"Le Franc-Parler" (France Inter-i-Télé-"Le Monde")
Hubert Védrine : "Des conflits énormes se préparent"
LE MONDE | 02.10.07 | 14h34 • Mis à jour le 02.10.07 | 14h34
ous avez rendu votre rapport sur la mondialisation à Nicolas Sarkozy en soulignant que la France devait être "amie, alliée, pas alignée". Y a-t-il un nouveau choix atlantiste depuis la présidentielle ? Le président Sarkozy a réendossé cette formule "amie, alliée, pas alignée". Il faut voir ce que cela donne en pratique. Il est évident que la tentation existe. Elle existe dans sa majorité, dans certains courants à gauche, dans une partie de l'opinion, plutôt dans les élites. Par exemple, sur les questions de l'OTAN. Le général de Gaulle était sorti après plusieurs années où il avait négocié avec les Américains pour que l'alliance donne plus de place aux alliés. C'est parce qu'il n'a pas réussi qu'il a fini par sortir. Il n'est sorti qu'en 1966 alors qu'il était là depuis 1958. Les militaires souhaitent y rentrer car ce serait plus commode pour eux, plus pratique, plus prestigieux, plus inter-opérationnel. Mais cela n'a pas d'intérêt. En revanche, utiliser l'idée d'un retour possible de la France dans une alliance réformée, faire de la disponibilité française le levier d'une réforme qui permettrait un pilier européen dans l'alliance de s'exprimer, cela n'est pas critiquable a priori. La visite de Nicolas Sarkozy à George Bush cet été, et les déclarations de Bernard Kouchner sur l'Iran marquent-elles un changement de politique ?
Pas encore. Cela peut le devenir. Le fait d'avoir des relations moins mauvaises avec les Etats-Unis, c'est ce que Jacques Chirac a fait pendant les deux dernières années. Il a passé tout son temps à corriger non pas le fond - puisqu'il avait raison dans l'affaire de l'Irak -, mais à corriger les dégâts psychologiques, amicaux, sentimentaux, notamment avec l'opinion américaine, y compris les anti-Bush. Et Nicolas Sarkozy, en ce moment, n'est pas en rupture avec la dernière période Chirac sur les Etats-Unis. Le fait d'aller en vacances aux Etats-Unis, de rencontrer à cette occasion le président, ce qui est la moindre des choses, ce n'est pas une inflexion. Ce serait un vrai changement si, finalement, il nous disait dans quelque temps, j'ai posé les conditions pour l'OTAN mais c'est plus compliqué que prévu et cela gêne les Britanniques, mais c'est plus important de rentrer dans l'OTAN et donc on y va...
Bernard Kouchner a-t-il eu raison d'utiliser le mot "guerre" à propos de l'Iran ?
Dire qu'un conflit est possible, cela ne me choque pas car je ne suis pas dans le langage béni-oui-oui. Je pense qu'il y a un risque de clash. Samuel Huntington a été mal compris. Il n'a pas préconisé la guerre des civilisations, il a dit : il y a un risque. Nous ne sommes pas dans la gentille communauté internationale, où l'histoire n'est pas finie. Il y a des conflits énormes qui se préparent. La bonne attitude est de dire, comme Huntington, que c'est une perspective qui existe. Nous la refusons et nous allons tout faire pour que cela ne se produise pas (...) Il faut éviter la tentation occidentaliste. L'occidentalisme étant à l'Occident ce que l'islamisme est à l'islam. (...) Ce qu'a dit Bernard Kouchner là-dessus ne m'a pas gêné. Sur l'Iran, la phrase-clé est celle du président Sarkozy, en disant il faut tout faire pour échapper au choix entre la bombe iranienne ou les bombardements. Evoquer la guerre, c'est sans doute trop tôt.
Propos recueillis par Raphaëlle Bacqué, Thomas Hugues et Stéphane Paoli
Article paru dans l'édition du 03.10.07