Il y a les déséquilibres économiques. Déficits majeurs du budget, du commerce extérieur, de la Sécurité sociale; endettement massif sur fond de croissance faible; montée de la pauvreté : les indicateurs sont mauvais. Les redressements amorcés sous mon gouvernement s'éloignent. L'héritage laissé en 2007 par mes deux successeurs était sans doute médiocre. Mais les actuels gouvernants, déjà membres des équipes précédentes, ne parviennent pas à restaurer la confiance.
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L'opposition, quant à elle, doit dégager les lignes d'une politique économique alternative. Il lui revient d'indiquer comment elle pourrait demain restaurer les équilibres tout en libérant la croissance, préférer la recherche et l'innovation à l'accumulation des patrimoines, relever la part des salaires par rapport aux profits pour à la fois armer et équilibrer notre économie. Ce serait une façon de redonner aux Français des repères.
Il y a les déséquilibres institutionnels. Il était certain que la conception de la présidence affichée par Nicolas Sarkozy serait source de difficultés. Le pouvoir a besoin de profondeur. Le président, le premier ministre, les ministres, le Parlement doivent exister chacun dans leur plan et jouer tout leur rôle. C'est ce qui garantit l'efficacité de l'action dans les temps ordinaires et la capacité à absorber les chocs dans les moments difficiles.
En s'attribuant tout l'espace, en court-circuitant ses ministres, en prétendant être la mesure de toute chose, le président a déstabilisé l'exécutif et démobilisé sa majorité parlementaire. Il a aussi désorienté les Français.
Le pouvoir est une pyramide qui ne saurait reposer sur sa pointe. Le président a altéré sa fonction en prétendant incarner toutes les autres et, par son comportement insolite, il est devenu le symbole d'une politique confuse. Lui qui se voulait tout-puissant se retrouve affaibli. Le premier ministre, qu'il avait marginalisé, s'est redressé : en agissant normalement, il a bénéficié d'un effet de contraste.
Cette distorsion imprévue est déstabilisante pour un pouvoir qui, sous la Ve République et hors période de cohabitation, repose sur l'autorité du chef de l'Etat dans l'opinion. Aussi la majorité est-elle passée en peu de mois de la sérénité à l'inquiétude.
Le retour à l'équilibre dépend d'abord du chef de l'Etat. C'est son image qui est dégradée en France et à l'étranger. Nicolas Sarkozy doit réaliser que, dans l'esprit des Français, l'exercice de sa charge est en cause. Que ses improvisations sur la religion, la laïcité, la mémoire de la Shoah irritent. Qu'il ne peut prétendre contourner une annulation du Conseil constitutionnel, puisqu'une telle tentative serait illégale. Que l'espace public où se meut le président est régi par des codes qui excluent le laisser-aller.
M. Sarkozy a le devoir de renoncer à l'illusion de la toute-puissance, à la griserie du bon plaisir, à la fusion de la vie privée et de la sphère publique.
Il y a les déséquilibres de l'ouverture. Celle-ci, loin de fonder une nouvelle construction politique, est devenue facteur de trouble. Pour les socialistes bien sûr, mais aussi pour la majorité, quand les ralliés, embarrassés par certaines décisions, ont fait entendre de premières dissonances. Et puis, ces dérèglements se sont étendus. La transgression, venue d'en haut, des loyautés politiques naturelles a fait école. A droite comme à gauche, trop de candidats dont le parti avait fait la carrière entrent en dissidence ou rallient l'adversaire si leur formation ne les désigne plus.
Ces trajectoires égoïstes sont une cause de confusion et discréditent l'engagement politique. La fidélité aux convictions n'est en rien du sectarisme. La majorité et l'opposition redonneront de la clarté à notre vie publique s'ils s'emploient à décourager ceux qui traitent la politique comme un marché.
Il y a les déséquilibres entre les discours et les actes. Ils vont croissant. Certes, la nouvelle équipe a, dans quelques cas, tenu parole. Elle l'a fait logiquement pour le traité européen, injustement pour les régimes spéciaux de retraite, et sottement pour le paquet fiscal.
Mais, pour l'essentiel, il y a un décalage majeur entre les annonces et les actions. Les Français constatent la détérioration et non la progression de leur pouvoir d'achat. Le démantèlement des 35 heures ne provoque évidemment aucune augmentation des salaires. A l'inverse, les hausses de prix amputent le niveau de vie et accroissent les difficultés de beaucoup.
Et puis se systématisent les effets d'annonce sans lendemain. Que reste-t-il des promesses aux marins pêcheurs du Guilvinec, de remettre en cause les quotas de pêche européens ? Où en est-on de l'engagement pris auprès des sidérurgistes de Gandrange d'une participation de l'Etat dans le groupe indien ArcelorMittal pour sauver le site ? Où sont les milliards d'euros promis aux chercheurs alors que ceux-ci constatent la baisse des crédits de leurs laboratoires ?
Cette manière de gouverner est détestable, car elle laisse les problèmes sans solution et elle dévalorise la parole publique. Le pouvoir en place doit donc mettre de l'ordre dans son action, hiérarchiser ses priorités, ne plus substituer la proclamation à l'action. Sinon, il continuera à créer scepticisme et démoralisation.
Il y a les déséquilibres à gauche. Désormais, le Parti socialiste domine et n'a plus d'alliés puissants. Et il reste confronté à une extrême gauche sans culture de pouvoir qui stérilise son électorat. Le PS aura dans l'avenir à compter de plus en plus sur ses propres forces.
Pour cela, le Parti socialiste doit surmonter ses propres déséquilibres. Le premier tient à la contradiction entre ses succès locaux et ses échecs nationaux. Le PS vient d'obtenir de très bons résultats aux élections municipales et cantonales. Mais il n'a pas remporté l'élection présidentielle depuis vingt ans ni gagné les élections législatives depuis onze ans.
On prétend que certains de ses notables s'accommoderaient de cette disparité, le statut d'opposants au pouvoir central leur paraissant propice à leurs victoires locales. Mais un courant politique qui perd son élan national ne gardera plus à terme que des places fortes isolées. Le Parti socialiste doit s'appuyer sur ses succès locaux, il ne peut s'y borner. Il lui faut se redonner un destin national.
Le second déséquilibre du PS concerne l'écart entre son potentiel collectif et sa panne de leadership. Les difficultés ne sont ici ni programmatiques ni stratégiques : un programme se mûrit et une stratégie s'affine. Mais il faut pour cela un chef de file reconnu qui mette chacun au travail.
Ce n'est plus le cas, puisque le premier secrétaire actuel quitte sa fonction et qu'il n'y a pas de consensus sur son successeur. Pourtant, la question du leadership ne peut être éludée. Il faut au prochain congrès, sans déchirements mais après débat, choisir un leader, une équipe, une orientation.
Prendre prétexte des spéculations sur les candidatures à la présidentielle pour choisir aujourd'hui un premier secrétaire de transition forcément faible serait vouer le parti à la paralysie et à la stagnation. La question de savoir qui sera ou ne sera pas candidat en 2012 est aujourd'hui secondaire et sera réglée plus tard.
Parmi leurs dirigeants actuels, les socialistes doivent choisir pour la porter à leur tête une personnalité dotée d'une culture et d'une expérience politiques indiscutables. Qui connaisse le PS et respecte ses militants. Qui ait la volonté de redonner à tous le sens de la réflexion et de l'action collectives pour faire des propositions cohérentes au pays.
Il y a les déséquilibres médiatiques. La liberté de notre presse est précieuse. Que saurions-nous aujourd'hui des dérèglements d'une partie du patronat, des incohérences de notre politique africaine, de l'opacité de la sphère financière mondiale, de l'inquiétante évolution de la Russie ou encore des variations de l'opinion sans les investigations et les analyses de la presse ?
Elle n'a pourtant pas été étrangère aux déséquilibres actuels et elle peut aider à les résorber. Il y a un vif contraste entre l'engouement qu'elle a manifesté à l'égard de M. Sarkozy au moment de son élection et l'éreintement auquel elle procède maintenant. Il est vrai que la déception a succédé à la séduction, les ratés aux promesses et l'improvisation au volontarisme.
Mais ne pouvait-on pas anticiper ces distorsions et déceler dans la personnalité si exposée du candidat les carences du chef d'Etat ? Faut-il que les Français soient voués à élire un président couvert d'éloges pour l'accabler six mois plus tard ? Faudrait-il instituer en France des présidences à l'essai ?
Le président est là pour quatre ans encore. Il n'est donc pas indispensable, pour l'équilibre du pays, de déclarer chaque jour insoutenable une situation dont on sait qu'elle va durer. De même, on peut critiquer les actions d'une personne tout en respectant sa charge.
Les médias rendront un autre service à la vie publique en ne cultivant pas ce qu'ils disent déplorer. L'affaiblissement du président dans l'opinion tiendrait beaucoup à l'étalage de sa vie privée ? À eux de ne pas pratiquer non plus ce mélange des genres, fut-ce pour augmenter leurs tirages.
En centrant leurs actes, leurs analyses et leurs jugements sur l'examen lucide des problèmes de la France et sur la recherche sérieuse de leur solution, les acteurs de la vie publique – majorité, opposition, médias, citoyens – peuvent contribuer à rendre son équilibre à notre pays.