par Benoît Hamon, député européen, secrétaire national du PS chargé du projet européen
Les "conclusions de la présidence" de ce Conseil européen, le dernier sous présidence allemande, contiennent un "projet de mandat pour la CIG (conférence intergouvernementale", qui reprend l'accord politique intervenu quant au contenu du prochain Traité.
Remarquons d'emblée donc que ce "projet de mandat" (15 pages sur les 31 des conclusions) ne représente aucunement un document juridiquement contraignant. Le texte qui sera in fine le fruit des travaux de la CIG pourrait donc très bien s'en écarter, cela dépendra de l'attachement des négociateurs aux termes de l'accord politique.
D'ailleurs, un certain nombre d'éléments sont extrêmement précis et déjà pré-rédigés pour être insérés dans le prochain traité, alors que sur d'autres sujets les indications du projet de mandat sont nettement plus vagues et laissent une certaine marge de manœuvre à la CIG.
Cette CIG doit être convoquée dans les plus bref délais, suite à l'accomplissement des formalités nécessaires, dés le mois de juillet. Avant fin 2007 un nouveau projet de Traité devrait donc être soumis à la ratification des Etats membres, et conduire à une entrée en vigueur avant les élections européennes de 2009, le conditionnel est cependant de rigueur par rapport à ce calendrier optimiste.
(*) Jean Claude Juncker, président de l'Eurogroupe
Le principe, une "Constitution moins"
Le principe qui est à la base de ce texte est celui d'une reprise intégrale du texte du projet de "Traité établissant une Constitution pour l'Europe", sauf modifications (suppressions, remplacements, ajouts) expressément mentionnés.
Intitulé : de la Constitution au "Traité modificatif" ou "Reform Treaty"
Le premier changement est celui de l'abandon du "concept constitutionnel". En lieu et place d'un texte unique remplaçant l'ensemble des traités fondateurs, le prochain Traité, dénommé "traité modificatif" se propose d'amender, tout en les laissant intacts pour l'essentiel, le Traité sur l'Union Européenne, TUE (traité de Maastricht) d'une part, et le Traité instituant la Communauté Européenne, TCE (traité de Rome), d'autre part, désormais intitulé "Traité sur le fonctionnement de l'Union".
L'abandon du concept constitutionnel emporte non seulement l'abandon des symboles (drapeau et hymne) mais aussi celui d'une hiérarchie de normes plus compréhensible (loi, loi-cadre, acte d'exécution etc.) et un retour à la terminologie communautaire classique (directive, règlement, décision etc.).
Par contre l'Union aura bien une personnalité juridique unique et distincte, et le système des trois piliers est aboli (d'ailleurs, le terme "Union" doit remplacer partout le terme "Communauté").
Inventaire des modifications par rapport au "traité établissant une Constitution pour l'Europe"
Objectifs de l'Union
La "concurrence libre et non faussée" ne figure plus parmi les objectifs de l'Union, et de plus (dans le paragraphe relatif aux relations extérieures), elle "contribue à la protection de ses citoyens".
L'impact de la disparition de la mention de la "concurrence libre et non faussée" doit cependant être relativisé par deux considérations : d'une part les diverses dispositions relatives au droit et à la politique de la concurrence, et aux vastes pouvoirs de la Commission en la matière, ne sont pas touchés, d'autre part un protocole "sur le marché intérieur et la concurrence" est ajouté qui rétablit le rôle fondamental de la concurrence.
La Charte des droits fondamentaux
Ne figure plus in extenso dans les traités, mais une référence à son contenu et à sa force contraignante demeure, moyennant une sorte de "opt out" généralisé au bénéfice du Royaume Uni et d'une réserve polonaise qui semble être destinée à la protéger d'une vision trop progressiste des droits fondamentaux en matière de droit familial et d'intégrité humaine (avortement et mariage des homosexuels ?)
Du Ministre des Affaires Etrangères au "Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité"
L'intitulé de cette fonction change mais son rôle et ses pouvoirs demeurent inchangés, moyennant des protocoles et déclarations visant à pérenniser le caractère "intergouvernemental" de la PESC ainsi que la possibilité pour les Etats Membres de continuer à suivre une politique étrangère autonome, notamment au Conseil de Sécurité des Nations Unies.
Les services publics
Ce qui est certain c'est qu'un nouveau protocole "sur les services d'intérêt général", à la terminologie généreuse mais à la portée juridique concrète douteuse, est rajouté. Par contre la question de savoir si l'amendement à l'ancien article 16 obtenu lors de la Convention créant une base légale pour une directive cadre horizontale sur les services publics est maintenu est controversée. La polémique devra être réglée par la CIG.
Institutions, compétences et fonctionnement
L'essentiel des réformes institutionnelles de la "Constitution" est préservé, notamment quant à la présidence stable du Conseil européen, à la Commission (composition, élection et pouvoirs de son président), à la liste des formations du Conseil, à l'extension des domaines à la majorité qualifié et en codécision avec le Parlement, aux modalités des coopérations renforcées, à l'initiative citoyenne, aux "clauses passerelle". Le rôle des parlements nationaux est renforcé, notamment par une procédure de retardement de la procédure législative afin de protéger la subsidiarité. Notons cependant des nouveaux opt-outs pour les britanniques en matières de JAI, ainsi que le renvoi à une proposition du PE à venir pour la composition future de ce même PE.
La Double Majorité
Le système de majorité qualifiée au Conseil représentant 55% des Etats membres et 65% de la population est préservé mais son application est renvoyé à 2014 voir 2017, de plus une "quasi minorité de blocage" dispose désormais de procédures de retardement d'adoption de législations.
Conclusion
Ayant adopté comme base de travail le projet de "Constitution", l'accord politique intervenu à Bruxelles en reproduit les défauts et les lacunes.
Plusieurs domaines politiques majeurs restent en dehors du processus de "démocratisation" de la prise de décision (fiscal, social, budgétaire, affaires étrangères et défense), rendant impossible ou très improbables une action politique européenne positive dans ces matières. De plus, l'arsenal "libéralisateur" (marché unique et concurrence) demeure intact et puissant.
Avec ce nouveau texte, la possibilité de renverser l'orientation de la politique des institutions européennes dans un sens conforme à nos thèses demeure toujours aussi éloignée.
Convergences des standards sociaux, lutte contre le dumping fiscal, dépassement de la logique du juste retour dans les négociations budgétaires par une véritable capacité d'imposition et d'emprunt pour l'Europe, protection et développement des services publics, tous ces objectifs sortent diminués de cette négociation.
Quant aux prétendus acquis de Nicolas Sarkozy dans la négociation (concurrence, services publics, protection des citoyens), ils sont purement symboliques et n'auront probablement aucune portée effective.
Les autres modifications apportées au projet de Constitution visent essentiellement à ménager des opt-outs, dérogations et autres mise en oeuvre différées au bénéfice de la Grande Bretagne et de la Pologne. Différentes procédures de "freinage" ont de plus été instaurées au bénéfice des parlements nationaux et de minorités d'Etats Membres qui ne feront que rendre les processus de prise de décision plus long et compliqués.
Au final, selon la formule de Juncker, ce "traité simplifié" est en réalité très compliqué et peu lisible.
En tout état de cause, la vigilance reste une nécessité au moins jusqu'à la conclusion des travaux de la CIG et pendant la phase de la ratification.