Le gouvernement négocie avec le PQ
Québec - lundi 28 mai 2007
Coincé, le gouvernement libéral de Jean Charest a entrepris des discussions avec le Parti québécois pour éviter le déclenchement d'une élection générale si son budget est rejeté par l'Assemblée nationale vendredi.
«Je ne veux pas retourner en élection et les Québécois ne veulent pas retourner en élection», a déclaré le Premier ministre au cours d'une des nombreuses entrevues télévisées qu'il a accordées en soirée.
Les ministres de la Santé et de l'Education, Philippe Couillard et Michelle Courchesne, rencontreront mardi leurs vis-à-vis péquistes Bernard Drainville, député de Marie-Victorin, et Diane Lemieux, députée de Bourget, afin de réaménager le budget pour satisfaire le Parti québécois, qui a annoncé son intention de voter contre le budget déposé la semaine dernière.
Le PQ demande que le gouvernement libéral investisse davantage dans les soins à domicile, les régions-ressources, l'aide aux personnes âgées et les élèves en difficulté, mais le parti devient évasif quand on lui demande de préciser le montant de ses demandes.
«Il faudrait que le PQ soit beaucoup plus précis» et qu'il «exprime un peu plus clairement ce qu'il veut», notamment sur le plan des mesures économiques, a indiqué le ministre du Développement économique, Raymond Bachand, en rappelant que le budget comportait déjà une stratégie économique de 825 millions $.
«C'est quoi leur vrai agenda ?», s'est-il demandé, au cours d'un entretien téléphonique, en parlant des élus péquistes, et en laissant entendre que les querelles autour du budget n'étaient qu'un prétexte pour «provoquer des élections».
De son côté, le Premier ministre a déclaré être ouvert aux négociations avec le PQ, mais qu'il n'était pas question de toucher aux 950 millions $ promis pour les baisses d'impôt.
«On peut avoir des discussions avec le Parti québécois sur les domaines où ils voudraient qu'on coupe, mais il n'est pas question de toucher aux baisses d'impôt, a déclaré M. Charest. On veut une économie compétitive (...) et on veut que la classe moyenne puisse recevoir aussi un peu d'aide.»
Si le gouvernement libéral minoritaire n'obtient pas l'appui d'un des 2 partis d'opposition, il sera défait lorsque le budget sera soumis à l'approbation de l'Assemblée nationale, vendredi prochain. Il ne resterait alors que 2 possibilités : le déclenchement d'une élection générale ou une initiative surprise du lieutenant-gouverneur d'appeler le chef de l'Action démocratique, Mario Dumont, pour lui demander de former un nouveau gouvernement.
Le chef intérimaire du Parti québécois, François Gendron, a indiqué que cette rencontre permettra de constater le degré d'ouverture du gouvernement Charest.
L'attaché de presse du Premier ministre, Hugo D'Amours, a précisé de son côté que le gouvernement n'avait pas l'intention de dénaturer son budget, ni de reculer sur sa promesse de baisse d'impôt de 950 millions $.
Le ton du gouvernement a changé radicalement entre vendredi et lundi. Vendredi, le Premier ministre Charest et les membres de son cabinet clamaient que le gouvernement avait fait tous les compromis et toutes les concessions possibles, et soutenaient que les demandes de l'opposition avaient été prises en compte. Lundi, on se disait prêt à des accommodements.
«Un gouvernement responsable est toujours à l'écoute de la population», a déclaré pour sa part le ministre de la Santé, Philippe Couillard, pour expliquer le changement d'attitude.
«On verra ce qu'il est possible de faire pour répondre aux requêtes et aux demandes du Parti québécois», a-t-il ajouté.
2 éléments influencent directement ces pourparlers entre le gouvernement libéral et l'opposition péquiste.
D'une part, le Parti québécois veut éviter que, pour satisfaire les demandes péquistes, Jean Charest coupe dans d'autres secteurs de l'administration ou augmente certains tarifs pour les services publics.
«Il serait facile alors pour les libéraux de dire que ces coupes de services ou ces hausses de tarifs sont attribuables au Parti québécois», a expliqué un stratège de l'aile parlementaire péquiste. Le Parti québécois veut donc savoir exactement d'où proviendra l'argent qui satisfera ses exigences pour de meilleurs soins à domicile ou pour aider les élèves en difficulté.
Autre donnée majeure : un récent sondage Léger Marketing-Le Devoir, publié lundi, montre que les libéraux sont relégués au 3ème rang dans les intentions de vote des Québécois.
Selon ce sondage, l'Action démocratique recueille 33% des intentions de vote, contre 30% au Parti québécois et seulement 28% pour le Parti libéral.
Chez les francophones, le PLQ est loin en 3ème place, ce qui indique que les libéraux seraient balayés presque partout au Québec sauf dans les châteaux forts anglophones de l'Ouest de Montréal.
Le même sondage indique également que les Québécois rejettent à 70% les baisses d'impôt annoncées dans le dernier budget de la ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget.
Ces données affaiblissent la position de négociation du gouvernement libéral.
Le Bloc creuse l'écart
Ottawa -- La volte-face surprise du chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, qui a changé d'avis sur son avenir politique en 24h le 12 mai dernier, n'a pas érodé la confiance que les Québécois ont en lui. Au contraire, depuis quelques semaines, le parti souverainiste à Ottawa a même accentué son avance sur le Parti conservateur dans les intentions de vote au Québec. C'est ce qui se dégage du volet fédéral du sondage Léger Marketing-Le Devoir. Par contre, le potentiel de croissance des votes est beaucoup plus fort chez les conservateurs, puisque 56% des répondants affirment être satisfaits du gouvernement Harper, une donnée importante.
Si une élection avait eu lieu sur la scène fédérale entre le 23 et le 26 mai, le Bloc québécois aurait récolté la faveur de 36% des répondants québécois (après répartition des indécis). C'est une progression de 2% depuis le dernier sondage de la firme Léger Marketing paru le 16 avril dernier. Le Parti conservateur, de son côté, revient à 28%, après un bond à 34% en avril, quelques jours après le dépôt du budget fédéral. «Ce n'est pas une baisse du Parti conservateur, mais un retour à la normale. Ses intentions de vote tournent habituellement autour de 26 à 28% depuis un bon moment au Québec», souligne Jean-Marc Léger, président de la firme Léger Marketing.
Pour le Parti libéral du Canada, les intentions de vote ne décollent toujours pas. La formation de Stéphane Dion est maintenant talonnée par le NPD dans la province. Ainsi, à peine 17% des 1001 répondants voteraient pour le PLC, contre 13% pour le NPD. Il s'agit d'une baisse de 2% pour les libéraux et d'une hausse de 4% pour les néo-démocrates depuis le 16 avril. Le Parti vert d'Elizabeth May récolte 5%.
Chez les électeurs francophones qui décident du sort des politiciens dans une 50ne de circonscriptions au Québec (sur 75), le portrait est encore plus sombre pour les libéraux fédéraux. À peine 13% des francophones voteraient pour Stéphane Dion. C'est un point de moins que le NPD (14%). Le Bloc québécois est solidement en avance chez les Québécois francophones, avec 40 %, contre 26 % pour le Parti conservateur.
«La marque libérale est ternie au Québec depuis le scandale des commandites. 13 %, c'est extrêmement faible. Même chez les non-francophones, le PLC est devancé par le Parti conservateur (31% contre 35%), ce qui est unique», explique Jean-Marc Léger. Un tel résultat ne permettrait pas au PLC d'augmenter le nombre de sièges qu'il est allé chercher au Québec à la dernière élection (le PLC en a obtenu 13, le Bloc 51 et le PC 10).
Selon Jean-Marc Léger, les intentions de vote montrent que les Québécois ont facilement pardonné à Gilles Duceppe sa valse-hésitation entre le PQ et le Bloc il y a un peu plus de 2 semaines. Mais pour être bien certain, Léger Marketing a demandé aux électeurs en quel chef politique ils avaient le plus confiance. Encore là, Gilles Duceppe arrive en tête (30%), devant Stephen Harper (28%), Jack Layton (16%) et Stéphane Dion (13%). Elizabeth May, peu connue au Québec, récolte 2%.
Les francophones font davantage confiance à Gilles Duceppe (35%) devant Stephen Harper (26%), alors que chez les non-francophones, Harper est fortement en avance. Pas moins de 38% des répondants allophones lui font le plus confiance, devant Stéphane Dion (21%), Jack Layton (15%) et Gilles Duceppe (8%).
«Gilles Duceppe n'a pas perdu de point [personnel] ni d'intentions de vote malgré ses difficultés. Sa crédibilité n'est pas atteinte. L'indicateur de confiance n'a pas bougé», affirme Jean-Marc Léger.
Par contre, le potentiel de croissance de la formation souverainiste est faible, dit le sondeur. «L'appui à la souveraineté du Québec est présentement à 39 %, soit son plus faible résultat depuis 2002. Or c'est à peine 3% de plus que les intentions de vote du Bloc, ce qui n'est pas bon signe», dit le président de Léger Marketing.
Les meilleures perspectives d'avenir sur la scène fédérale au Québec se trouvent du côté des conservateurs, juge Jean-Marc Léger. Le gouvernement Harper reçoit en effet un taux de satisfaction de 56% dans la province, alors que 40% des citoyens sont insatisfaits de ses actions. «Dans les pays occidentaux, c'est très rare maintenant que les gens soient majoritairement satisfaits d'un gouvernement. Les électeurs sont de plus en plus critiques. Il y a 2 fois plus de gens satisfaits du gouvernement que de gens prêts à voter pour Stephen Harper. Il y a là un potentiel de croissance beaucoup plus élevé que dans tout autre parti fédéral», dit-il.
Mais, visiblement, le Premier ministre fédéral ne suscite toujours pas d'engouement chez plusieurs électeurs. «Les citoyens respectent Harper, mais ils ne l'aiment pas encore. La connexion émotive n'est pas faite. Sauf que le taux de satisfaction montre que les gens cherchent des raisons de voter pour lui, sans toutefois les avoir trouvées pour l'instant», dit Jean-Marc Léger.
Selon lui, le portrait général de la situation montre que les courses à 3 pourraient être nombreuses au Québec lors du prochain scrutin fédéral. Une division du vote fédéraliste, notamment entre les conservateurs et les libéraux, pourrait avantager le Bloc québécois, dit-il. «Mais ça devient très imprévisible les courses à 3», précise toutefois le sondeur. Le coup de sonde a été réalisé par téléphone entre le 23 et le 26 mai auprès de 1001 personnes. La marge d'erreur est de 3,1% 19 fois sur 20.