Par Maguy Day - Mediapart.fr
Moins de 24 heures après la mort de Jacques Bino, le syndicaliste tué par balle en Gudeloupe, mercredi à l’aube, et alors que l’enquête est en cours, le gouvernement a déjà une idée bien arrêtée sur son meurtre. Le premier ministre, François Fillon, interrogé jeudi sur RTL, a en effet déclaré: «La balle retrouvée est une balle qui sert à chasser les sangliers. C'étaitun lieu où il n'y avait pas de forces de l'ordre. L'enquête dira les choses, mais les forces de l'ordre ne sont pas du tout impliquées dans cette opération.»
Peu importe que le préfet ait tenu à joindre le "collectif syndical guadeloupéen contre l’exploitation outrancière" LKP (Lyannaj Kont Pwofitasyon) pour l’informer que l’on ignorait d’où provenait le tir et qui avait tiré sur Jacques Bino. Peu importe que l’enquête soit en cours et que les témoins du meurtre disent ne pas savoir exactement ce qui s’est passé. Peu importe que l’autopsie n’ait pas encore été réalisée et que Marie-Antoinette Datil, la compagne de Jacques Bino et son fils Cédric, âgé de 8 ans, ne puissent pas encore récupérer le corps pour l’enterrer.
Tout d’abord, les enquêteurs n’ont avancé aucune hypothèse sur l’arme utilisée. D’après les premières conclusions du procureur de Pointe-à-Pitre, Jean-Michel Prêtre, la voiture de Jacques Bino a subi trois tirs dont les deux premiers ont visé le côté arrière-droit du coffre de la voiture et le troisième, «mortel», a été «tiré par la fenêtre ouverte du passager assis à l'avant droit» quelques minutes après minuit.
«Un trou gros comme une balle de ping-pong»
Ensuite, au vu de l’impact sur le coffre arrière, les syndicalistes pensent que le militant de la CGT Guadeloupe, du LKP et d’Akiyo aurait été atteint par une arme de guerre et non pas par une arme de gros calibre pour tuer du gibier. «Même si nous n’avons pas pu nous approcher du véhicule, l’impact est effrayant. La balle, qui a laissé un trou plus gros qu’une balle de ping-pong, a traversé le coffre, le dossier du siège arrière puis du siège avant de se loger dans le corps de mon compagnon», a déclaré Marie-Antoinette Datil à Mediapart.
Dans la nuit, Peter O’Brien, l’ami d’enfance du syndicaliste, à son côté dans le véhicule, lui prodigue les premiers soins et appelle immédiatement les secours. Pourtant, ces derniers mettent près de 3 heures pour arriver. Elie Domota, porte-parole du collectif syndical, est informé par les autorités que le Samu et les sapeurs pompiers étaient disposés à venir, mais avec l’accord et la présence de la police. Or ces derniers ont préféré attendre parce qu’ils «avaient 3 blessés de leur côté». «Pendant ce temps, le camarade perdait son sang et mourait...», a déclaré le leader syndicaliste qui a participé jeudi avec plusieurs milliers de manifestants à une marche silencieuse vers le quartier Henri-IV de Pointe-à Pitre, où a été tué Jacques Bino.
Enfin et malgré ces zones d’ombres, les représentants de l’Etat mettent assez vite et très clairement en cause «les jeunes» de la cité Henri-IV, en banlieue de Pointe-à-Pitre, une zone «difficile» où se trouvait la voiture des deux militants au moment des tirs. Or, Jacques Bino, contrôleur des impôts respecté, n’en était pas à son premier voyage dans le quartier, puisque le palais de la Mutualité, où siège le "collectif contre l'exploitation" LKP, en grève depuis un mois, se trouve à quelques pas.
Avant que l’enquête ne permette de déterminer avec plus de précisions comment un syndicaliste a pu se faire tuer, après un mois de grève, non loin d'un lieu de meeting, les autorités françaises ont demandé à sa compagne de s’accommoder d’informations partielles, distillées au compte-gouttes, pour ne pas «trop ébruiter l’information» dans un contexte de crise sociale généralisée en Guadeloupe.
Quant au petit Cédric, s’il «semblait relativement calme» aux yeux de sa mère, il a «beaucoup pleuré hier» après la venue d’un psychologue. Ensuite, «il m’a demandé si pour l’enterrement la famille avait le droit de se placer derrière le cercueil», a-t-elle juste fait remarquer.
[1] http://www.mediapart.fr/club/blog/maguy-day
[2] http://www.mediapart.fr/journal/france/180209/a-la-martinique-au-rythme-des-restrictions
[3] http://www.mediapart.fr/journal/france/160209/trois-politologues-antillais-decryptent-l-ampleur-d-un-mouvement-inedit
[4] http://www.mediapart.fr/journal/france/160209/neuf-intellectuels-antillais-lancent-un-manifeste-de-la-revolte
[5] http://www.mediapart.fr/journal/france/160209/revolte-aux-antilles-le-ps-hesite-et-se-divise
[6] http://www.mediapart.fr/journal/france/170209/olivier-besancenot-part-aux-antilles-et-pas-que-pour-voir
[7] http://www.mediapart.fr/journal/france/180209/la-guadeloupe-craint-le-chaos