Comme ses détracteurs le lui reprochent souvent, Boris Tadic, élu une première fois en 2004 face à son adversaire de dimanche, l'ultranationaliste Tomislav Nikolic, ne fait que la moitié du chemin. Et dimanche, dans une Serbie torturée par les démons du passé et la crise économique, M.Tadic doit moins sa réélection à la confiance des électeurs, qui se sont fortement mobilisés (67,6% de participation), qu'à la peur de l'isolement du pays qui aurait sans doute suivi l'élection de M.Nikolic, l'ami de l'extrémiste russe Vladimir Jirinovski.
A Srebrenica, au mois de juillet 1995, quelque 8000 musulmans, essentiellement des hommes, placés théoriquement sous la protection de casques bleus dans cette enclave de Bosnie-Herzégovine, avaient été exécutés par les forces bosno-serbes du général Ratko Mladic, étroitement lié au régime de Belgrade. L'exécuteur du plus grand massacre depuis la fin de la seconde guerre mondiale, inculpé de génocide par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY), court toujours. Il reste un héros pour une partie non négligeable des Serbes, notamment parmi ceux qui soutiennent TomislavNikolic.
Le 11 juillet 2005, Boris Tadic prend sans doute tout cela en considération. Certes, il rend hommage aux victimes musulmanes. Avant son voyage à Srebrenica, ce natif de Sarajevo (en 1958) explique que "l'avenir de la Serbie dépend de la façon dont elle se distanciera des crimes de guerre commis en son nom dans les années 1990". Mais il ne s'excuse pas, au nom de la Serbie, pour le rôle joué par le régime de Slobodan Milosevic durant la guerre en Bosnie (1992-1995).
Ancien joueur de water-polo à la carrure d'athlète, ce diplômé en psychologie au sourire de play-boy n'est pas un homme de décision. Il souffre à cet égard de la comparaison avec la figure écrasante de Zoran Djindjic, son premier ministre lorsqu'il était ministre des télécommunications (de 2001 à 2003). Zoran Djindjic avait été, lui, l'artisan de la chute de Slobodan Milosevic en septembre 2000 puis de son transfèrement à La Haye en 2001. Ce courage scella son destin.
Boris Tadic a eu le mérite de reprendre en main le Parti démocrate (DS) dans une période difficile, notamment de poursuivre une douloureuse transition économique. Mais en voulant trop s'écarter de l'ombre pesante du martyre Djindjic, son prédécesseur à la tête du DS, il s'est notamment fâché avec Cedomir Jovanovic, jeune politicien démocrate, héritier spirituel de Zoran Djindjic, moins prompt au compromis avec une partie de l'ancienne garde du régime Milosevic. Avant d'être assassiné en mars 2003, Zoran Djinjic avait eu, en privé, ce mot cruel à propos de M.Tadic : "Boris? Un bel homme. Voilà." Trop cruel sans doute.
Beaucoup d'électeurs démocrates, qui n'aspirent qu'à entrer dans l'Union européenne comme les voisins de Roumanie, Bulgarie ou demain de Croatie, attendent de M.Tadic qu'il finisse d'imposer ses sincères convictions proeuropéennes. Traduit en termes de politique intérieure, il s'agit de clarifier ses relations avec le premier ministre Vojislav Kostunica, nationaliste, légaliste rigide et eurosceptique. Celui que Zoran Djindjic crut pouvoir utiliser en parvenant à le mettre en avant pour faire tomber Slobodan Milosevic. Ainsi, le Parti démocrate de Serbie (DSS) de M.Kostunica n'est arrivé qu'en troisième position aux législatives de 2007, loin derrière les plus de 30% du DS. Mais il a réussi à faire plier BorisTadic et à obtenir le poste de premier ministre.
Au second tour de la présidentielle, M. Kostunica n'a pas pour autant appelé à voter pour lui. Mais si M.Tadic veut appliquer sa politique réformiste et proeuropéenne – tout en s'opposant à l'indépendance du Kosovo –, il devra trancher dans le vif.