I- économie générale de l'avant projet :
Le projet est présenté comme l'élément de rupture de la présidence sarkozienne avec les notabilités territoriales conservatrices. La campagne de communication qui a déjà commencé s'appuie sur deux axes démagogiques et populistes :
-
la réduction du nombre de collectivités qui rationaliserait le fonctionnement administratif du pays et réduirait les dépenses publiques dispendieusement gérées par le collectivités de gauche ;
-
la réduction du nombre d'élus qui contribuerait également à la baisse des dépenses publiques et restreindrait la logique de professionnalisation de la vie politique.
Dans les deux cas, c'est évidemment la gauche qui est visée, à contre-pied au regard des obligations financières qui s'imposent aux collectivités et non à l'État.
On pourra constater que ce projet est loin des effets d'annonce et ne vise effectivement qu'à déstabiliser la gauche et à la décrédibiliser un peu plus dans l'opinion à la veille d'une campagne électorale cruciale pour elle à plus d'un titre. Mais surtout il n'est en aucun cas la grande rupture promise, à bien des égards il n'avance pas fondamentalement par rapport à des débats qui ont déjà eu lieu, laisse bien des questions sans réponse et se trouve même quelques fois en retrait par rapport au Rapport de la commission Balladur.
Ce projet, qui vise à confondre régions et départements, couplé à une réforme de la fiscalité locale menottant les deux, conduirait, s'il était mis en œuvre, à l'affaiblissement des régions, sans renforcer évidemment pour autant les conseils généraux.
Affaiblissement des collectivités locales et, dans la foulée, recentralisation des pouvoirs. Ce projet est dangereux. Il remet en cause des acquis de 25 ans de décentralisation au moment même où la préférence va aux régions pour construire notre devenir. Ce qui nous est présenté nous propose un État donneur d'ordre manipulant des collectivités-marionnettes mais qui assumeraient l'essentiel des financements.
II- Une réforme contradictoire avec son propos supposé :
1) La création des conseillers territoriaux :
Comme l'a bien dit Martin Malvy dans sa tribune du Monde, Le remplacement des conseillers généraux et des conseillers régionaux par des "conseillers territoriaux" offrirait cette particularité d'instituer, non pas le cumul des mandats, mais celui des fonctions.
L'argument utilisé maintenant d'une ressemblance avec le scrutin défendu il y a bien longtemps par un ancien collaborateur de Vincent Auriol est d'autant plus fallacieux qu'Étienne Weill-Raynal n'est jamais parvenu à l'imposer à ses propres amis. Les arrière-pensées partisanes sont transparentes, surtout si, comme cela court dans les antichambres du pouvoir, le scrutin devait être à un tour seulement.
La tradition française étant celle du regroupement de la gauche au 2nd tour, la droite espère s'offrir les pouvoirs locaux avec 30 à 35 % des voix seulement.
Il n'y aurait plus qu'à modifier le scrutin législatif dans le même sens et la droite s'octroierait un certificat de longévité à bon compte.
Le scrutin territorialisé au niveau de gros cantons, l'assemblage d'élus qui n'en seraient pas responsables, mais dont les motivations seraient d'abord celles de leur propre territoire ne déboucheront jamais sur une véritable approche régionale des politiques à mener.
Les assemblées régionales qui sortiraient d'une telle réforme - attention le mode de scrutin n'est pas décrit dans l'avant-projet de loi - seraient vraisemblablement pléthoriques ; à l'échelle de l'Île-de-France, sans même faire l'addition complète des sièges des conseils généraux on pourrait ainsi atteindre plus de 400 conseillers territoriaux. On peut douter de l'efficacité pratique d'une assemblée régionale dans ces conditions.
2) Intercommunalité,reprise en main du préfet et institutionnalisation du cumul des fonctions :
L'achèvement de la carte intercommunale, sa mise en cohérence et sa nécessaire démocratisation sont des objectifs partagés par l'immense majorité des élus et de leurs organisations représentatives. En l'état actuel du texte cependant, les conditions dans lesquelles l'achèvement de la carte intercommunale est envisagé n'échappent pas à une évidente préoccupation d'affirmation de la prééminence de l'État.
Les pouvoirs dont disposerait le préfet, au détriment de ceux que conserveraient les élus locaux, sont contraires à la libre administration des collectivités locales. Pendant l'année 2012, les conseils municipaux seraient appelés à se prononcer sur le projet de création ou de modification du périmètre de l'intercommunalité les concernant, à la majorité qualifiée. Mais en 2013, si cette majorité n'était pas réunie, le préfet pourrait passer outre le veto démocratique et imposer la version de l'État. A quoi auraient servi, dans ces conditions, les délibérations communales ? Un "oui" volontaire en 2012, un "oui" imposé en 2013.
Par ailleurs autant, le texte met fin à un système de désignation des délégués communautaires dans le EPCI à la carte qui entraînait des disparités importantes d'une intercommunalité à une autre, parfois au détriment de la démocratie. Les délégués communautaires seront identifiés dès le scrutin municipal sur les listes soumises aux électeurs, ce qui introduit une transparence plus grande, mais c'est une proposition ancienne, la plus communément admise d'ailleurs au PS. Cependant à regarder le tableau de l'article 21 (page 14) qui définit les strates démographiques de répartition des délégués communautaires, on peut s'attendre également à des assemblées intercommunales pléthoriques : appliqué à la future agglomération de l'Est-Parisien et à la ville de Pantin, nous atteindrions quelques 257 délégués communautaires1, dont 37 délégués pantinois sur 43 conseillers municipaux ! Non seulement on peut douter de la maniabilité d'une telle assemblée locale, mais il s'agit ici d'institutionnalisé un cumul des mandats et des indemnités camouflé en cumul des fonctions, belle opération pour une majorité présidentielle qui crie haro sur le conservatisme intéressé des élus socialistes.
L'avant projet de loi ne dit rien cependant de la proposition du Rapport Balladur, fortement soutenue par MM. Mauroy et Vallini, de transformer les EPCI de type Communautés de communes ou d'agglomération en collectivités de plein exercice.
3) Région, Département, mais aussi Métropole, le gouvernement ne tranche pas :
À la demande du président de la République on a déjà noté que l'avant-projet de loi cherche à dépasser le conflit de primauté Région-Département en cantonalisant la Région et en risquant ainsi d'amoindrir la vision stratégique qu'elle avait prise à son compte. À l'échelle inférieure, le Département est lui-même marginalisé - au point qu'on peut se demander quel sera encore son rôle dans les Bouches-du-Rhône, le Nord, le Rhône - par la création des Métropoles (article 22, page 18 et suivantes), sorte de super-Communautés urbaines qui reprendront à leur compte les compétences du Département sur le territoire qu'elles auront à gérer en propre. Le territoire départemental pourrait même être redessinné à l'occasion de la création des Métropoles s'il s'avérait que l'une d'elle soit à cheval sur plusieurs Départements actuels (vraisemblablement envisagé pour la future métropole lyonnaise).
Par ailleurs concernant la répartition des compétences entre collectivités ne fait que conforter la notion de « bloc de compétences », la répartition des compétences et surtout la clause de compétence générale des collectivité étant renvoyée à une autre loi à venir. Ce qui interroge en terme de courage politique et de rupture affichée. Il est vrai que le débat fait rage sur ce sujet à l'intérieur de chaque organisation politique (sauf chez les Verts partisans affirmés de la fin de la clause de compétence générale des collectivités autres que les communes).
Cependant, l'avant projet est catégorique sur l'exigence qui serait faite aux communes ou communautés de plus de 2 000 habitants de financer à 50 % leurs équipements pour pouvoir bénéficier d'une subvention de la région ou du département. Quand on sait que les collectivités locales financent 73 % des investissements publics, on voit ce que cette contrainte pourrait avoir de conséquences sur le secteur du bâtiment et des travaux publics.
Il faut être singulièrement ignorant pour imaginer qu'une commune ou une communauté de 10 000 habitants pourrait financer à 50 % le centre culturel qu'elle doit dimensionner pour 20 000 ou 30 000, ou même qu'une métropole réalisant un parc des expositions à vocation internationale devrait, pour être accompagnée, consentir à assumer la moitié du coût, alors que son intérêt serait, par définition, départemental et régional. Des milliers de projets échoueraient chaque année si cette proposition devait devenir la règle.
Rien n'est dit par contre de la pratique actuelle de l'État de contraindre les collectivités à participer au financement de projets relevant pleinement de sa responsabilité. Le PS propose de limiter les financements croisés entre collectivités en réservant les co-financements aux collectivités « supra » : l'État ne pourrait obliger les collectivités décentralisées à financer les actions de sa compétence mais une commune pourrait voir son projet financé au mieux par l’intercommunalité, le département, la région, l'État et l’Europe. Le département ne pourrait faire financer ses projets que par la région, l'État et l’Europe.
Rien n'est dit non plus des situations de compétences partagées, car renvoyées à une seconde loi, (10 à 20 % des budgets des régions et des départements) concernent principalement la culture, le sport, les loisirs, le tourisme, ainsi qu’une partie du développement économique et des aides aux communes pour financer leurs équipements. Le PS propose qu'un chef de file soit désigné, principal co-financeur du projet ou des compétences concernées (notion absente de l'avant projet).
4) Les « Communes nouvelles », exemple d'une radicalité sarkozienne molle :
L'avant projet propose de remplacement la procédure de fusion de communes par celui de création de « commune nouvelle ». Il s'agit de fusionner sur demande du conseil communautaire et/ou de tout ou partie des conseils municipaux d'une communauté d'agglomération ou de communes, les collectivités membres de la communauté. Suivrait évidement une validation par un référendum local, nécessitant la majorité des exprimés, représentant au moins 25 % des inscrits.
Mais l'exécutif craint les réactions identitaires, la commune étant un territoire affectif connu des Français, donc il est proposé de maintenir les « communes anciennes » en « territoires », avec des maires de territoires et des conseils de territoire (et donc des conseillers territoriaux), qui sont assimilés à des sortes d'arrondissements sur le modèle PLM (mais sans en reprendre le mode électoral), en charge de programmes d'aménagement de proximité, de l'état civil, de la mise en œuvre de l'obligation scolaire,d'émettre des avis locaux sur les projets de la « commune nouvelle » et des vœux dont celle-ci pourra se saisir.
Tout cela est assez confus et la procédure risque de connaître le même destin que la précédente.
Par contre il aurait été plus subtil d'ouvrir la possibilité aux SAN et anciens SAN, dont l'intégration institutionnelle et territoriale est nettement plus forte pour bien des raisons, de fondre en une seule commune sans création de « territoires » reprenant le finage des vieilles communes. La procédure de fusion aurait été maintenue pour le tout venant, ce qui n'aurait pas changé grand chose.
5) Fusion de Régions et de Départements, démocratie selon les convenances :
L'avant-projet de loi fixe la possibilité de procéder à la fusion de départements ou de régions, mais à la différence de la création de « communes nouvelles » qui débouche obligatoirement sur un référendum local, il n'est envisagé de faire appel aux suffrages des citoyens qu'à la seule condition qu'il existe un désaccord entre les assemblées territoriales concernées.
Par souci de cohérence, il faudrait choisir soit la voie représentative, soit la voie référendaire, mais à l'heure du discours sur l'accroissement de la participation citoyenne, il paraîtrait logique de s'appuyer sur le suffrage des habitants.
Rien n'est dit des procédures qui permettrait à un département de se rattacher à une autre région que celle à laquelle il est aujourd'hui affilié.
6) L'avant-projet fait l'impasse sur la Région-Capitale :
Le texte de l'avant-projet de loi, à la demande expresse du Président de la République, fait l'impasse sur la Région Île-de-France et son organisation territoriale. Le Président affirme vouloir prendre le temps avec les élus d'un débat plus approfondi et regarder le résultat des expérimentations en cours.
On s'interrogera sur la constitutionnalité d'une telle pratique, la spécificité de la Région Île-de-France, si elle est avérée dans la pratique, n'étant pas inscrite aujourd'hui dans les textes. Cela introduit une imprécision majeure sur la manière d'aborder les 4 années à venir ; en effet, si jamais la loi réformant les collectivités territoriales était adoptée fin 2009-début 2010, les Régions et Départements de province seraient au moins fixés sur la manière d'engager les projets d'ici à 2014, futur rendez-vous électoral territorial de mise en œuvre de la réforme. Si le Président de la République veut prendre son temps sur l'Île-de-France, c'est qu'il veut sans doute laisser passer l'élection présidentielle, au passage maintenir l'incertitude sur l'un de ces concurrents potentiels à gauche (Bertrand Delanoë) et provoquer un mini big-bang institutionnel en Île-de-France à la veille des élections territoriales de 2014. Entre temps, il aura réussi à imposer sa stratégie de développement économique (que le SDRIF soit finalement approuvé par l'État) à la Région et à ses élus, placés dans l'incertitude institutionnelle. La Région Île-de-France, plus que les autres, est donc belle et bien soumise à une pression recentralisatrice, où les collectivités seraient considérées comme des vaches à lait dociles d'un État impécunieux.
* * * * *
La rumeur court que l'avant projet de loi pourrait être découpée en quatre projets de loi distincts, tous soumis au parlement au 4ème trimestre de 2009 : fiscalité locale, compétences, modes de scrutin, métropoles. Cela laisse songeur quand on connaît le programme envisagé d'ores-et-déjà pour le parlement dans les trois à venir, avec une session ouvrant prématurément début septembre, et les traditionnels débats budgétaires et sociaux. L'accumulation de projets de loi et la division profonde de l'opposition sur ces sujets augurent mal des conditions de débats et d'adoption de la réforme des collectivités, à l'assemblée comme au sénat.
III- les handicaps internes à la gauche :
C'est sans doute triste à dire mais le principal allié de Nicolas Sarkozy pour permettre l'adoption facile de la réforme territoriale, c'est la gauche elle-même. La gauche, et en son centre le Parti socialiste, est sans doute bien plus divisée, en tout cas visiblement... Depuis que la gauche dirige la majorité des Conseils généraux du pays, le débat institutionnel qui existait en son sein pour savoir quelle était la collectivité d'avenir entre Région et Département a cessé, et il n'est plus question de toucher à un cheveu du département, bien que celui-ci soit sorti exsangue (c'est particulièrement vrai de la Seine-Saint-Denis) de la réforme de 2003-2004 et de ses conséquences sur l'APA et le RMI.
Ce qui tient lieu officiellement de ligne au Parti socialiste est le rapport assez malingre qu'Elisabeth Guigou a fait laborieusement adopter par le bureau national le 20 janvier 2009. Or ce texte est riche de ses incohérences, de ses faiblesses et des chassés-croisés qu'il opère avec les positions affirmées d'autres responsables socialistes.
1) Incohérences internes :
Alors que le Parti socialiste développe depuis des années un discours sur la nécessité de renforcer les Régions pour en faire des champions européens, elle dénonce le débat et s'appuie sur la taille de Rhône-Alpes (une des plus grandes de France) pour réfuter la nécessité de rassembler les Régions. Mais après l'avoir réfuté, elle indique la possibilité de fusions volontaires entre Régions.
D'une manière générale, elle subit la situation née de 2004 et renforcée en 2008, qui fait que les intérêts de 20 Régions métropolitaines de gauche doivent se conjuguer désormais avec un lobby puissant que représente la majorité de gauche des conseils généraux qui refusent de voir leur situation évoluer. Le document veut comparer l'organisation territoriale de la France avec celle de ses partenaires européens, indiquant qu'il y aurait partout 3 niveaux territoriaux (sous-entendus les départements ne sont pas de trop), et que la complexité serait un faux débat, or elle occulte complètement à ce stade l'existence des EPCI et des Pays dont la montée en puissance (surtout en province) est évidente.
Néanmoins elle souhaite réduire la complexité du dispositif territorial français en autorisant dans le même temps la négociation de délégations de compétences entre collectivités, ce qui accroît le risque de confusion dans l'esprit des administrés.
2) Faiblesses internes :
Alors que la question des finances des collectivités locales, de leur autonomie et de leur dynamisme apparaît criant, la note d'Élisabeth Guigou se borne à répéter des banalités. Elle revendique une péréquation verticale et horizontale, un équilibre entre impôt sur les ménages et impôt sur les entreprises, une meilleure égalité de l'impôt sur les ménages, et un impôts sur les entreprises qui ne pénalise pas l'investisseur et l'innovation. On est loin d'une réponse construite à la suppression de la TP.
Les DOM-TOM et la Corse sont totalement absents de la note. Les Pays également. Rien non plus sur une éventuelle « métropolisation » des grandes agglomérations françaises.
Il n'y a aucune proposition sur la réforme du mode de scrutin départemental ou du mode de scrutin sénatorial, le Sénat étant pourtant « l'assemblée des territoires ».
Le débat sur la compétence générale des Départements et des Régions n'est pas tranché, la note se borne à revendiquer la reconnaissance légale des blocs de compétences et des logique de « chef de file », mais elle ne se prononce pas sur l'opportunité ou non de conserver la compétence générale.
La question du mode de scrutin et de l'élection directe des représentants aux conseils communautaires n'est pas tranchée : scrutin PLM ou scrutin mixte (élection directe des représentants + maires de droit).
Les EPCI à fiscalité propre ne sont pas amenés à devenir des collectivités de plein exercice.
La spécificité de la Région Île-de-France est niée, Paris Métropole élevé au range de « lieu de gouvernance original », ce qui montre que l'on ne sait pas trop quoi dire de plus. Les propositions du Rapport Planchou sur les outils techniques pour renforcer la Région Île-de-France ne sont même pas évoquées, ce qui montre une incapacité à s'appuyer sur le travail des socialistes de la région.
3) Chassés-croisés :
Il sera difficile de faire de ce texte un support pour une opposition frontale avec le projet de loi, adossé au Rapport Balladur, car sur bien des points elle le rejoint, bien que le condamnant a priori. Sur la question de la compétence générale des régions et des départements la position faible prônée par Guigou empêche de s'opposer clairement à Balladur quand a contrario Mauroy et Vallini réclament eux le maintien argumenté de cette compétence générale.
La note du BN approuve également la suppression des doublons des services de l'État sur les compétences des collectivités.
L'annonce de la suppression des SIVU-SIVOM se recouvrant avec des communautés existantes est également une propositions communes.
Il sera impossible de s'opposer aux fusions de Régions ou de Départements, car pour les départements la seul envisagée (Alsace) les deux sont volontaires et que plusieurs régions socialistes souhaitent se rapprocher ou s'adjoindre des départements de régions voisines (ex. Loire-Atlantique).
La note Guigou ne dit rien de ce que Mauroy et Vallini appellent comme transferts supplémentaires de compétences vers les collectivités (enseignement supérieur pour les régions ; sport, santé environnement et lycées - avec personnels administratifs - pour les départements).
Enfin, Pierre Mauroy et André Vallini pointent le vide politique des élus franciliens pour l'organisation de la Région et du Grand Paris, ce qui touché là où cela fait mal.
* * * * *
le Parti socialiste ne s'est pas réellement mis en mouvement. À bien des égards, beaucoup de nos élus locaux se satisfont de la « cohabitation territoriale » qui s'est établie en 2004 puis en 2008 (à la droite le national, à la gauche la gestion des collectivités). Si le vrai pouvoir serait - à ce que l'on dit - désormais dans les collectivités pourquoi faire campagne pour les Européennes ? Prenons à garde à ce que ce raisonnement ne finisse par nous toucher pour les prochaines présidentielles ! Doit-on mesurer la capacité des socialistes à la gestion des collectivités ? car malgré tout le respect que j'ai pour nos nombreux élus locaux, dont je fus dans une vie antérieure, j'ai bien l'impression que la gestion locale même dans des collectivités dites à portée stratégique est en train d'anesthésier la pensée socialiste... Le PS étouffe sous ses atouts locaux. Il fait bon être au chaud dans les Hôtels de Ville, d'agglomération, de département ou de région, tellement confortable d'ailleurs que quelques uns finissent par s'accommoder de la "cohabitation territoriale", quand la préoccupation des socialistes ne finit plus que par se concentrer sur les moyens de reconduire des élus et des postes de conseillers techniques... La professionnalisation générale de l’organisation affecte le militantisme: de plus en plus d’adhérents dépendent professionnellement du PS ou de ses élus (permanents, collaborateurs, entourage d’élus, fonctionnaires des collectivités locales, bureaux d’études…). Ces militants ne sont pas «affranchis» de l’organisation mais au contraire y sont de plus en plus liés matériellement (même s’ils peuvent s’aménager un «quant à soi»). La structuration du PS et donc de l’engagement reste fondamentalement territorialisée. On adhère dans une section et on milite d’abord localement. Tout cela risque de ne pas encourager les socialistes à aborder intelligemment dans le sens de l'intérêt général la réforme des collectivités territoriales, ou même à bâtir un contre-projet. Les élus locaux au regard de la tambouille que prépare le locataire de l'Elysée devraient cependant se préoccuper de faire élire un socialiste à sa place en 2012 pour conjurer les effets dévastateurs que pourraient à voir cette réforme sur les territoires et leurs habitants. Mais rien n'est moins sûr, pour l'instant le meilleur plutôt que le pire...
Frédéric Faravel
secrétaire fédéral du PS Val d'Oise aux relations extérieures
1À titre d'exemple, le conseil régional d'Île-de-France compte aujourd'hui 209 élus.
Le projet est présenté comme l'élément de rupture de la présidence sarkozienne avec les notabilités territoriales conservatrices. La campagne de communication qui a déjà commencé s'appuie sur deux axes démagogiques et populistes :
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la réduction du nombre de collectivités qui rationaliserait le fonctionnement administratif du pays et réduirait les dépenses publiques dispendieusement gérées par le collectivités de gauche ;
-
la réduction du nombre d'élus qui contribuerait également à la baisse des dépenses publiques et restreindrait la logique de professionnalisation de la vie politique.
Dans les deux cas, c'est évidemment la gauche qui est visée, à contre-pied au regard des obligations financières qui s'imposent aux collectivités et non à l'État.
On pourra constater que ce projet est loin des effets d'annonce et ne vise effectivement qu'à déstabiliser la gauche et à la décrédibiliser un peu plus dans l'opinion à la veille d'une campagne électorale cruciale pour elle à plus d'un titre. Mais surtout il n'est en aucun cas la grande rupture promise, à bien des égards il n'avance pas fondamentalement par rapport à des débats qui ont déjà eu lieu, laisse bien des questions sans réponse et se trouve même quelques fois en retrait par rapport au Rapport de la commission Balladur.
Ce projet, qui vise à confondre régions et départements, couplé à une réforme de la fiscalité locale menottant les deux, conduirait, s'il était mis en œuvre, à l'affaiblissement des régions, sans renforcer évidemment pour autant les conseils généraux.
Affaiblissement des collectivités locales et, dans la foulée, recentralisation des pouvoirs. Ce projet est dangereux. Il remet en cause des acquis de 25 ans de décentralisation au moment même où la préférence va aux régions pour construire notre devenir. Ce qui nous est présenté nous propose un État donneur d'ordre manipulant des collectivités-marionnettes mais qui assumeraient l'essentiel des financements.
La création des conseillers territoriaux :
Le remplacement des conseillers généraux et des conseillers régionaux par des "conseillers territoriaux" offrirait cette particularité d'instituer, non pas le cumul des mandats, mais celui des fonctions.
L'argument utilisé maintenant d'une ressemblance avec le scrutin défendu il y a bien longtemps par un ancien collaborateur de Vincent Auriol est d'autant plus fallacieux qu'Étienne Weill-Raynal n'est jamais parvenu à l'imposer à ses propres amis. Les arrière-pensées partisanes sont transparentes, surtout si, comme cela court dans les antichambres du pouvoir, le scrutin devait être à un tour seulement.
La tradition française étant celle du regroupement de la gauche au 2nd tour, la droite espère s'offrir les pouvoirs locaux avec 30 à 35 % des voix seulement.
Il n'y aurait plus qu'à modifier le scrutin législatif dans le même sens et la droite s'octroierait un certificat de longévité à bon compte.
Le scrutin territorialisé au niveau de gros cantons, l'assemblage d'élus qui n'en seraient pas responsables, mais dont les motivations seraient d'abord celles de leur propre territoire ne déboucheront jamais sur une véritable approche régionale des politiques à mener.
Les assemblées régionales qui sortiraient d'une telle réforme - attention le mode de scrutin n'est pas décrit dans l'avant-projet de loi - seraient vraisemblablement pléthoriques ; à l'échelle de l'Île-de-France, sans même faire l'addition complète des sièges des conseils généraux on pourrait ainsi atteindre plus de 400 conseillers territoriaux. On peut douter de l'efficacité pratique d'une assemblée régionale dans ces conditions.
Intercommunalité,reprise en main du préfet et institutionnalisation du cumul des fonctions :
L'achèvement de la carte intercommunale, sa mise en cohérence et sa nécessaire démocratisation sont des objectifs partagés par l'immense majorité des élus et de leurs organisations représentatives. En l'état actuel du texte cependant, les conditions dans lesquelles l'achèvement de la carte intercommunale est envisagé n'échappent pas à une évidente préoccupation d'affirmation de la prééminence de l'État.
Les pouvoirs dont disposerait le préfet, au détriment de ceux que conserveraient les élus locaux, sont contraires à la libre administration des collectivités locales. Pendant l'année 2012, les conseils municipaux seraient appelés à se prononcer sur le projet de création ou de modification du périmètre de l'intercommunalité les concernant, à la majorité qualifiée. Mais en 2013, si cette majorité n'était pas réunie, le préfet pourrait passer outre le veto démocratique et imposer la version de l'État. A quoi auraient servi, dans ces conditions, les délibérations communales ? Un "oui" volontaire en 2012, un "oui" imposé en 2013.
Par ailleurs autant, le texte met fin à un système de désignation des délégués communautaires dans le EPCI à la carte qui entraînait des disparités importantes d'une intercommunalité à une autre, parfois au détriment de la démocratie. Les délégués communautaires seront identifiés dès le scrutin municipal sur les listes soumises aux électeurs, ce qui introduit une transparence plus grande, mais c'est une proposition ancienne, la plus communément admise d'ailleurs au PS. Cependant à regarder le tableau de l'article 21 (page 14) qui définit les strates démographiques de répartition des délégués communautaires, on peut s'attendre également à des assemblées intercommunales pléthoriques : appliqué à l'APIEP et à la ville de Pantin, nous atteindrions quelques 257 délégués communautaires1, dont 37 délégués pantinois sur 43 conseillers municipaux ! Non seulement on peut douter de la maniabilité d'une telle assemblée locale, mais il s'agit ici d'institutionnalisé un cumul des mandats et des indemnités camouflé en cumul des fonctions, belle opération pour une majorité présidentielle qui crie haro sur le conservatisme intéressé des élus socialistes.
L'avant projet de loi ne dit rien cependant de la proposition du Rapport Balladur, fortement soutenue par MM. Mauroy et Vallini, de transformer les EPCI de type Communautés de communes ou d'agglomération en collectivités de plein exercice.
Région, Département, mais aussi Métropole, le gouvernement ne tranche pas :
À la demande du président de la République on a déjà noté que l'avant-projet de loi cherche à dépasser le conflit de primauté Région-Département en cantonalisant la Région et en risquant ainsi d'amoindrir la vision stratégique qu'elle avait prise à son compte. À l'échelle inférieure, le Département est lui-même marginalisé - au point qu'on peut se demander quel sera encore son rôle dans les Bouches-du-Rhône, le Nord, le Rhône - par la création des Métropoles (article 22, page 18 et suivantes), sorte de super-Communautés urbaines qui reprendront à leur compte les compétences du Département sur le territoire qu'elles auront à gérer en propre. Le territoire départemental pourrait même être redessinné à l'occasion de la création des Métropoles s'il s'avérait que l'une d'elle soit à cheval sur plusieurs Départements actuels (vraisemblablement envisagé pour la future métropole lyonnaise).
Par ailleurs concernant la répartition des compétences entre collectivités ne fait que conforter la notion de « bloc de compétences », la répartition des compétences et surtout la clause de compétence générale des collectivité étant renvoyée à une autre loi à venir. Ce qui interroge en terme de courage politique et de rupture affichée. Il est vrai que le débat fait rage sur ce sujet à l'intérieur de chaque organisation politique (sauf chez les Verts partisans affirmés de la fin de la clause de compétence générale des collectivités autres que les communes).
Cependant, l'avant projet est catégorique sur l'exigence qui serait faite aux communes ou communautés de plus de 2 000 habitants de financer à 50 % leurs équipements pour pouvoir bénéficier d'une subvention de la région ou du département. Quand on sait que les collectivités locales financent 73 % des investissements publics, on voit ce que cette contrainte pourrait avoir de conséquences sur le secteur du bâtiment et des travaux publics.
Il faut être singulièrement ignorant pour imaginer qu'une commune ou une communauté de 10 000 habitants pourrait financer à 50 % le centre culturel qu'elle doit dimensionner pour 20 000 ou 30 000, ou même qu'une métropole réalisant un parc des expositions à vocation internationale devrait, pour être accompagnée, consentir à assumer la moitié du coût, alors que son intérêt serait, par définition, départemental et régional. Des milliers de projets échoueraient chaque année si cette proposition devait devenir la règle.
Rien n'est dit par contre de la pratique actuelle de l'État de contraindre les collectivités à participer au financement de projets relevant pleinement de sa responsabilité. Le PS propose de limiter les financements croisés entre collectivités en réservant les co-financements aux collectivités « supra » : l'État ne pourrait obliger les collectivités décentralisées à financer les actions de sa compétence mais une commune pourrait voir son projet financé au mieux par l’intercommunalité, le département, la région, l'État et l’Europe. Le département ne pourrait faire financer ses projets que par la région, l'État et l’Europe.
Rien n'est dit non plus des situations de compétences partagées, car renvoyées à une seconde loi, (10 à 20 % des budgets des régions et des départements) concernent principalement la culture, le sport, les loisirs, le tourisme, ainsi qu’une partie du développement économique et des aides aux communes pour financer leurs équipements. Le PS propose qu'un chef de file soit désigné, principal co-financeur du projet ou des compétences concernées (notion absente de l'avant projet).
Les « Communes nouvelles », exemple d'une radicalité sarkozienne molle :
L'avant projet propose de remplacement la procédure de fusion de communes par celui de création de « commune nouvelle ». Il s'agit de fusionner sur demande du conseil communautaire et/ou de tout ou partie des conseils municipaux d'une communauté d'agglomération ou de communes, les collectivités membres de la communauté. Suivrait évidement une validation par un référendum local, nécessitant la majorité des exprimés, représentant au moins 25 % des inscrits.
Mais l'exécutif craint les réactions identitaires, la commune étant un territoire affectif connu des Français, donc il est proposé de maintenir les « communes anciennes » en « territoires », avec des maires de territoires et des conseils de territoire (et donc des conseillers territoriaux), qui sont assimilés à des sortes d'arrondissements sur le modèle PLM (mais sans en reprendre le mode électoral), en charge de programmes d'aménagement de proximité, de l'état civil, de la mise en œuvre de l'obligation scolaire,d'émettre des avis locaux sur les projets de la « commune nouvelle » et des vœux dont celle-ci pourra se saisir.
Tout cela est assez confus et la procédure risque de connaître le même destin que la précédente.
Par contre il aurait été plus subtil d'ouvrir la possibilité aux SAN et anciens SAN, dont l'intégration institutionnelle et territoriale est nettement plus forte pour bien des raisons, de fondre en une seule commune sans création de « territoires » reprenant le finage des vieilles communes. La procédure de fusion aurait été maintenue pour le tout venant, ce qui n'aurait pas changé grand chose.
Fusion de Régions et de Départements, démocratie selon les convenances :
L'avant-projet de loi fixe la possibilité de procéder à la fusion de départements ou de régions, mais à la différence de la création de « communes nouvelles » qui débouche obligatoirement sur un référendum local, il n'est envisagé de faire appel aux suffrages des citoyens qu'à la seule condition qu'il existe un désaccord entre les assemblées territoriales concernées.
Par souci de cohérence, il faudrait choisir soit la voie représentative, soit la voie référendaire, mais à l'heure du discours sur l'accroissement de la participation citoyenne, il paraîtrait logique de s'appuyer sur le suffrage des habitants.
Rien n'est dit des procédures qui permettrait à un département de se rattacher à une autre région que celle à laquelle il est aujourd'hui affilié.
L'avant-projet fait l'impasse sur la Région-Capitale :
Le texte de l'avant-projet de loi, à la demande expresse du Président de la République, fait l'impasse sur la Région Île-de-France et son organisation territoriale. Le Président affirme vouloir prendre le temps avec les élus d'un débat plus approfondi et regarder le résultat des expérimentations en cours.
On s'interrogera sur la constitutionnalité d'une telle pratique, la spécificité de la Région Île-de-France, si elle est avérée dans la pratique, n'étant pas inscrite aujourd'hui dans les textes. Cela introduit une imprécision majeure sur la manière d'aborder les 4 années à venir ; en effet, si jamais la loi réformant les collectivités territoriales était adoptée fin 2009-début 2010, les Régions et Départements de province seraient au moins fixés sur la manière d'engager les projets d'ici à 2014, futur rendez-vous électoral territorial de mise en œuvre de la réforme. Si le Président de la République veut prendre son temps sur l'Île-de-France, c'est qu'il veut sans doute laisser passer l'élection présidentielle, au passage maintenir l'incertitude sur l'un de ces concurrents potentiels à gauche (Bertrand Delanoë) et provoquer un mini big-bang institutionnel en Île-de-France à la veille des élections territoriales de 2014. Entre temps, il aura réussi à imposer sa stratégie de développement économique (que le SDRIF soit finalement approuvé par l'État) à la Région et à ses élus, placés dans l'incertitude institutionnelle. La Région Île-de-France, plus que les autres, est donc belle et bien soumise à une pression recentralisatrice, où les collectivités seraient considérées comme des vaches à lait dociles d'un État impécunieux.
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La rumeur court que l'avant projet de loi pourrait être découpée en quatre projets de loi distincts, tous soumis au parlement au 4ème trimestre de 2009 : fiscalité locale, compétences, modes de scrutin, métropoles. Cela laisse songeur quand on connaît le programme envisagé d'ores-et-déjà pour le parlement dans les trois à venir, avec une session ouvrant prématurément début septembre, et les traditionnels débats budgétaires et sociaux. L'accumulation de projets de loi et la division profonde de l'opposition sur ces sujets augurent mal des conditions de débats et d'adoption de la réforme des collectivités, à l'assemblée comme au sénat.
1À titre d'exemple, le conseil régional d'Île-de-France compte aujourd'hui 209 élus.