Par Stéphane Alliès - 25 avril 2009 - Mediapart.fr
Martine Aubry en avait sans doute rêvé, Poul Nyrup Rasmussen l'a fait. Le parti socialiste a enfin renoué avec une mobilisation réussie, ce vendredi 24 avril à Toulouse, pour le meeting de lancement de la campagne des européennes, aux côtés des «partis frères» du PSE (présidé par Rasmussen). Salle pleine (autour de 1.600 personnes), ambiance chaleureuse, hymne pêchu (le Right here Right now de Fat Boy Slim), discours brefs et incisifs, le PS a réussi le temps d'une soirée à incarner sa volonté d'unité européenne, retrouvée sur des bases sociales.
Avare de ses déplacements en région (celui de Toulouse n'est que son deuxième depuis qu'elle est devenue chef du parti), la maire de Lille (qui passe plus de la moitié de la semaine sous le beffroi) a pu apprécier une journée sans fausses notes. Une journée commencée par deux rencontres avec les syndicalistes d'EADS puis de Molex, à qui elle a apporté son soutien, justifiant à mi-mot la séquestration patronale du début de semaine: «Je serais le gouvernement, devant les exactions des patrons, je calmerais le jeu.»
Elle a ensuite travaillé l'après-midi avec les divers représentants des partis sociaux-démocrates. Histoire de tordre le cou de ceux qui moquent un PS isolé et bien plus anti-Barroso que ses alliés européens.
Si la mission n'est pas totalement remplie, Martine Aubry aura au moins séduit Poul Nyrup Rasmussen. Enchaînement de clins d'œil, d'embrassades et de baisers soufflés à la tribune, elle a paru presque gênée quand l'ancien syndicaliste scandinave devenu président du PSE s'est exclamé lors du point presse d'avant-meeting, où les journalistes étaient privés de questions: «Martine est l'avenir du socialisme français, mais aussi du socialisme européen.
Devant le public de la Halle aux grains, une salle historique de la gauche toulousaine récemment rénovée, Rasmussen s'en est également pris à José Manuel Barroso, le président sortant de la commission européenne qui postule un nouveau mandat, avec le soutien des conservateurs, mais aussi des premiers ministres socialistes espagnols, anglais et portugais. «À l'heure où nous allons nous retrouver avec 27 millions de chômeurs dans l'Union, nous ne pouvons plus nous permettre d'avoir un président qui ne décide rien et passe son temps au téléphone avec Paris, Berlin et Londres pour agir.»
Aubry : «Changer le sens de l'Europe»
Si ces trois prises de parole étaient les plus attendues, le reste du meeting a pris des airs assez sympathiques d'Eurovision sociale-démocrate, paroles de candidats ou de chefs de parti des 27 pays de l'UE s'enchaînant toutes les cinq minutes, pour faire passer de brefs mais efficaces messages à un public attentif et bon enfant.
De l'exercice novateur, suffisamment rythmé pour ne pas sombrer dans l'ennui, l'on dégagera un palmarès à l'applaudimètre qui, comme le concours chansonnier, aura sacré les plus inattendus. Ainsi le maltais Joseph Muscat a accumulé les «ten points» avec une allusion remarquée aux vacances de Nicolas Sarkozy sur le bateau de Vincent Bolloré, dans la foulée de son élection de 2007: «Je connais quelqu'un qui a pris un yacht pour venir dans mon pays. Je lui dit: “Revenez donc en vacances chez nous, et laissez-nous le leadership européen”!»
Les prétendantes hollandaise (Emine Bozkurt) et danoise (Britta Thomson) ont singé Obama («Yes we can!»), le lituanien Justus Paleckis a joué avec les mots (en s'insurgeant contre les «Banksters», les banquiers gangsters), le roumain Adrian Severin s'est fait pédagogue («L'Europe n'est pas mal comprise par les citoyens, elle est mal expliquée par les dirigeants»), la belge Véronique de Keyser, enfin, s'est faite lyrico-localiste: «Ici, dans la ville de Jaurès, je sens l'Internationale renaître!»
De Jaurès il a également été question dans le discours de Martine Aubry. Sous les yeux du président de l'Internationale socialiste, le grec George Papandreou, elle a cité le père fondateur du socialisme pour lancer un discours axé sur la réconciliation des ouistes et des nonistes, tant en France qu'en Europe: «Le socialisme international élève la voix pour affirmer la commune volonté de paix et rendre l'Europe un peu moins sauvage.»
D'après Martine Aubry, «il faut retrouver l'unité des socialistes, car on a toujours voulu la même Europe, celle qui protège les plus faibles au lieu d'enrichir ceux qui ont déjà tout». Et de résumer sa stratégie de campagne: «Beaucoup vont avoir la tentation de dire "non" à Sarkozy le 7 juin, mais il faut aussi un débouché politique pour changer le sens de l'Europe. Il va nous falloir nous adresser à ceux qui n'ont pas aimé cette Europe de Bolkestein, cette Europe du travail hebdomadaire porté à 65 heures, cette Europe de casse des services publics. Cette Europe de droite! Il va falloir leur dire: changeons là-bas pour que ça change ici.»
Et de souhaiter «retrouver l'Europe qui a sorti l'Espagne, le Portugal et la Grèce de la dictature, en s'appuyant sur les valeurs d'aujourd'hui, autour de l'écologe, de la connaissance et de la protection des plus faibles», avant d'appeler à une «directive générale sacralisant les services publics».
Bayrou : «Karl Marx en exil» ou «sauvage néo-libéral» ?
La première secrétaire socialiste a enfin eu un mot pour la concurrence, estimant que «les autres listes à gauche restent dans la seule contestation» et que «le PSE est la seule force capable au Parlement européen à pouvoir faire changer les choses». Mais elle a surtout concentré ses critiques contre François Bayrou (qui n'a pourtant été eurodéputé qu'entre 1999 et 2002), via les élus MoDem qui siègent avec les libéraux.
Après avoir fait taire les sifflets de la salle, elle déclare: «Il faudra enfin savoir où il se situe en France, mais à Strasbourg, sa voix ne manque pas souvent à la droite.» Et d'assurer que la première proposition du manifeste de l'Alliance démocrate et libérale (dont le MoDem est membre) «continue à plaider pour la compétition dans les services publics» (ce qui est vrai, mais dans la quatrième proposition, voir notre document).
Mais celui qui a eu la charge la plus dure envers l'ancien troisième homme à la présidentielle fut l'allemand Martin Schultz. Président du groupe socialiste au Parlement, il a raconté comment il s'est fait traiter d'«homme du pass黫Voilà le groupe de François Bayrou! À la maison, il parle comme Karl Marx en exil! Mais au parlement, il parle comme les sauvages néo-libéraux!» par son homologue libéral, pour avoir défendu une réglementation des fonds spéculatifs. Et d'haranguer un public alors déchaîné:
Puis il a dit son émotion, 64 ans après la Seconde Guerre mondiale, de présider un groupe où «il y a des juifs, des chrétiens, des athées, des gens issus des anciennes colonies. L'Europe, ce n'est pas que la lutte contre le changement climatique. L'Europe, c'est aussi Le Pen, Umberto Bossi, Jörg Haider. L'Europe à gauche, c'est aussi la garantie de ne pas voir l'histoire se répéter…»
Si, sur la forme, l'exercice a été réussi, le fond pèche encore. Ainsi l'annonce en clôture du meeting par Poul Rasmussen des sept propositions élaborées à huis clos durant l'après-midi et destinées à «changer l'Europe dès les 100 premiers jours» reste encore dans le flou.
Ainsi, furent lancées à la cantonade, sans plus de précisions et sans crainte des redondances, les promesses d'un «plan de relance basé sur la croissance verte» ; un «pacte européen pour l'emploi de qualité» ; l'instauration d'«une charte du droit des femmes en Europe» ; un «pacte pour le progrès social» ; la mise en œuvre d'une «régulation efficace pour éviter de nouvelles bulles spéculatives» ; la «création de solidarités nouvelles au profit de l'Europe de l'Est, en échange de la fin du dumping social» ; un «plan européen pour un nouvel accord mondial au G20 d'ici 2010».
[1] http://www.mediapart.fr/club/blog/stephane-allies
[2] http://www.mediapart.fr/journal/france/240409/le-ps-cherche-contourner-le-piege-europeen
[3] http://www.youtube.com/watch?v=R795KiMD4zs
[4] http://www.lefigaro.fr/politique/2009/04/16/01002-20090416ARTFIG00364-vingt-ans-apres-les-renovateurs-.php
[5] http://www.mediapart.fr/journal/france/160409/le-front-de-gauche-veut-refaire-le-match-du-referendum-de-2005
[6] http://www.mediapart.fr/journal/international/080409/cohn-bendit-le-parlement-europeen-doit-se-politiser
[7] http://www.mediapart.fr/journal/france/030409/le-npa-tente-d-importer-en-metropole-la-lutte-contre-la-profitation
[8] http://www.eldr.org/pdf/manifeste/eldr-manifeste-electoral-fr.pdf
[9] http://www.espoir-a-gauche.fr/premiere-journee-de-reflexion-democratie-s/delia-CMS/page/article_id-460/topic_id-7/
[10] http://www.desirsdavenir.org/segolene-royal/le-blog/un-parti-socialiste-uni-et-fort/24-04-2009