Quelques enseignements à retenir du premier tour des élections municipales et cantonales du 9 mars 2008
Le premier tour des élections municipales et cantonales est assez riches d'enseignement. Il rappelle à quel point les enjeux locaux et nationaux y sont intimement liés, mais également que les deux scrutins sont fondamentalement différents et complémentaires politiquement.
1- la sanction de la majorité présidentielle est réelle malgré la nature locale des élections municipales.
Les responsables de l'UMP et les ministres ont défilé sur les plateaux de télévision dimanche soir pour expliquer que l'addition était finalement moins salée que prévue, que l'écart de voix restait faible sur le scrutin municipal entre la droite et la gauche, qu'ils subissaient un simple rééquilibrage après les nombreuses victoires de la droite en mars 2001. La prudence des responsables de gauche pouvait donner quelques confirmations de cette analyse, mais elle était surtout pleinement justifiée par la nécessité de mettre en garde les électeurs de gauche sur une éventuelle démobilisation lors du second tour, car on a déjà vu à quel point un second tour pouvait largement compenser les résultats d'un premier tour, notamment lors des dernières élections législatives.
Examinons cependant les arguments des uns et des autres. Effectivement l'écart de voix aux élections municipales n'est que de 4 points : la gauche rassemble près de 49 % des suffrages sur ce scrutin quand la droite parlementaire en obtient 45 %. À ce titre, on ne peut décemment parler de raz de marée, les options prises par la gauche devant être confirmées dans de nombreuses villes au second tour et souvent dans des circonstances très serrées. Notons cependant que la droite « parlementaire » disposent de réserves de voix finalement assez faibles, que dans les grandes villes elle a perdu énormément de terrain. Surtout, le nombre de maires de gauche élus au premier tour est conséquent dans toutes les strates démographiques, y compris parmi les communes qui basculent d'un camp à l'autre, ce qui n'empêche pas des basculement à droite (Le Puy en Velay, Chaumont entre autre...).
Mais l'enseignement politique doit être cherché ailleurs. Un maire apprécié de sa population, quelle que soit sont étiquette politique, peut recevoir les fruits de son bilan. La personnalisation du scrutin municipal est extrêmement forte, la prime au sortant est une réalité électorale maintes fois éprouvée.
C'est aux élections cantonales qu'on se rapproche donc le plus d'un vote politique. Le canton est moins personnalisé (y compris en province), le rôle du département peu connu, les électeurs se déplacent essentiellement pour marquer leurs choix politiques en tenant moins compte de leurs intérêts de « proximité » immédiate. Et sur ce scrutin le constat est sans appel : avec 49 % la gauche recueille le même score qu'aux municipales quand la droite « parlementaire » ne rassemble plus que 41 % des électeurs. L'écart de voix est conséquent et il faut y lire la sanction de la politique sarkoziste. Le nombre des départements pouvant basculer d'un bord à l'autre est désormais tout aussi éloquent puisque c'est six à huit départements qui peuvent passer de droite à gauche quand seule la Seine-et-Marne semble sérieusement menacée par la droite, confortant ainsi la majorité de présidences de conseils généraux à gauche.
2- la « prime au sortant » et le réflexe de « défense républicaine » explique le maintien des municipalités communistes en Île-de-France
Une conséquence inattendue à la fois de la sanction infligée à la droite et de la « prime au sortant », mêlant ainsi causes nationale et locale pour expliquer les résultats, est le relatif bon résultat des maires communistes ou apparentés communistes en Île-de-France, dans des fiefs fortement ancrés à gauche et où ils étaient contestés par les socialistes et les verts (Aubervilliers, La Courneuve, Saint-Denis, Villetaneuse en Seine-Saint-Denis, Orly et Vitry dans le Val-de-Marne, Fosses dans le Val d'Oise – mais avec un PS dissonnant entre le local et le départemental).
Ici le rejet de la politique de la droite, le réflexe de « défense républicaine », la nécessité d'une protection locale contre la politique menée par le gouvernement s'est faite en faveur des maires sortants quelles que soient la qualité du projet qu'ils présentaient, du bilan sur lequel ils s'appuyaient et la crédibilité des équipes qu'ils avaient constitué (souvent en alliance avec LO, le PT et divers groupuscules gauchistes qui auraient dû largement attaqué la crédibilité d'une liste visant à gérer le quotidien des habitants).
Retenons cependant les contre-exemples de Pierrefitte, où Michel Fourcade devance très largement la maire PCF sortante, et Montreuil, où Brard bien qu'étant en tête au premier tour est mis fortement en danger par Dominique Voynet (à noter dans ce cas de figure la profonde division du PS local et départemental)
Ici encore cependant on retrouve une distinction entre municipales et cantonales puisque la résistance du PCF face au PS ne se retrouve pas sur les cantons : il devrait céder au moins deux sièges au PS en Seine-Saint-Denis, ainsi que la présidence du conseil général, et le PS devrait également progresser en sièges dans le Val-de-Marne.
3- La « troisième force » n'existe pas.
Le Modém n'a pas pu réussir son pari impossible. La posture du Modém est intenable. Avec 3,5 % des suffrages au niveau national, il démontre que son grand écart n'est pas porteur d'avenir et que son réseau d'élus locaux nécessaires pour mener d'autres campagnes politiques ne sortira pas réellement grandi et mis en cohérence des deux scrutins. Là aussi, les deux scrutins apportent des éclairages complémentaires : aux municipales le Modém n'a le choix que de suivre les grandes de lignes de son électorat. À Chartres et à Marseille, les candidats du Modém ont logiquement rejoint la sanction des équipes de droite sortante qui motivait leurs électeurs – comment pourrait-il en être différemment quand c'est Jean-Luc Benhamias la tête de liste centriste à Marseille, et après le message clair qui avait été adressé lors des législatives partielles à Chartres par les électeurs de gauche et du centre voici quelques semaines. À Pau, François Bayrou a besoin des voix de l'UMP mais ne peut accepter un accord national avec ce parti, condition sine qua none pour gagner dans la capitale béarnaise. À Paris, Bertrand Delanoë a clairement démontré qu'il n'avait pas besoin des candidats du Modém quand son électorat peut basculer sans fusion vers la gauche, et que là où ses listes se maintiendront elles ne devraient pas empêcher la gauche de gagner (sauf peut-être dans le Vème arrondissement).
Le Modém est dans l'impasse, bien que son président et les médias surjouent une fois de plus sa soit-disant position centrale. Ségolène Royal dans ces circonstances tient à nouveau des propos inquiétants ; n'y voyons pas simplement la trace de la précipitation et de l'amateurisme stratégique quand elle s'exprime devant les caméras dimanche soir pour réclamer des alliances « partout » avec le Modém. Il faut reconnaître avec Ségolène une certaine constance dans les propositions (la « sagesse des territoires », l'ordre et la nation, etc.) et la stratégie qui traduit chez elle une réelle volonté de recentrage politique du Parti socialiste, mais qui ferait du PS un parti centriste et non plus un parti de gauche si jamais elle venait à en prendre les rênes. À tout prendre, pourrions-nous lui proposer de se rallier au Modém puisqu'elle insiste tant pour travailler avec, mais il n'est pas sûr que François Bayrou l'accepte.
Les Verts ont raté également leur pari partout où ils ont choisi des listes autonomes.
Enfin l'extrême gauche fait un succès d'estime avec les listes LCR mais qui s'explique essentiellement par la dimension sanction du scrutin de dimanche.
Le Parti socialiste doit cependant désormais éviter l'écueil de devenir un parti d'élections intermédiaires, qui géreraient les territoires (et 60 à 70% de l'argent public) laissant à la droite "parlementaire" le gouvernement. Cet écueil est grand dans la mesure où la victoire pourrait inciter certains de ses caciques à remettre plus tard la nécessaire reconstruction de la gauche et que les collectivités locales sont parfois confortables. C'est un risque d'autant plus grand que le ségolènisme porte en lui ce dévoiement comme la "nuée porte l'orage".
Frédéric FARAVEL