"Dans l’Apocalypse, la littérature est à l’œuvre"
[attention ne pas louper la petite pique à la fin - NDB]
Interview - Dans la série «L'Apocalypse» diffusée actuellement sur Arte, Mordillat et Prieur mettent un point final à une question fondamentale : comment une petite secte juive a pu devenir la religion de l’Empire romain.
Recueilli par CATHERINE CALVET et BÉATRICE VALLAEYS - Libération - samedi 6 décembre 2008
Gérard Mordillat (h.) et Jérôme Prieur, écrivains et cinéastes, nés respectivement en 1949 et 1950, ont l’habitude de travailler ensemble. Sur Antonin Artaud d’abord (un film, En compagnie d’Antonin Artaud en 1993). Avant de s’embarquer dans une grande enquête pour la télévision sur le christianisme : Corpus Christi(1997), L’Origine du christianisme (2003) et maintenant L’Apocalypse. Chaque série documentaire - en DVD chez Arte Vidéo - a été complétée par un livre au Seuil : Jésus contre Jésus (1999), Jésus après Jésus (2004) et Jésus sans Jésus (2008).
La dernière saison a commencé le 3 décembre et s’achèvera le 20 (chaque mercredi et samedi à 21 heures sur Arte). Mordillat et Prieur mettent un point final à une question fondamentale : comment une petite secte juive a pu devenir la religion de l’Empire romain.
Pourquoi vous êtes-vous lancés pendant quinze ans dans un travail sur le christianisme ?
Gérard Mordillat : On ne savait pas qu’on y consacrerait tant de temps. Quand on a terminé Corpus Christi en 1997, on pensait en avoir fini, heureux. Nous avons reçu une lettre d’un grand chercheur allemand qui louait notre travail et finissait par une remarque provocatrice : «Il serait temps pour vous de passer aux choses sérieuses : à Paul.» Nous avons fait l’Origine du christianisme. Nous étions arrivés au bout, mais il manquait deux heures ; nous avons continué de lire, de rencontrer des chercheurs et nous nous sommes dit qu’il fallait aller au bout. De quoi ? D’une phrase qu’on avait mise en exergue de nos travaux sans en mesurer la portée : «Jésus annonçait le Royaume et c’est l’Eglise qui est venue», d’Alfred Loisy. Nous avons donc fait tout le programme : Corpus Christi c’est Jésus, le Jésus historique, l’Origine du christianisme, c’est la séparation d’avec le judaïsme, et l’église qui est venue c’est l’Apocalypse. Au début, la phrase de Loisy était comme une énigme du Sphinx, elle nous a emmenés quinze ans plus tard.
G.M. : Non, je ne connais le christianisme que par culture. Le premier livre que j’ai écrit concernait la réforme allemande, l’opposition entre Luther et Münzer (Thomas Münzer, chef religieux de la guerre des paysans au XVIe siècle) et je m’étais intéressé au fait qu’à ce moment-là de l’histoire, le discours religieux devient le vecteur du discours politique.
Jérôme Prieur : J’ai eu une éducation religieuse chez les oratoriens pendant mes études primaires et secondaires, mais cela ne m’a laissé qu’une sorte de vernis. Pour Gérard, les textes étaient probablement exotiques, moi, j’ai dû vaincre une sorte de tabou : considérer les textes sur le plan purement littéraire. J’avais lu Roland Barthes qui s’était essayé à faire de l’analyse structurale de récit appliquée aux Evangiles. J’ai découvert que les Evangiles inventaient quelque chose d’incroyable dans la littérature de l’Antiquité : on pouvait parler de façon noble d’événements triviaux.
G.M. : Mes goûts littéraires me portant vers la littérature anglo-saxonne, très naturellement j’ai été amené à lire ces textes pour mieux comprendre Joyce, Faulkner… Ce qui m’a intéressé, c’est le rapport de la littérature et de l’histoire. Car dans tous ces textes, la littérature est à l’œuvre. Dans tout le Nouveau Testament, cette approche par la littérature est essentielle, elle nous permettait de le lire, hors de toute perspective confessionnelle, dans un propos extrêmement laïc. On ne pouvait qu’applaudir des répliques comme celle, célèbre dans l’Evangile selon Jean : «Mon royaume n’est pas de ce monde.» Ou cet échange - de l’humour, j’en suis convaincu -, où Pilate demande à Jésus : «Es-tu le roi des Juifs ?» et que Jésus répond : «Tu l’as dit.»
G.M. : La politique et la religion sont indissociables durant les premiers siècles, du côté juif comme du côté romain. On a demandé aux chercheurs de dater l’an zéro du christianisme. Chacun a donné une réponse différente. Tantôt, c’est la naissance de Jésus ; tantôt, sa mort ou sa résurrection ; pour d’autres , c’est l’apôtre Paul, ou le règne de l’empereur Constantin. Pour nous, c’est la chute du Temple en 70.
G.M. : Car à partir du moment où le judaïsme ne se reconnaît plus dans la fréquentation d’un lieu sacré, quand il n’y a plus de temple, l’ensemble des courants juifs vont entrer en concurrence, pour savoir lequel a la juste lecture de l’histoire et est donc à même de guider le peuple. Pour les rabbins pharisiens, ce sera par la lecture d’un texte indestructible, la Torah. Le Temple est destructible pas le texte, donc c’est la lecture perpétuelle de ce livre qui vous met en contact avec Dieu, ce qui amènera le judaïsme rabbinique que l’on connaît aujourd’hui. Les partisans de Jean le Baptiste vont dire qu’il faut suivre un grand mouvement de repentance. Ceux de Jésus revendiqueront Jésus comme messie. Pour faire nombre, ces derniers vont s’ouvrir aux craignants-dieu, c’est-à-dire aux païens attirés par le monothéisme. Après 70, ils commencent à écrire des textes : les Evangiles sont des textes de propagande pour convaincre les autres juifs que Jésus est bien le messie. Des chercheurs, historiens, exégètes juifs lisent ces textes comme les meilleurs témoins de l’histoire du judaïsme dans les Ier et IIe siècles. Nous nous sommes situés dans cette perspective, ce qui nous a valu beaucoup d’injures. Aujourd’hui encore, pour nombre de chrétiens, affirmer que Jésus est juif, qu’il a toujours vécu sous la loi juive, sans autres horizons pour lui qu’Israël, est une chose provocatrice, irrecevable. Dire que le messie est Jésus, messie pour Israël, alors qu’Israël ne le reconnaît pas. Dire que Jésus n’a jamais appartenu à la religion dont il est la figure tutélaire est encore difficile à vivre.
J.P. : C’est dit dans une très belle citation de Joseph Klausner (1874-1958) rapportée par Amos Oz, son neveu : «Quand tu seras grand, mon cher enfant, tu liras le Nouveau Testament au nez et à la barbe de tes maîtres et tu t’apercevras que cet homme [Jésus] était de notre chair et de nos os, que c’était une sorte de "juste", de "thaumaturge", un rêveur dépourvu de toute compréhension politique, qui trouverait parfaitement sa place au panthéon des grands hommes d’Israël, près de Baruch Spinoza, qui mériterait également qu’on lève l’anathème dont il fut frappé.» (1)
Pour ceux qui viennent du paganisme, les craignants-dieu, il est difficile de devenir juif, il faut être circoncis, respecter des interdits alimentaires, sexuels, etc. C’est une manière de se mettre en marge de la société, or l’enjeu n’est pas seulement théologique mais aussi politique : les chrétiens aimeraient bien se faire reconnaître au sein de l’empire comme des citoyens normaux, au moins comme les juifs, c’est-à-dire bénéficier du statut des juifs de religio licita (religion licite). On tolère les juifs, les premiers monothéistes, parce que leur religion est ancienne et parce qu’ils ont des ancêtres. Cela va entretenir une rivalité théologique. Sans l’Ancien Testament, les écritures chrétiennes s’effondrent. Les Evangiles n’ont de sens que s’ils sont connectés avec la tradition juive. Jusqu’au milieu du IIe siècle, une série de mouvements chrétiens vont s’approprier les textes juifs. Ils se revendiquent comme les seuls lecteurs. Puis l’idée émerge que les chrétiens doivent avoir leur livre de référence: le Nouveau Testament.
J.P. : Le premier parmi les judéo-chrétiens qui s’ouvre aux sympathisant du judaïsme, aux craignant-dieu, aux païens semble être Paul. Mais du vivant de Jésus c’est impensable. Dans l’Evangile de Mathieu, Jésus dit qu’il n’est venu que pour les brebis perdues de la maison d’Israël, pour les juifs. Une fois ressuscité, il dit à ses disciples d’aller enseigner toutes les nations. Donc l’évangéliste fait dire à Jésus que le mouvement a échoué à l’intérieur d’Israël, que le judéo-christianisme est une voie sans avenir et qu’il faut au contraire recruter hors du judaïsme. Il faut prendre acte d’une situation sociopolitique qui a évolué à cause de la destruction du Temple en 70. Les chercheurs disent qu’il n’y a pas un judaïsme au premier siècle, il y a des judaïsmes, comme il y aura plus tard des christianismes.
G.M. : C’est un point absolument essentiel, il faut lire le Nouveau Testament dans une perspective de la fin des temps. Apocalypse signifie révélation, lever le voile. La fin des temps, c’est aussi l’espoir : le retour en gloire du ressuscité qui viendra prononcer le jugement dernier, qui jugera les vivants et les morts et qui établira sur terre le royaume de dieu, un monde meilleur.
G.M. : Bien sûr, là aussi la liaison politique et religieuse est indissociable. Pour les juifs occupés depuis Pompée (106-48 avant J.C.) c’est à la fois un territoire sous domination ennemie mais c’est surtout le symptôme de l’impureté d’Israël vis-à-vis de son Dieu : si une telle impureté est permise par Dieu, c’est qu’Israël a péché, thème récurrent de la littérature dans la Bible hébraïque.
J.P. : Il y a des lectures collectives au sein des différentes communautés. Les auditeurs sont plus nombreux que les lecteurs. La grande chance du christianisme c’est que cette littérature - importante et considérée comme sacrée a été globalement conservée, recopiées, transmise.
G.M. : Les auteurs de ces textes ne s’adressent pas à nous et il faut les lire dans cet esprit-là. Ce que les exégètes ont du mal à faire. Ils s’adressent d’autant moins à nous qu’ils sont persuadés que la fin des temps est imminente.
J.P. : Et qu’elle réunira Jésus et l’ensemble de ses disciples. Il a fallu trouver des accommodements avec le fait que cette fin des temps n’arrive pas. C’est pour cette raison que nous avons nommé notre dernière série l’Apocalypse comme une espèce d’étendard de ce qu’attendent les premiers chrétiens. Il faut transformer cette attente de l’apocalypse en autre chose qui va devenir l’église ou la Cité de Dieu pour reprendre la phrase de saint Augustin.
J.P. : La chose est entendue mais comme dit Flaubert dans Bouvard et Pécuchet : «Adorons sans comprendre» parce que justement le dogme trinitaire défie l’entendement. On peut le croire, mais il est impossible de l’expliquer rationnellement. Le problème de Benoît XVI est justement de vouloir concilier la foi et la raison. Il veut justifier le dogme rationnellement. Son texte, rhétorique, explique que la Trinité rompt avec le judaïsme et montre le croisement du christianisme avec la pensée grecque, il sort le christianisme de la tentation politique du judaïsme.
G.M. : C’est l’affirmation de l’autorité incontestable du pape : il défend l’institution. Les réactions d’hostilité à nos travaux ont toujours porté sur des questions dogmatiques. Prenons la virginité de Marie. Alors que tous les chercheurs disent qu’elle a eu d’autres enfants que Jésus, elle est dogmatiquement vierge. Les frères et sœurs de Jésus ou la croyance en la résurrection posent dogmatiquement autant de problèmes. Dans le dogme trinitaire, survit quelque chose du polythéisme, Dieu étant figuré par trois personnes.
J. P. : Au contraire, c’est toute la force du christianisme de profiter de ce qui lui préexistait, de le récupérer. Les historiens disent bien qu’avec les empereurs Constantin ou Théodose, on ne passe pas de la nuit au jour. Même s’il y a une christianisation officielle, le christianisme s’impose progressivement, le paganisme et le polythéisme ne disparaissent pas d’un coup. D’un point de vue anthropologique, le christianisme a récupéré nombre de rites païens, certains héros païens sont devenus des saints chrétiens. Le christianisme a digéré le paganisme de la fin de l’Antiquité.
G.M. : Pas vraiment, plutôt une capacité d’absorber tout ce qui peut servir. Il y a un christianisme pour les philosophes, les intellectuels et en même temps avec les mêmes références, un christianisme pour les païens, les paysans, les illettrés, le peuple.
G.M. : C’est la blessure qui ne se fermera jamais. Comment reconnaître Jésus comme Christ, comme messie du judaïsme dont il est un membre qui ne le reconnaît même pas comme tel. La force du christianisme est là aussi. On conserve les juifs dans les textes. On les conserve comme la figure de la surdité, de l’aveuglement. Sans cesse, on s’invente un adversaire pour mieux mettre en valeur ses propres qualités. Quand, dans l’Evangile de Jean, on fait dire à Jésus s’adressant aux juifs «vos lois», comme s’il n’en était pas lui-même, on se sert des juifs comme un repoussoir. A force d’instrumentaliser les juifs comme symbole du mal, l’antijudaïsme intellectuel et théologique se transformera en antisémitisme, la part la plus sombre et la plus terrible du christianisme des pogroms jusqu’à la Shoah.
Cela commence au IIe siècle avec Méliton de Sardes (apologiste grec) qui a inventé le peuple déicide. Alors que ce sont les Romains qui ont tué Jésus. On peut aussi citer les Homélies de Chrysostome (IVe siècle, archevêque de Constantinople, dit Bouche d’or) contre les juifs qui ont servi de ferment idéologique à tous les antisémites : elles ont été écrites pour lutter contre les chrétiens qui fréquentent indifféremment l’église ou la synagogue. Chrysostome fait un portrait à charge des juifs pour décourager les chrétiens d’aller à la synagogue. Comme disait l’un des chercheurs interviewés, Guy Stroumsa, il y avait concurrence entre les deux cinémas. Ensuite, ces textes seront sortis de leur contexte et on ne retiendra que les attaques terribles contre les juifs, qu’on verra reprises par Luther. Et comme l’écrit Karl Jasper, à propos des écrits de Luther : «Là, vous avez déjà l’ensemble du programme nazi.» Qu’est-ce qui est plus fort que l’écriture ?
J.P. : Ce sont souvent des textes d’une minorité. Leur situation minoritaire rend leurs propos d’autant plus violents. Tous les coups, tous les mots sont permis. Si, au IVe siècle, les intellectuels chrétiens avaient fait le travail d’exégèse un peu critique des textes, peut-être aurait-on évité les conséquences terribles de ces mots.
J.P. : Au IIIe siècle, ces rumeurs ne sont déjà plus d’actualité. On peut penser que les reprendre est une façon de discréditer ceux qui les ont proférées contre les chrétiens. Ce qui est sûr c’est qu’au IIe siècle, les chrétiens sont vus comme des gens bizarres, adeptes d’une superstition malfaisante, comme dit Tacite, venue d’Orient. On s’en méfie comme on se méfie aujourd’hui de certains groupes musulmans.
G. M. : Les sources et l’intelligence critique étant ce qu’elles sont, on ne peut pas se laisser aller à conclure définitivement. Les chercheurs qui discutent dans nos séries remettent en cause leur propre pensée. Nous montrons un état de la recherche à un instant donné, comme un instantané de ce qu’était la recherche en 2008, au moment où on les a filmés. Ce ne sont pas des vérités éternelles, au contraire c’est une pensée en marche et c’est ce qui est passionnant. Nous ne voulions pas d’une suite de déclarations définitives, tel un cours magistral. On filme des hommes et des femmes qui acceptent cette chose très difficile, de réfléchir à voix haute. Donc de remettre en jeu leurs certitudes et de nous faire partager leurs doutes et leurs hypothèses. C’est ce que la télévision en général dénie au téléspectateur : un esprit critique. C’est là la pertinence de notre travail cinématographique.
J.P. : Nous n’aurions pas pu faire cette série dans les années 60 mais nous ne pourrions pas commencer ce travail aujourd’hui. La série s’adresse à tous, qu’on ait ou pas la foi. Les spécialistes sont prévenus qu’ils seront interviewés en tant qu’historiens ou exégètes, pas en tant que théologiens. Au moment de Corpus Christi l’idée du fait religieux commence seulement à émerger. Nous sommes un peu déclencheurs. On espérait d’ailleurs qu’après cela, l’histoire des religions serait enseignée à l’école, qu’on apprendrait à faire une critique des sources pour le Nouveau Testament comme pour le Coran, c’est le contraire qui se passe. On assiste depuis cinq, six ans à un resserrement du rapport à la religion. Il faut donner des gages aux religieux. Un communautarisme s’est installé. C’est mal vu de s’intéresser au christianisme si on n’est pas chrétien, ou au Coran si on n’est pas musulman. Chaque communauté a à gérer son histoire sainte. On retrouve la laïcité positive de Sarkozy : accepter de ne pas se mêler des religions. Dans ce domaine, il y a eu des épiphénomènes comme le Da Vinci Code. Idem pour le film de Mel Gibson, la Passion du Christ, qui était un moyen d’agiter le refoulé intégriste ou antisémite chrétien.
G. M. : Cela me fait penser à une scène extraordinaire dans les Nouveaux Monstres, film italien : on voit Vittorio Gassmann en évêque, il pleut, il se réfugie dans une église du Trastevere, un petit curé de gauche est en train de faire une lecture très sociale de l’Evangile. Soudain Gassmann fait de la reprise en main théologique, le curé est stupéfait et lui dit «mais Monseigneur, ce n’est pas dans les Evangiles» et Gassmann a cette réplique géniale : «Vous, vous n’avez pas vu le dernier film de Zeffirelli !» Le film de Mel Gibson a eu cet impact.
G.M : Il faudrait que les professeurs d’histoire acceptent de dire qu’ils ne savent pas, qu’ils ne peuvent qu’avancer des hypothèses, qu’il faut étudier les sources. Historiquement,, on peut dire que Jésus était juif et qu’il a été crucifié. Le motif de condamnation est intéressant : roi des juifs. Les juifs ne s’appelaient pas juifs eux-mêmes, donc c’est une accusation extérieure. Ceux qui ont exécuté Jésus étaient de l’extérieur, donc des Romains. Quant au message de Jésus, ce n’est pas qu’un message d’amour : «Ceux qui n’ont pas voulu que je règne égorgez-les en ma présence». Il y a donc un travail pédagogique qui peut-être passionnant. Il n’y avait pas de charpentier en Judée à cette époque. Je me souviens d’un débat sur la religion dans un lycée parisien, en présence d’élèves laïcs, chrétiens, musulmans, juifs… Il n’y a eu aucun problème, pourtant on a évoqué les origines judéo-chrétiennes de l’islam, expliqué comment, au début de l’islam, Mahomet se tournait vers Jérusalem pour prier. Jésus le précède.
G.M. : Certains ont peur qu’on tombe dans la bondieuserie, mais ils ont pu voir quenotre travail est le contraire.
J.P. : On a éveillé une curiosité. Personne ne l’avait fait à la télé avant nous. La sobriété de nos émissions est encore plus décalée qu’il y a dix ans car la télé a changé.
J.P. : Les anachronismes permettent de mieux appréhender l’étrangeté de la période antique. L’anachronisme crée un court-circuit qui aide à comprendre que le saccage de Rome en 410 par les barbares, a un impact comparable à celui du 11 Septembre. L’inimaginable se produit. Cela permet d’introduire un peu de familiarité avec ces temps lointains.
G.M. : On établit aussi des comparaisons avec le Hamas ou le Hezbollah : le christianisme a mis en place très tôt un système d’entraide aux veuves et aux orphelins quelle que soit leur religion. Cela permettait de mieux pénétrer la société. La religion est populaire. Dans les années 50 le Parti communiste et l’Eglise s’affrontaient aussi sur ce terrain social.
J.P. : C’est un moyen de rendre glorieux le passé, de le magnifier. C’est ce qu’on appelle la Légende dorée dans le livre de Voragine au XIVe siècle, alors qu’on pourrait accuser les chrétiens d’être devenus les persécuteurs, ils insistent sur les persécutions qu’ils ont eues à subir et ils se refont une image.
G.M. : Les franquistes font la même chose, en voulant béatifier leurs martyres pour minorer les répressions et les crimes monstrueux de Franco. Là ce n’est pas un anachronisme, c’est la même démarche qui se perpétue.
J.P. : De même pour Benoît XVI qui veut béatifier Pie XII au moment où on peut s’interroger sur le rôle du Vatican pendant la Seconde Guerre mondiale.
G.M. : L’un est polonais, l’autre allemand…
J.P. : Jean XXIII ne l’aurait pas fait.
G.M : La première décision de Jean XXIII, le lendemain de son élection a été de faire supprimer l’exécration perpétuelle des juifs prononcée tous les jeudis saints.
G.M. et J.P. : La Paulette du Parti socialiste ? Une Paulette qui d’ailleurs en pince pour l’épaulette (papa était militaire) et pour l’admonestation des fidèles, qui doivent s’aimer les uns les autres et voter pour elle sous peine de finir en enfer. Si c’est le cas, une question surgit quelle est l’épine qui lui travaille la chair ?
(1) Une histoire d’amour et de ténèbres, traduction de Sylvie Cohen, Gallimard, 2004.
Derniers ouvrages parus : Notre part des ténèbres, Gérard Mordillat (2008, Calmann-Levy) Roman noir, Essai sur la littérature gothique, Jérôme Prieur (Seuil, 2008).