J’ai choisi d’évoquer la question du rapport des socialistes à l’individu en restant dans l’actualité des déclarations récentes du chef de l’Etat sur sa vision du partage des rôles entre le curé et l’instituteur.Dans cette déclaration de Nicolas Sarkozy au Vatican, se noue la conviction intime du chef de l’Etat sur les rôles respectifs de la République et de la religion, plus précisément sur le champ que la République doit céder aux Eglises. Je vous la remémore : « Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur, même s’il est important qu’il s’en rapproche, parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance».
Nicolas Sarkozy affirme dans cette phrase deux hiérarchies. La première explicite, dit la supériorité du spirituel sur le temporel, la supériorité du représentant de Dieu sur celui des hommes et de leurs préférences collectives, l‘instituteur.
La seconde est plus implicite. Elle affirme une hiérarchie entre les religions monothéistes et le primat de la chrétienté sinon pourquoi ne pas avoir cité l’imam ou le rabbin après le curé et le pasteur.
Dans une époque où les repères manquent, où il apparait plus difficile qu’hier de hiérarchiser et de départager l’essentiel et le secondaire, en cet instant où nous remettons ensemble l’ouvrage sur le métier, les socialistes doivent affirmer avec force et résolution, sans timidité ni frilosité, leur vision de l’homme - plutôt que de l’individu - et des moyens qu’ils envisagent pour participer et permettre son épanouissement et son émancipation.
Il y a fondamentalement deux façons d’envisager la question des rapports qu’entretiennent les hommes les uns avec les autres et des principes et valeurs qui les sous-tendent.
Seule l’une d’entre elles relève du politique.
Une première approche est totalisante. Cette approche ne départage pas forcément le croyant du non croyant. Elle procède simplement d’une vision figée et absolue du monde, et veut que toutes les questions, et en particulier la question du bien et du mal, doivent nécessairement avoir une réponse et une seule (les autres étant forcément fausses), et que l’ensemble de des réponses aux questions sont compatibles, nous éclairant par là sur « la vérité » ultime. Ces réponses procèdent d’une forme de transcendance. Comme personne n’a en fait jamais eu la chance de faire l’expérience d’une telle perfection systémique, il ne reste à ses thuriféraires que l’espérance qu’elle existe bel et bien au-delà du voile des apparences. Et que survienne une contestation, leur reste alors la radicalité (et la violence ?) du sacrifice pour forcer la croyance en sa réalité et son avènement futur : on est prêt à tout et plus rien n’a de coût quand on est sûr de contribuer à réaliser la vérité.
Une seconde approche admet qu’à la plupart des questions, en particulier éthiques, on peut apporter des réponses différentes, et qu’elles ne sont pas forcément compatibles entre elles. Les socialistes s’inscrivent dans cette tradition philosophique, morale, éthique. Deux morales peuvent être incompatibles et la vie est ainsi faite qu’il n’existe aucun critère supérieur qui permette de les départager. Cette approche ne débouche pas pour autant sur un relativisme absolu ou le conflit, mais envisage plutôt un monde pluriel, un monde fait de « diversité » pour reprendre un terme cher au Président. Tout en restant rationnels et capables de se comprendre les uns les autres, les hommes peuvent avoir développé des systèmes de valeurs différents puisque les mêmes questions peuvent appeler des réponses différentes et non moins valables. Ce qui caractérise l’homme est alors l’obligation de choisir. C’est vrai au niveau individuel (Camus affirmait qu’entre « la justice ou ma mère, je choisis ma mère », En effet que choisir et existe-t-il une réponse qui relève davantage du bien qu’une autre ?) l’obligation de choisir est aussi indispensable au niveau collectif (arbitrage égalité/liberté par exemple).
Nous sommes donc condamnés à choisir en définissant et en réorientant continuellement des priorités, qui ne seront jamais définitives ni absolues. Là réside la nécessité de la politique. Et comment choisit-on ? Sur la base d’intimes convictions et de valeurs qui peuvent certes avoir été transmises via un système de croyances, mais avant tout sur la base d’un ’échange, d’un dialogue raisonné, pour arriver à déterminer au mieux les modalités du vivre ensemble.
Cette pratique exige qu’on se donne les outils de l’échange. Et c’est là que nous retrouvons l’instituteur. L’instituteur est un des maillons de la chaîne de fabrique et de transmission de ces outils. (Tout comme la presse, la culture, etc.).
Et c’est précisément ce que le Président de la République remet de facto en cause. L’instituteur n’apprend pas bien vs. mal « dans l’absolu », mais donne à ses élèves des outils pour qu’ils apprennent, en situation et non de façon définitive et abstraite, à concilier des aspirations, des principes … qui peuvent entrer en contradiction. Et s’il enseigne ce qui est bien ou mal, c’est par rapport aux valeurs centrales du système républicain qui sont les valeurs de liberté – de penser et d’agir ; d’égalité ; de respect, de laïcité, etc.
Nicolas Sarkozy en affirmant la supériorité de l’engagement du prêtre, « par la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance », outre qu’il fait l’éloge du kamikaze, outre qu’il ignore l’engagement et l’espérance que les enseignants sont souvent seuls à incarner et entretenir dans les quartiers les plus difficiles, il dilapide l’héritage des Lumières et escamote l’aspiration de la République à présider l’émancipation et la destinée des hommes.
A cet instant, notre rassemblement doit affirmer que la place des socialistes est aux côtés de ceux qui dans le respect des croyances et des préférences spirituelles, enseignent le libre arbitre et bâtissent ainsi tous les jours, les conditions du vivre ensemble.