[1] Extraits du discours prononcé le 14 janvier 2007, porte de Versailles, Paris
Il y a d’abord le scandale financier de la vente de stock-options par les dirigeants d’EADS pour 90 millions d’euros, peu de temps avant l’annonce de difficultés industrielles majeures pour l’entreprise, à l’automne 2005. Les conclusions de l’AMF ne laissent planer guère de doute sur le caractère massif du délit d’initié présumé.
Ne prenons pas le risque d’évoquer la morale dans ce dossier. Ici, ce sont l’hypocrisie et le cynisme qui gouvernent…
On peut commencer par s’interroger sur la légitimité que conserve le plan Power 8, bâti par les principaux acteurs de ce scandale, qui fait porter l’essentiel des efforts de la restructuration sur les salariés du groupe? Il y a aussi une fâcheuse coïncidence des agendas, quand la garde des Sceaux annonce cette semaine la mise place du groupe de travail sur la dépénalisation du droit des affaires. Au moment même où l’on durcit les sanctions contre la délinquance ordinaire, le gouvernement se penche sur les moyens d’adoucir les peines à l’égard de la délinquance en col blanc. Les délits économiques et financiers n’engorgent pas les tribunaux, ils représentent moins de 0,5% des condamnations, soit 9.000 condamnations sur 592.000 en France en 2005 mais cette délinquance-là cause des préjudices considérables à l’économie française. Le conseil des prélèvements obligatoire a estimé en mars 2007 dans un rapport que le montant de la fraude fiscale s’évaluait entre 29 et 40 milliards d’euros chaque année. Ce rapport identifie les délits en hausse : travail dissimulé ou partiellement déclaré, internationalisation permettant le choix des pays de déclaration, nouvelles technologies comme le commerce électronique.
Comment ne pas faire le parallèle entre l’extrême sévérité à l’égard du commun des mortels et l’indulgence à l’égard des puissants ? La loi sur les peines plancher expose à un an de prison celui qui vole un CD deux fois dans un supermarché. Le groupe de travail sur la dépénalisation du droit des affaires se propose notamment de soustraire les auteurs d’abus de bien social à une condamnation pénale. Et pourtant celui qui ordonne cette politique pénale à deux vitesses est celui qui déclarait en mars 2007 : « je crois dans l’éthique du capitalisme. Je n’accepte pas que le travail salarié et l’esprit d’entreprise soient bafoués par les rémunérations et les privilèges excessifs que s’octroie une toute petite minorité de patrons.[1]»
Il y a ensuite le scandale d’État de la socialisation des pertes prévues pour Lagardère en autorisant le rachat par la Caisse des dépôts de 1,8 milliards d’euros d’actions, dont un tiers, soit 600 millions d’euros, devait s’envoler en fumée quelques semaines plus tard. 600 millions d’euros perdus, c'est-à-dire le coût des réductions d’effectifs dans la fonction publique.
Rappelons simplement le fil des évènements : Lagardère vend ses actions au printemps 2006 alors que les difficultés du groupe sont connues depuis novembre 2005. Il vend un tiers de ses parts dans EADS à la caisse des dépôts et des consignations. Pourquoi l’Etat a-t-il racheté ces titres au cours le plus élevé quand il était informé de leur dépréciation inévitable, une fois que les retards sur l’A380 seraient rendus publics ? On invoque l’indépendance de la Caisse des dépôts dans ses choix d’investissement. Rappelons que le directeur du Trésor siège à la commission de surveillance de celle-ci. Est-il imaginable qu’une telle décision soit prise sans l’accord du gouvernement quand on connaît la vigilance de Berlin au maintien de la parité franco allemande dans le capital d’EADS et que l’acquisition supplémentaire de 2,25% des parts du groupe par la CDC sera immanquablement dénoncé comme un « moyen déguisé » choisi par l’Etat français pour augmenter sa participation au capital d’EADS ?
Devant l’ampleur du scandale le gouvernement a choisi de demander à l’inspection générale des finances une enquête sur « l'action des services du ministère en ce qui concerne EADS entre fin 2005 et juin 2006 ». C’est très insuffisant.
Si le délit d’initié était avéré, la CDC qui s’est engagée à acheter sa participation au capital d’EADS à 32,60 euros l’action (contre 22,27 au cours actuel) peut et doit se retourner contre le groupe Lagardère. En effet, le contrat qui lie la CDC à Lagardère prévoit un paiement en trois tranches dont les deux dernières échéances sont en 2008 et 2009. La responsabilité du gouvernement s’impose quand l’argent public a été ainsi dilapidé. Les chefs d’un « Etat en faillite » seraient cohérents s’ils montraient leur détermination à restaurer l’Etat dans ses droits et ses biens là où celui-ci a été selon leur dire, manifestement ignorant des manigances qui se tramaient en coulisse. Le directeur du Trésor qui représente l’Etat à la commission de surveillance de la CDC doit sans attendre, exiger de bloquer l’exécution du contrat et le paiement des deux dernières échéances au groupe Lagardère tant que le soupçon subsistera sur la moralité et la légalité de cette transaction.
Enfin, le citoyen et contribuable français est légitime à demander que toute la transparence soit faite sur ce dossier en confiant à ses représentants au Parlement le soin d’identifier les mécanismes et les responsables de ce scandale. Parce qu’il existe une présomption de collusion entre le pouvoir politique et des intérêts économiques privés, le gouvernement, par souci pour sa propre crédibilité, doit soutenir la création d’une commission d’enquête parlementaire comme une étape indispensable pour faire éclater la vérité.
[1] Extraits du discours Besançon, le 13 mars 2007, et document « Mon projet ».