
A supposer même que le nouveau texte diffère sensiblement du précédent, on ne voit pas pourquoi la méthode choisie pour son approbation changerait. Lorsque les Français ont refusé, en mai 1946, lors de la naissance de la IVe République, le premier projet de Constitution soumis à leur vote, une nouvelle consultation a eu lieu 5 mois plus tard sur un texte modifié, qui a recueilli une majorité de suffrages. On sait aussi que les Danois ont écarté par référendum le traité de Maastricht en 1992 avant de l'approuver l'année suivante et que, de la même manière, les Irlandais ont dit "non" au traité de Nice en 2001 avant de dire "oui" en 2002.
Les dirigeants français ont beau jeu de répondre que le nouveau traité se distingue essentiellement du projet mort-né de Constitution par sa nature plus que par son contenu. Il ne s'agit plus de donner à l'Union une Constitution qui consacrerait l'existence d'un peuple européen. Il ne s'agit pas non plus de remplacer les traités existants par une nouvelle loi fondamentale mais de modifier certaines de leurs dispositions, en laissant les autres, inchangées, en dehors du débat, en particulier celles qui définissent les politiques de l'Union, principal motif de discorde entre partisans du oui et partisans du non.
Ces arguments ne sont pas sans valeur. Il est vrai que les critiques des opposants à la Constitution contre la "constitutionnalisation" des politiques libérales, visant à enfermer celles-ci dans un "carcan", ont perdu de leur pertinence. Il est vrai aussi que les Français, comme le soulignent volontiers les porte-parole du président de la République, ont élu Nicolas Sarkozy en sachant qu'il soumettrait le traité au vote du Parlement, et non à celui du peuple. Il n'empêche qu'une partie de l'électorat continue de contester l'organisation politique et économique de l'Europe, telle qu'elle résulte de l'ensemble des traités, de celui de Rome à celui de Lisbonne, et demande, avec raison, que sa voix soit entendue.
L'une des ambitions exprimées dans la déclaration de Laeken, qui a lancé en décembre 2001 la réflexion sur un nouveau traité, était de "rapprocher les institutions européennes des citoyens" et d'offrir à ceux-ci les moyens d'un "meilleur contrôle démocratique". Tout avait plutôt bien commencé. La Convention présidée par Valéry Giscard d'Estaing a été un lieu d'échanges fructueux, même si elle n'a pas atteint le grand public. Le vaste débat auquel a donné lieu ensuite la campagne du référendum a permis aux Français de s'intéresser à l'Europe et, par-delà les anathèmes, d'exprimer leurs préférences.
Malheureusement l'élan est retombé. Les Vingt-Sept veulent désormais en finir au plus vite avec le futur traité. A Lisbonne, où devait souffler le vent du renouveau, ils ont discuté longuement pour faire passer de 750 à 751 le nombre de sièges au Parlement européen et pour ajouter un protocole à une déclaration sur le gel provisoire de décisions contestées par une minorité. Ce n'est pas ainsi qu'ils passionneront les foules. Mais, apparemment, ce n'est pas leur souci dominant.
Thomas Ferenczi