doit proposer aux Français ne devrait pas faire polémique. Au-delà des slogans et des petites phrases qui ont été échangées par les uns et les autres, François Ruffin (député La France insoumise) et Fabien Roussel (député du Nord et secrétaire national du Parti communiste français) ont rappelé que les aspirations de nos concitoyens ne sont pas celles d’une société post-travail, mais celles d’une société qui puisse apporter à chacun un travail digne et vecteur d’émancipation.
Commençons par rappeler une évidence : il n’y a pas de société sans travail. Cela est vrai pour tout système économique, qu’il soit capitaliste ou non. De fait, le travail, qu’il soit salarié, indépendant, familial ou produit bénévolement pour une association, est la seule source de richesse pour la communauté.
L’Etat social s’est ainsi construit
Karl Marx (1818-1883) lui-même, théoricien de la valeur travail, n’a jamais nié son importance. Lorsqu’il développe au milieu du XIXe siècle ses réflexions et ses écrits sur le système capitaliste, il dénonce l’aliénation par le travail du prolétaire dépossédé de son individualité et de sa contribution personnelle.
Le prolétaire est celui qui ne possède que sa force de travail, qu’il vend contre un subside de misère. L’idée commune du XIXe siècle, chez tous les philosophes et acteurs d’un mouvement socialiste en construction, c’est que l’émancipation des travailleurs doit passer par leur association, leur rendant ainsi la maîtrise de l’outil de travail et le bénéfice de son produit.
Face au travail exploité incarné par le salariat, le socialisme rêvait d’un travail émancipé, organisé collectivement par les travailleurs eux-mêmes. Mais le salariat s’est étendu, tant et si bien qu’au début du XXe siècle, les conditions d’organisation de la production et de nos sociétés en ont fait le vecteur principal de distribution des revenus, notamment par la création de la Sécurité sociale.
De son côté, le droit social est venu protéger le salarié, améliorer ses conditions de travail et défendre l’expression syndicale au sein des entreprises.
L’Etat social s’est ainsi construit patiemment, comme le rappelle l’économiste Christophe Ramaux dans son dernier ouvrage, Pour une économie républicaine. Une alternative au néolibéralisme (De Boeck, 336 pages, 21,90 euros). L’une de ses applications concrètes fut d’attacher au statut de salarié un cadre légal visant à sortir de l’arbitraire capitaliste.
Une même logique d’aliénation
D’ailleurs, la stratégie des nouveaux acteurs du capitalisme que sont notamment les plates-formes numériques vise à enfoncer un coin dans le statut protecteur du salariat, faisant passer l’autoentrepreneuriat ou la soumission à un algorithme pour une forme de libération, alors que cela replonge le travailleur dans la même logique d’aliénation que celle qui fut dénoncée par Marx en son temps.
La question de l’émancipation des travailleurs doit rester au cœur des propositions de la gauche. Mais cela implique plusieurs choses.
Tout d’abord, il faut reconnaître que le travailleur est non seulement celui qui travaille, mais aussi tous ceux qui ont travaillé ou ont vocation à travailler sans être en mesure de le faire.
En ce sens, les chômeurs, les personnes en situation d’exclusion ou de handicap, ceux qui sont empêchés par la maladie, tout comme les retraités constituent ensemble la grande classe des travailleurs, et il est vain de chercher à les opposer. Il n’y a pas d’un côté des assistés fainéants et de l’autre des travailleurs méritants.
Admettre que les chômeurs, les étudiants et les retraités appartiennent à la grande classe des travailleurs implique qu’on réhabilite le travail, ce qui signifie en premier lieu de le rémunérer correctement, et en second lieu de lui donner des conditions dignes sur le plan sanitaire et social pour sa réalisation. Mais réhabiliter le travail, c’est aussi sortir du discours sur la fin du travail qui fait dire à certains dirigeants politiques que, « de toute façon, il n’y aura jamais assez de travail pour tout le monde ». Quand on voit le nombre de besoins sociaux insatisfaits, cette posture est mortifère.
Discours enflammés de la droite
Nous avons besoin de travail, parce que nous sommes pour le progrès social, et parce que nous pensons que chacun a la capacité de contribuer à sa mesure au bien commun. Ainsi, les étudiants ont vocation, une fois leurs études achevées, à contribuer à la création de richesses.
De même, les chômeurs doivent bénéficier d’un service public de qualité pour être accompagnés dans l’emploi. A ce titre, rappelons l’expérience fructueuse qu’ont été les expérimentations territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD), qui ont permis d’accompagner dans l’emploi des milliers de personnes en situation d’exclusion.
Nous ne devons pas nous laisser abuser par les discours enflammés de la droite et du gouvernement sur la valeur travail alors qu’ils œuvrent inlassablement pour réduire le coût, et donc la valeur économique du travail. Nous ne devons pas oublier que c’est le capitalisme néolibéral qui détruit le travail, lui fait perdre son sens, le parcellise.
Les droits et la dignité
C’est le capitalisme qui jette les travailleurs usés, qui délocalise et qui pousse les cœurs vaillants au burn-out. Sortir le travail de cette exploitation, ce n’est pas nier son rôle social, sa nécessité, c’est au contraire lui rendre son sens premier, celui de créateur de richesses et de progrès social.
Il faut remercier François Ruffin et Fabien Roussel d’avoir remis le travail au cœur du débat à gauche. Ce qu’ils disent, c’est que la gauche doit arrêter d’être défaitiste en renonçant au plein-emploi. Elle ne doit pas oublier l’importance du travail dans la société et ce que nous devons tous à ceux qui l’assument.
Comme eux, nous sommes convaincus que la gauche doit protéger le travailleur empêché non seulement en lui versant des revenus complémentaires, mais aussi, et surtout, en l’accompagnant dans l’emploi de qualité. Elle doit défendre les droits et la dignité de l’ensemble de la classe des travailleurs, qu’ils soient ou non en emploi. C’est ainsi qu’elle amorcera sa reconquête de l’électorat populaire et sera en mesure de reconstruire une majorité de transformation sociale.
Les signataires : David Cayla, économiste à l’université d’Angers ; Catherine Coutard, vice-présidente du Mouvement républicain et citoyen ; Frédéric Faravel, membre de la direction nationale de la Gauche républicaine et socialiste ; Marie-Noëlle Lienemann, ancienne ministre, sénatrice (PS) de Paris ; Emmanuel Maurel, député européen, animateur national de la Gauche républicaine et socialiste
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