Par Stéphane Alliès - vendredi 17 juillet 2009 - Mediapart.fr
Après la remise au travail, le rappel à l'ordre. Alors que les vacances se préparaient doucement rue de Solférino, Martine Aubry a sorti le PS de sa torpeur estivale, ce qu'elle n'avait pas franchement réussi à faire avec l'annonce de son calendrier de travail et le séminaire de travail de Marcoussis. En rendant public le courrier qu'elle a envoyé au député et maire d'Evry Manuel Valls (lire le texte intégral en cliquant ici), la première secrétaire semble en avoir fini avec le temps de la réunification du parti.
Les impatiences se font toujours plus grandes dans son propre camp, son inititiative de "Maison commune" a fait flop. Alors, quitte à raviver de vieilles fractures, ce que l'ambitieux quadra n'a pas manqué de souligner dans sa réponse (texte intégral ici), en moquant une conception du parti «très datée», Martine Aubry a rappelé qu'elle était premier secrétaire. Mais pourquoi donc la maire de Lille a-t-elle choisi de s'en prendre à Valls ?
- Pour retrouver une autorité perdue
Dans l'entourage d'Aubry, on indique que la décision du courrier procède d'une «démarche personnelle». L'un de ses conseillers assure à Mediapart qu'«elle n'a demandé l'avis de personne, tout juste a-t-elle fait relire le texte à quelques-uns». Et le même d'expliquer ne pas être «dans une logique de sanction, mais dans une logique d'affirmation d'autorité». Après des années de laisser-faire durant l'ère Hollande, Aubry a souhaité envoyer un message aux militants en misant sur leur ras-le-bol des divisions et des prises de paroles divergentes.
Elle avait d'ailleurs inauguré son mandat par un acte semblable d'autorité, quoique plus feutré, vis-à-vis du député André Vallini (démissionnaire de son poste de secrétaire national à la justice, refusant le «caporalisme» de la nouvelle patronne), puis avec Mireille Le Corre (secrétaire nationale à la Santé, écartée au moment de la constitution des listes aux européennes).
Mais on certifie rue de Solférino qu'«il ne s'agit pas d'une engueulade sur une question de fond, mais bien sur la forme. Le terme d'exclusion n'est pas employé, et Manuel est l'un des trois intervenants retenus pour la table ronde sur la sécurité de La Rochelle. Plus que tout, il s'agit d'un message envoyé aux militants: montrer que l'on veut revenir au temps de la discipline collective». De la même façon, Manuel Valls vient d'être désigné par ses pairs députés référent du groupe socialiste à la commission des lois.
Après un début de mandat passé à gérer les équilibres internes, la première secrétaire aurait enfin envie d'être soi-même. Comme l'explique l'un de ses conseillers: «De toute façon, quoi qu'elle fasse, la presse répond "Ça ne va pas". Alors autant se faire plaisir…»
Encore timorée dans l'exercice, Aubry s'est toutefois fait violence pour imposer son soutien au candidat socialiste d'Hénin-Beaumont malgré le désaccord de la puissante fédération du Pas-de-Calais. Dans le même genre, elle semble déterminée à barrer le passage à l'investiture de Georges Frêche pour les prochaines élections régionales.
«Les premiers retours des militants sont bons…»
- Une cible pas anodine
Manuel Valls a le don d'en irriter plus d'un au PS, et en premier lieu à l'intérieur de sa majorité. Le maire d'Evry avait été du temps du congrès "celui qui avait été trop loin", notamment en menaçant de porter les résultats des votes militants devant les tribunaux. Depuis, Valls a annoncé avoir repris son autonomie par rapport à Ségolène Royal, ne manquant pas de critiquer son ancienne championne lors de ses excuses à répétition. Si l'un de ses proches a pris la tête de la fédération de l'Essonne (sans majorité absolue), l'homme n'a pas réellement de troupes ni de relais dans l'appareil socialiste. Lors du congrès de Reims, il a longtemps affiché sa volonté de se présenter, nouant même une alliance de circonstances avec les barons locaux de la Ligne claire. Avant de finalement refuser de se compter parmi eux.
Ainsi, Aubry prend le moins de risque possible en s'attaquant à Valls, plutôt qu'à Jack Lang ou Michel Rocard, qui gardent une certaine aura dans l'opinion et des amis dans le parti. Son positionnement droitier et ses innombrables prises de position contre «l'antisarkozysme pavlovien» n'en font pas le ténor socialiste le plus apprécié des militants (d'après L'Express, il s'apprête à publier une tribune défendant la politique économique du président, dans le Financial Times).
Au cabinet d'Aubry, on refuse tout calcul de ce type, en affirmant que «Manuel représente l'avenir. On ne rappelle pas à l'ordre des généraux en retraite, mais lui doit faire attention à ne plus systématiquement parler pour détruire son parti». Et l'on indique qu'il est «le seul qui ne l'ouvre jamais en interne, où alors de façon très paisible, alors qu'il est le premier à se précipiter devant les caméras et les micros, pour être le plus virulent possible». Problème, avec ce courrier, la première secrétaire joue le jeu du médiatique député, en prenant le risque de le faire exister davantage encore.
- Pour notifier à sa manière la fin de la réconciliation
Six mois durant, Martine Aubry a clamé son envie de pacifier le parti et d'œuvrer pour le rassemblement de tous à la direction. Au final, après l'entrée de proches de Ségolène Royal, puis celle de Pierre Moscovici, elle semble juger possible de passer à autre chose, et donc de pouvoir réaffirmer son rôle de première des socialistes, en cherchant à s'appuyer sur des militants soucieux de ne plus voir les querelles et les voix divergentes rythmer la vie du PS.
Las, la missive punitive a fait resurgir la fracture rémoise, au regard des réactions du landerneau socialiste à la polémique épistolaire.
Ceux qui ont exprimé leur soutien à l'initiative d'Aubry (Harlem Désir, Benoît Hamon, Claude Bartolone) sont les gardiens de sa majorité "Delanoë/gauche du parti/fabiusiens", tandis que les barons Gérard Collomb et Jean-Noël Guérini, comme les "royalistes" Jean-Pierre Mignard et Aurélie Filippetti sont montés au créneau pour défendre Valls. Un conseiller d'Aubry affirme pourtant: «Nous ne faisons qu'appliquer ce que Ségolène demandait pendant le congrès: davantage de discipline et de respect de l'autorité du parti. D'ailleurs, les premiers retours des militants sont bons…»
[1] http://www.mediapart.fr/club/blog/stephane-allies
[2] http://www.mediapart.fr/journal/france/160709/les-amis-d-europe-ecologie-sont-aussi-les-amis-de-jean-louis-borloo
[3] http://www.mediapart.fr/journal/france/240609/ca-y-est-martine-aubry-un-calendrier-de-travail-pour-le-ps
[4] http://www.mediapart.fr/journal/france/080709/au-ps-un-petit-seminaire-pour-une-grosse-crise
[5] http://www.leparisien.fr/politique/le-texte-integral-de-la-lettre-de-martine-aubry-a-manuel-valls-14-07-2009-580147.php
[6] http://www.mediapart.fr/journal/france/100709/la-maison-commune-d-aubry-fait-un-flop-gauche
[7] http://progres.typepad.fr/valls/2009/07/réponse-à-martine-aubry.html
[8] http://www.lepoint.fr/actualites-politique/2009-01-13/info-lepoint-fr-rappele-a-l-ordre-par-aubry-vallini-claque-la/917/0/306122
[9] http://www.mediapart.fr/journal/france/republico/120309/la-division-europeenne-du-ps-touche-aussi-le-courant-hamon
[10] http://www.lejdd.fr/cmc/politique/200925/regionales-freche-indesirable_219413.html
[11] http://www.mediapart.fr/journal/france/290408/manuel-valls-appelle-les-socialistes-la-rupture
[12] http://www.laligneclaire.fr/
[13] http://www.lexpress.fr/actualite/indiscret/pour-valls-sarkozy-n-est-pas-liberal_774752.html
[14] http://www.leparisien.fr/politique/les-cadres-du-ps-soutiennent-le-geste-d-aubry-15-07-2009-581069.php
[15] http://abonnes.lemonde.fr/politique/article/2009/07/16/plusieurs-personnalites-du-ps-soutiennent-manuel-valls-face-a-martine-aubry_1219282_823448.html