Pour le masquer, des facteurs exogènes sont mis en avant. Chacun dénonce d'emblée la responsabilité des médias, accusés d'avoir fait la part belle au candidat victorieux ; tout en reconnaissant volontiers l'efficacité électorale du candidat de l'UMP. "Le principal problème de la campagne de Ségolène Royal, c'est qu'en face il y avait Sarkozy", note Stéphane Thiery, un fonctionnaire territorial de 41 ans, adhérent du PS depuis 1985. "Ce qui est dramatique, c'est que les gens se laissent abuser", ajoute Frédéric Marchand, 42 ans, secrétaire de section à Hellemmes, dans la banlieue lilloise.
Les uns et les autres savent, toutefois, que les "qualités" de l'adversaire ne peuvent suffire à expliquer la défaite du PS. Mais se remettre en question est un exercice autrement délicat. "On a du mal à sortir du positif de nos erreurs", souligne Jocelyne Paccou, 59 ans. La proximité des élections législatives a offert un sursis, en remobilisant les troupes et en reportant à plus tard l'inéluctable examen de conscience.
Bon gré mal gré, ces militants de Lille et de Dunkerque ont accepté d'anticiper en confrontant - et en livrant - leurs vues à ce sujet.
La désignation de la candidate a été généralement jugée trop tardive : "On y a laissé quelques plumes", note Kamal Baddou, 41 ans, responsable associatif. "Il a manqué un an", renchérit Wulfran Despicht, 33 ans, secrétaire de section à Dunkerque. Mais, là encore, le compte n'y est pas. "Si on avait été clair, on avait le temps", assure Olivier Tibier, 25 ans, attaché territorial, qui souhaite que le PS évite désormais "les synthèses qui contentent tout le monde mais ne satisfont personne".
Les batailles d'ego auxquelles se livrent les responsables nationaux du parti exaspèrent. Le choix des personnes viendra plus tard. Au demeurant, les objectifs fixés vont bien au-delà, qui témoignent de l'ampleur du malaise. "Il faut redéfinir qui on est et ce que l'on veut", soutient Vivian Ringot, 29 ans. "Le PS doit redéfinir son électorat", renchérit Zoé Carré. Cette enseignante de 60 ans redoute que son parti soit à contre-courant de l'évolution de la société. "On va vers un monde de plus en plus individualiste, alors que les valeurs socialistes sont basées sur la solidarité", constate-t-elle, s'interrogeant sur les moyens de "conjuguer tout cela". "Les idées d'égalité et de solidarité sont perçues négativement", constate aussi Cédric Pruvost, 25 ans, chargé de mission à la mairie de Lille. "Le fonds de commerce traditionnel du PS a tendance à se déliter", note Frédéric Marchand.
L'état électoral de la gauche pèse par avance sur le futur examen de conscience du PS. "Quand je vois les scores des partenaires de feu la gauche plurielle, j'ai un peu peur" (Gaetan Stirbois, 32 ans). "Les réserves de voix s'amenuisent" (Frédéric Marchand). Reste l'hypothèse d'alliances au centre, que les militants ne rejettent pas, à condition que leur parti les négocie en position de force, sur des bases idéologiques claires et fixées par avance.
La social-démocratie, qu'aucun de ces militants ne cite spontanément, suscite encore des réticences inavouées. Interrogés à ce sujet, ils font mine de relativiser la portée de l'expression. "Un argument marketing en interne", note Frédéric Marchand. "N'est-on pas sociaux-démocrates depuis le tournant de la rigueur, au début des années 1980 ?", s'interroge Stéphane Thiery. Vingt-cinq ans plus tard, l'appellation a pourtant toujours du mal à passer. "Les socialistes font comme s'il fallait encore discuter de la mondialisation. Ce n'est plus le moment de ne pas en vouloir, parce qu'elle est là. Il faut vivre dans le monde actuel. Si ça continue, on va faire comme le PCF, on va fondre comme neige au soleil. Je ne comprends pas pourquoi ça fait peur", note Zoé Carré.