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Quelle que soit leur tradition historique, les socialistes, qui ne dirigent que huit gouvernements contre treize en 2001, éprouvent des difficultés à se mettre en phase avec l'électorat. Le récent "gauchissement" de leur discours ne leur a pas permis de trouver des thèmes suffisamment fédérateurs. Quant aux efforts déployés pour repenser le modèle de l'Etat-providence dont ils ont accompagné l'émergence, ils restent encore inachevés.
Le reflux de la social-démocratie historique. En Europe du Nord, berceau de la social-démocratie, les partis de gauche ont subi d'importants revers dont ils peinent à se relever.
Au Danemark, les socialistes qui ont forgé le concept de la "flexisécurité" - un donnant-donnant entre entreprises et salariés afin de concilier compétitivité et sécurité de l'emploi - sont écartés du pouvoir depuis 2001. Revendiquant "un Danemark plus riche et plus juste", la droite alliée à des partis populistes au discours parfois xénophobe est parvenue à se poser comme la mieux à même de sauver un modèle social qu'elle ne conteste plus.
En Suède, les sociaux-démocrates n'ont pas pu faire face à la montée du chômage qui atteignait le quart des jeunes lors de la victoire des conservateurs, en 2006.
Centre névralgique de la gauche européenne, la social-démocratie allemande s'est efforcée, depuis dix ans, de maintenir la compétitivité de l'industrie germanique dans la mondialisation tout en développant, avec l'idée "d'Etat social prévoyant", une vision "anticipatrice". Il s'agit de concentrer les politiques publiques sur la petite enfance, l'éducation et la formation.
Sous la houlette du chancelier Gerhard Schröder, le SPD a contribué à renforcer le rayonnement de l'économie allemande, mais il a mis à mal le pacte capital-travail au coeur du compromis social-démocrate en creusant les inégalités et en faisant croître la part des bas salaires.
Engagés dans une grande coalition avec les chrétiens démocrates et contestés par Die Linke ("La Gauche"), un parti composé d'anciens du SPD et d'ex-communistes, les sociaux-démocrates redécouvrent, à l'approche des élections générales de septembre, les vertus des hausses d'impôt pour les plus riches ou la création d'un salaire minimum.
Le crépuscule du social-libéralisme. Le blairisme a non seulement perdu sa figure de proue mais aussi son leadership sur la gauche européenne. Usé par douze années d'exercice du pouvoir, le New Labour a été identifié à un social-libéralisme dont on a souvent dit qu'il était plus libéral que social. Or, s'il est vrai que l'âge d'or du néo-travaillisme fut aussi celui de la City de Londres, les gouvernements travaillistes ont, aussi, fortement augmenté l'emploi public et investi dans les services collectifs.
Reste que, malgré les récentes mesures de nationalisation de banques et la politique de relance du gouvernement Brown, les travaillistes se retrouvent en porte-à-faux. Ils ne peuvent se poser en chantres de la régulation économique. Reste à savoir si le modèle social-libéral, qui a fortement inspiré les socialistes polonais, slovaques et surtout hongrois, survivra à ses promoteurs, qui semblent promis à un échec électoral.
L'Espagne apparaît comme le dernier bastion des "modernistes". Fidèle à la tradition réformiste du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), José Luis Rodriguez Zapatero, le chef du gouvernement espagnol, se présente comme un pragmatique, attaché à étoffer un peu le maigre Etat-providence espagnol tout en conservant le caractère libéral de l'économie. Mais sous l'effet du retournement de l'activité et de la montée spectaculaire du chômage, le chef du gouvernement pourrait subir un revers le 7 juin.
Les "orthodoxes" à l'arrêt. Pour le Parti socialiste français, le programme adopté par le Parti socialiste européen (PSE) - qui préconise notamment un salaire minimum dans chaque pays et plaide en faveur d'une harmonisation fiscale - a été accueilli comme une prise de distance à l'égard du social-libéralisme. Un hommage à ceux qui sont restés sur le droit chemin, en quelque sorte.
Or si le PS français et ses homologues belge ou grec sont restés à l'écart des grandes remises en cause, ils n'en ont guère tiré avantage. Souvent éloignés du pouvoir (le PS français n'a pas remporté une élection nationale depuis douze ans), ils n'ont pas trouvé les moyens de disputer à la droite les suffrages des catégories menacées de déclassement.
Ayant longtemps sous-évalué, voire refusé la mondialisation, les socialistes "orthodoxes" n'ont pas mieux résisté - bien au contraire - aux incursions de la droite sur le terrain de la régulation économique et de l'Europe protectrice.
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Organisé le 28 mars à Vina Del Mar, au Chili, le sommet des chefs d'Etat et de gouvernement progressistes - un rendez-vous créé en 1999 par Bill Clinton - a donné un aperçu de ce regain. Quelques jours avant le G20 de Londres, le vice-président américain, Joe Biden, Michelle Bachelet, présidente du Chili, Cristina Kirchner, présidente de l'Argentine, Luiz Inacio Lula da Silva, président du Brésil, et les premiers ministres Gordon Brown (Royaume-Uni), José Luis Rodriguez Zapatero (Espagne) et Jens Stoltenberg (Norvège) se sont retrouvés pour réaffirmer "le rôle majeur" de la puissance publique dans la régulation mondiale. Le document adopté à l'issue de la réunion plaide "pour qu'une récession économique ne devienne pas une récession sociale". Hostiles au protectionnisme, les "progressistes" entendent "protéger le marché des partisans du libre marché", a résumé Joe Biden.
SÉMINAIRE À WASHINGTON
"Les familles de la gauche européenne, nord-américaine et sud-américaine se rejoignent désormais pour considérer qu'une régulation mondiale doit s'effectuer non plus a posteriori, pour réparer les dégâts, mais à la racine", estime Olivier Ferrand, président de la Fondation Terra Nova, proche du PS, qui était présent au Chili. Selon lui, un consensus se dégage sur l'élargissement des missions assurées par les institutions internationales existantes et la création d'un organisme consacré à l'environnement. "L'accord porte aussi sur le fait que les inégalités ont atteint un point inacceptable et qu'il faut réhabiliter la redistribution", ajoute M. Ferrand, qui y voit "un rapprochement avec les bases idéologiques sociales-démocrates".
Très actifs sur la scène internationale, les démocrates américains aspirent visiblement à un rôle de leader des "progressistes". Bill Clinton a animé le dernier forum du Parti socialiste européen à Bruxelles, et Howard Dean, ex-président du Parti démocrate, a rendu visite aux socialistes allemands et français. En mars, une délégation du PS a été invitée à participer à un "séminaire de travail" à Washington organisé par le Center for American Progress, le laboratoire d'idées du Parti démocrate.