16 mars 2008 : La droite sarkoziste sanctionnée, la gauche face à elle-même
1- un désaveu franc et massif de la droite :
Personne ne pourra nier cette fois-ci que les partisans du chef de l'Etat viennent de remporter une défaite profonde, qui au-delà des questions locales signifie un désaveu de la politique et du comportement du président de la République.
9 mois après l'élection présidentielle, le retour de balancier est assez violent, on dépasse largement le simple rééquilibrage que les ténors de la droite ont tenté de décrire hier soir tant les victoires du Parti socialiste, soutenus la plupart du temps par le reste de la gauche, emportent des municipalités depuis si longtemps ancrées à droite comme Reims, Metz ou Saint-Etienne…
Une fois encore on perçoit le scrutin cantonal comme la réelle mesure politique du vote de dimanche : les municipales tempèrent le vote par la grille personnalisée du scrutin et l'écart reste faible avec 47 % à la gauche contre 45 % à la droite, mais traduit dans les faits par un basculement de 6 à 9 départements la gauche remporte aux cantonales 51,28 % des voix contre 44,52 % à la droite et 3 % au Modém.
Il est incontournable que les Français malgré tous les sondages qui expliquent que les choix se sont portés très majoritairement sur des réalités locale ont exprimé un désaveu politique à l'équipe gouvernante. Nicolas Sarkozy échoue là où il avait porté le débat durant la campagne présidentielle, doublant la gauche sur un terrain qu'elle n'avait pas jugé bon de mettre en avant au printemps dernier : l'économie et le social. La question du pouvoir d'achat explique largement ce désamour rapide et radical ; on pourra toujours expliquer avec Opinion Way que les Français désirent la poursuite des réformes, il n'est pas sûr que les Français conscients que des réformes profondes soient nécessaires dans notre pays souhaitent la perpétuation des orientations défendues par Sarkozy et Fillon. Mais ceux-ci ont été élus en mai et juin 2007, leurs mandats restent valables et il ne faut pas s'attendre à une inflexion majeure de la politique qui sera menée par le gouvernement Fillon, remanié ou non, certains analystes percevant même chez le Président de la République la volonté de refermer la séquence de l'ouverture et de s'ancrer plus fermement à droite encore.
Enfin, ne tombons pas non plus dans un excès de triomphalisme, si les résultats globaux de la droite sont désastreux au niveau national, elle conserve des sujets locaux de réjouissance et parfois non des moindres : Mont-de-Marsan, Agen, Montauban, Morlaix, Châtellerault, Tarbes et Calais virent à droite. C'est un sujet d''inquiétude qu'il faudra observer à gauche tout comme le taux d'abstention qui avec 34,5 % ne doit pas être interprété comme la seule mauvaise humeur des électeurs conservateurs déroutés par les manières bling-bling du Président. L'électorat populaire s'est une nouvelle fois peu mobilisé.
2- l'équation introuvable du Modém :
François Bayrou et ses amis ont passé une mauvaise soirée, que le président du Modém a traduit en chargeant sur la gouvernement la responsabilité d'une « énorme vague de gauche » - ce qui devrait au demeurant rappeler à certains socialistes tout le bien que le Béarnais pense de la gauche.
Son échec personnel, même d'un cheveu, va peser largement sur l'avenir du mouvement centriste. Mais au-delà de l'incohérence de la stratégie politique dénoncée toute la semaine, le Modém fait face à une dichotomie pourtant pré-existante entre une large partie de son électorat d'un côté, et la plupart de ses représentants de l'autre.
On voit bien que laisser à eux-même une majorité des électeurs du Modém se reporte sur la gauche, quand les seuls maires centristes de France ne doivent leur réélection qu'au soutien de la droite contre la gauche. Les fusions Modém-Gauche sont rarement porteuses dans ce second tour, hors quelques cas d'union sacrée nécessaire pour renverser des pouvoirs locaux réactionnaires ou clientélistes. À Marseille, la dichotomie entre électeurs et leaders du Modém s'est d'ailleurs traduit dans le sens inverse du reste du pays : un leader penchant vers la gauche, mais un électorat centriste fortement habitué à un long compagnonnage avec la droite locale, et la fusion Gauche-Modém n'a pas permis de suffisamment bousculer Jean-Claude Gaudin. Ce dernier cependant a eu chaud puisque sa majorité rassemble 51 conseillers contre 49 à la gauche et 1 au Front National ; il faudra observer pendant les 6 prochaines années le comportement véritable des élus Modém de Marseille, mais il y a fort à parier que beaucoup finissent par se fondre dans la gauche locale.
La stratégie à géométrie variable du Modém permet parfois la perpétuation de structures passéistes : le Modém parisien risque de payer longtemps dans la tête des Parisiens la réélection de Jean Tiberi de quelques centaines de voix, facilitée par le maintien de la liste de Philippe Meyer dans le Vème arrondissement, d'autant que partout ailleurs dans la capitale les centristes ne maintiennent pas leurs positions. Onpourra faire la même analyse sur Aix-en-Provence où le Modém en se maintenant s'est fait le complice objectif du succès d'une droite réactionnaire.
Enfin à plusieurs reprises, la Gauche a démontré comme à Toulouse ou à Cergy qu'elle n'avait pas besoin du Modém pour être élue et présenter aux électeurs une force crédible et solide face à la droite. Le choix de la clarté semble avoir été payant dans ses deux villes : à Toulouse le challenger de gauche avait refusé les avances du Modém qui s'est finalement allié à l'UMP, mais il a également refusé toute surenchère, ce qui semble avoir payé chez les électeurs.
À Cergy, le maire PS était arrivé en tête du premier tour avec une gauche éclatée et le Modém à l'affût ; en décidant de proposer un choix clair il a pu se maintenir face à la droite.
La démonstration de l'alliance obligatoire avec le Modém ne semble donc plus si évidente à gauche, et ceux qui en faisait un élément incontournable de leur discours révisionniste au PS devraient prendre désormais un peu de recul, surtout que 60% des sympathisants de gauche – sans doute échaudés par l'attitude des centristes – disent préférer le maintien des alliances à gauche.
3- une lente agonie du communisme municipal :
Le Parti communiste français peut bien regagner le conseil général de l'Allier – sous perfusion socialiste – et conserver le conseil général du Val-de-Marne, la soirée électorale du 16 mars a été beaucoup moins agréable pour le PCF que celle du 9 mars. Il n'y a pas eu de surprises comme celles de Dieppe au premier tour, et Le Havre reste comme prévu dans l'escarcelle d'Antoine Ruffenacht, le retour du communisme municipal y ayant été réprouvé tout comme à Corbeil-Essonne pourtant face à un maire – Serge Dassault – vieillissant et réprouvé.
En Arles, le maire communiste est réélu dans une alliance avec le Modém quand le PCF attaquait verbalement partout les alliances entre la gauche et le centre.
C'est Calais qui frappe au coeur le Parti communiste en basculant à droite et sanctionnant une logique malthusienne de cette municipalité détenue depuis de nombreuses années par le PCF.
En Seine-Saint-Denis, la réélection attendue des municipalités communistes de La Courneuve, Saint-Denis et Bagnolet ne défraiera pas la chronique, mais d'une part le basculement du conseil général vers le Parti socialiste, quasiment acquis depuis la semaine dernière, et d'autre part, la perte d'Aubervilliers et de Montreuil au profit des socialistes et des écologistes marquent un coup dur pour le PCF, indiquant définitivement le changement d'époque à gauche et l'impossibilité pour ce parti d'enrayer son déclin, la nécessité de sa remise en cause et de son dépassement au sein de la gauche.
4- Le Parti socialiste face à ses responsabilités à gauche et dans le pays :
C'est sur le Parti socialiste que pèse désormais la responsabilité de ne pas oublier les causes et les résultats des scrutins des 9 et 16 mars 2008. Autant on pouvait encore douter d'un véritable élan vers les candidats et les listes présentés par le PS la semaine dernière, autant le scrutin du 16 mars prend toutes les apparences d'une vague rose.
La liste des villes ayant basculé au second tour de droite à gauche est impressionnante : Toulouse, Strasbourg, Caen, Blois, Saint-Brieuc, Laval, Argenteuil, Saint-Etienne, Angoulême, Périgueux, Metz, Colombes, Aulnay-sous-Bois, Reims, Saint-Denis-de-la-Réunion, Valence, Asnières-sur-Seine, Cahors, Mende, Quimper, Amiens. La gauche socialiste conserve des villes où la gauche était en difficulté : Angers, Toul, Pau, Romans, Nevers, Aurillac. Elle perd quelques communes symboliques comme Mont-de-Marsan, Montauban, Morlaix, Agen, Tarbes, Montélimar… Le PS prend Aubervilliers au PCF et la victoire de Dominique Voynet à Montreuil ne s'est pas faite sans une forte participation socialiste, malgré les choix de Solférino.
Du côté des départements la liste est plus éloquente encore : le PS conserve la Seine-et-Marne et l'Oise que la droite espérait ravir, il emporte bien plus de départements qu'il ne l'espérait : le Val d'Oise, la Seine-Saint-Denis, les Deux-Sèvres, le Lot, le Lot, la Somme, l'Ain, l'Indre-et-Loire.
Mais ne tirons pas de ce scrutin des conclusions hâtives. D'abord parce que ce n'est pas avec les collectivités locales que la gauche et les socialistes empêcheront la droite de mener à bien ses projets gouvernementaux. La gauche territoriale – bien qu'elle ait reçu des soutiens forts aussi pour la qualité des projets locaux qu'elle présentait – n'a ni les outils ni la culture politique pour fabriquer des collectivités de résistance ou des contre-sociétés, quand bien même cela serait-il souhaitable. Le PS n'a jamais conçu une place claire aux collectivités locales dans son projet de transformation sociale (contrairement au PCF des années 1950 et 1960) au moment même où ce projet de transformation de la société mériterait d'être précisé.
Il faut donc lancer deux avertissements :
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le premier c'est à tous ceux qui ont parcouru les départements et les communes en expliquant que l'élection de maires socialistes atténueraient les malheurs et les réformes promises par Sarkozy ont menti aux Français et le cas échéant ils porteront la lourde responsabilité d'une déception de l'électorat ;
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Le second est qu'il ne faut pas répéter l'erreur de 2004. Les victoires de 2004 et 2008 se ressemblent car elles sont portées autant si ce n'est plus par le rejet du gouvernement central que par les projets locaux défendus par la gauche. En 2004, nous avons cru que les conquêtes des régionales, des cantonales et des européennes, nous exonéreraient d'un travail sur notre projet de transformation sociale : nous fumes battus en 2007 après avoir été confus en 2005. Aujourd’hui certains voudraient faire croire que « l'intelligence des territoires » (sur le même mythe de « la terre qui elle ne ment pas ») nous promet avec tous ces nouveaux maire de gauche un futur et bon projet pragmatique du PS, et c'est une aggravation de l'erreur de 2004.
Non seulement, nous devons remettre sur le métier la question de l'identité et de la nature du PS, donc de sa capacité ensuite à reconstruire la gauche, mais nous devons aussi aborder sans tabou les questions que nous fuyions depuis plus de 10 ans : les possibilités d'inventer une politique économique progressiste offensive qui sorte des sentiers battus du néo-libéralisme.
Certains voudraient limiter notre débat au leadership, à des réformes de statuts avec le centralisme démocratique à la clé et à la question de l'alliance avec le Modém. Si l'on ajoute à ce qu'il y a d'étrangement écœurement dans les discours des amis de Ségolène Royal sur l'ordre, « le fantasme d'une société transformée en une sorte de pensionnat généralisé » (cf. BHL dans Ce grand cadavre à la renverse), la nation et les territoires, le scrutin des 9 et 16 mars 2008 vient d'invalider largement les présupposés des sociaux-libéraux autoritaires qui entourent l'ancienne candidate socialiste à l'élection présidentielle.
Elle a fait l'aveu publiquement et en pleine campagne, que sa tournée des villes et des départements était plus une tournée des fédérations et des sections dans l'objectif d'être majoritaire lors du prochain congrès du Parti socialiste. Nous serons donc vigilant à ce que certaines conquêtes nouvelles de la gauche ne soient pas détournées pour empêcher un débat de fond qui affaiblirait inévitablement les tenants d'un recentrage du Parti socialiste et finalement d'une implosion de la gauche.
Frédéric FARAVEL