Par Pierre Puchot - mercredi 12 août 2009 - Mediapart.fr
En Cisjordanie, le Fatah, parti fondé par Yasser Arafat, majoritaire au sein de l'Autorité palestinienne, a fait entrer du sang neuf en son sein, à l'issue de son congrès, mardi 11 août. Pour l'ambassadeur de la Palestine à l'Unesco, Elias Sanbar, ce premier congrès du Fatah depuis 1989 est «une réussite pour Mahmoud Abbas », réélu à la tête du parti.
Tenu dans un climat parfois houleux et sous le feu des critiques d'une population palestinienne qui s'est peu à peu détournée de ses dirigeants historiques, le congrès du principal parti laïc palestinien en quête d'un nouvel élan après ses déroutes électorales face au Hamas, s'est doté mardi d'une direction rajeunie avec comme figure de proue Marwane Barghouthi, véritable symbole palestinien emprisonné à vie en Israël. Outre Barghouthi, qui purge cinq peines de prison à perpétuité pour son rôle dans l'Intifada contre l'occupation, treize nouveaux membres ont fait leur entrée au Comité central du Fatah sur 18 élus. Pour l'ancien membre de l'équipe de négociation palestinienne, la principale réussite de ce congrès a été «le niveau élevé de démocratie» dans lequel il s'est déroulé, malgré l'occupation israélienne, les désaccords internes et la division interpalestienne. Et il prévient: selon ses informations, en septembre, le Proche-Orient va bouger. Entretien.
Elias Sanbar, quel bilan tirez-vous du congrès du Fatah, le premier depuis 20 ans, auquel vous venez d'assister, et qui s'est achevé mardi après de nombreux reports de vote ?
Quoi qu'on en dise, ce congrès est une réussite pour le président réélu, Mahmoud Abbas. Il tenait à tout prix à avoir ce congrès en Palestine, il s'est tenu en Palestine. Il avait promis qu'il arriverait à faire rentrer les délégués du Liban, de Syrie, de Jordanie, et tous sont rentrés, ce qui apparaissait pourtant délicat par rapport aux autorités israéliennes.
Le congrès s'est tenu dans des conditions difficiles, mais c'est compréhensible: il a réuni plus de 2 500 délégués, sans compter les délégations étrangères, la presse...
Les deux premières journées ont été l'occasion pour beaucoup de dire ce qu'ils avaient sur le cœur. Ces 48 heures ont été extrêmement agitées, mais sans entraves.
Cela a d'ailleurs parfois dépassé les règles du respect mutuel: tout le monde a vidé son sac.
Ensuite, s'est posé un problème au niveau du vote. Le premier aspect de ce problème a été le fait qu'il y avait 500 membres du congrès bloqué à Gaza par le Hamas. Il fallait à tout prix qu'ils votent, et cette question a entraîné un long débat, avant que les membres de Gaza finissent par pouvoir voter.
Le discours d'ouverture du président Abbas a été dans la ligne que l'on connaît: la nécessité de relancer le mouvement, et surtout de remobiliser les troupes dans la perspective assez proche de négociations.
Il est clair que c'était l'un des enjeux principaux de ce congrès.
À quelle échéance auront lieu ces négociations ? Et de quels éléments disposez-vous pour les annoncer, alors que le processus de paix est au point mort depuis près de deux ans ?
Nous avons beaucoup d'informations. Les délégués américains que nous avons rencontrés laissent entendre que quelque chose que va être annoncé au mois de septembre. Il va falloir que le Fatah soit en état d'aller aux négociations. Si le président Obama n'a pas de catastrophe chez lui, il va proposer, avec ses alliés, une approche globale – et non plus spécifique – du conflit israélo-palestinien, une approche qui dresse les contours d'une solution régionale qui inclurait également la partie libanaise et la partie syrienne. C'est en tout cas les informations qui nous parviennent aujourd'hui. Nous savons qu'il y a une volonté du côté américain. Pourra-t-elle se réaliser? C'est la question à laquelle on pourra répondre dans quelques semaines.
Outre ces éléments, il y a aussi des signes annonciateurs d'un changement. En premier lieu, et de manière contradictoire, la folle cadence qu'a pris la colonisation israélienne ces dernières semaines. J'ai le sentiment d'assister à une espèce de course contre la montre avant qu'il ne soit trop tard. Le comportement aussi des autorités israéliennes pendant le congrès est un autre signe. J'avais moi-même la conviction qu'elles ne laisseraient pas faire. Et pourtant, il n'y a pas eu de blocages, et les délégués étrangers ont pu entrer pour participer au Congrès.
«Un niveau élevé de démocratie»
Plusieurs «nouveaux» font leur entrée au comité central du parti, dont Marwane Barghouthi, figure historique emprisonnée en Israël, et qui s'oppose depuis longtemps à la direction du Fatah...
Ce qui a été intéressant dans le processus de vote, c'est qu'il a été profondément démocratique. Plusieurs cadres importants du parti, en position de force dans l'appareil, n'ont pas été reconduits, comme Ahmed Qoreï par exemple. Cela s'est parfois joué à une voix près. De même, lorsqu'on qu'un doute a plané sur la commission électorale, elle a immédiatement été démantelée.
L'enjeu n'est cependant pas lié au nombre de contradicteurs –comme je préfère les nommer, plutôt qu'"opposants"–, car le Fatah possède une grande tradition de débats, souvent houleux. Maintenant, une catégorie de militants (qui a beaucoup lutté et apporté au mouvement, sans recevoir en contrepartie le pouvoir auquel elle avait droit) a du poids dans l'appareil. Mais ceci va-t-il permettre de redynamiser le mouvement, qui était dans une situation de paralysie ? Ce renouvellement au sein des dirigeants va-t-il engendrer un renouvellement à la base ? C'est tout le défi. Je ne sais pas s'il sera relevé. D'autant que tout cela se passe dans une société occupée, sous la domination d'Israël.
Le programme politique, qui constituait jusque-là une des faiblesses du Fatah, a été élaboré lors du congrès par plusieurs commissions. Quels en sont les grandes lignes ?
J'ai participé à la commission politique, et de mon point de vue, le programme élaboré a réussi trois choses: maintenir la continuité, pour un mouvement qui a été le premier, après 1948 à faire émerger une résistance et l'idée d'une libération nationale. Le deuxième facteur, c'est une prise en compte de l'évolution des luttes: le programme entérine la volonté d'aller vers une solution négociée avec Israël, sans rejeter le fait qu'un mouvement peut, dans le cadre d'un échec total des choix diplomatiques, passer de nouveau à d'autres formes de combats.
Le troisième point, d'ordre interne, c'est la question, posée sans tabou, de la nouvelle forme à donner au parti, sans attendre la fin de l'occupation, ce qui est essentiel.
Mais encore une fois, si je suis optimiste face à ce texte, je ne sais pas si le défi pourra être relevé dans la réalité.
Dans ce congrès, quelle a été la place accordée à la question cruciale du dialogue avec Hamas ?
Beaucoup de membres du Fatah pensaient que quelle que soit notre appréciation du Hamas, et les affrontements armés que nous avions eu avec lui, l'intérêt est celui de l'union nationale. Cette question a été prépondérante à la veille du congrès. Mais la prise d'otages de 500 membres du Fatah, empêchés de voter au congrès par le Hamas, a fait basculer les choses. Il est apparu qu'il y a avait un sabotage très clair, qui a durci la position des partisans d'un dialogue.
Le fait qu'ensuite, les 500 membres de Gaza ont finalement voté, a été ressenti comme une grande victoire de ce congrès, contre le chantage du Hamas.
Maintenant, je peux vous dire une chose : je ne sais pas ce que fera le Hamas si la négociation s'ouvre et les négociateurs palestiniens reviennent avec des acquis. Là, il y aura une sacrée crise pour ce mouvement. Car il ne faut pas oublier que la ligne du Hamas est basée sur le fait que les négociateurs palestiniens reviennent en permanence les mains vides. S'ils rentrent cette fois avec des acquis, alors le peuple ne continuera plus à penser que la négociation est stérile. D'autant plus que, selon les informations dont je dispose, il y a aussi un profond mécontentement à Gaza à l'encontre de la gestion du Hamas.
Ce mécontentement des Palestiniens s'exprime aussi depuis plusieurs années, et de manière très forte en Cisjordanie à l'encontre de l'Autorité palestinienne et du Fatah...
Bien entendu, ce mécontentement existe, du fait que l'occupation israélienne continue. Et le peuple estime que sa vie est chaque jour plus compliquée. C'est vrai qu'il y a beaucoup de choses qui ne vont pas, qu'il y a encore au sein de l'administration beaucoup de gens incapables.
Ceci dit, il faut être aussi impartial, et reconnaître qu'il y a eu énormément d'avancées, dans des conditions extrêmement paradoxales, menées par le gouvernement de Salam Fayad [premier ministre palestinien]. Quelques exemples: la quasi-totalité des villes sont aujourd'hui sécurisées, il n'y a plus tous ces phénomènes de voyous qui s'étaient développés; au niveau du ministère des finances, il y a désormais une rationalité incontestable, et les salaires des fonctionnaires arrivent tous les mois à 180 000 familles, ce qui n'est pas évident dans le contexte d'occupation; le ministère de l'éducation travaille très bien également et obtient des résultats. On critique beaucoup l'Autorité palestinienne et le Fatah, parfois avec justesse, mais il faut savoir faire la part des choses, et reconnaître aussi les acquis positifs du gouvernement palestinien.
Links:
[1] http://www.mediapart.fr/club/blog/Pierre Puchot
[2] http://www.mediapart.fr/journal/international/270109/palestine-que-faire-avec-le-fatah-parti-impopulaire-et-exsangue
[3] http://www.mediapart.fr/journal/international/070809/palestine-la-vieille-garde-verrouille-le-congres-du-fatah