Article publié le jeu, 10/09/2009 - 19:43, par François Bonnet , Michel Dalloni - Mediapart.fr
On aurait envie d'écrire «Casse-toi, pauvre con!», en réponse aux propos du ministre de l'intérieur Brice Hortefeux. Mais puisque la vulgaire banalité raciste s'est installée au sommet de l'Etat, il faut aller au-delà de la «beauferie» ordinaire pour bien comprendre la portée de cette sinistre conversation. Et donc dire pourquoi ce propos n'est pas un dérapage mais un résumé saisissant d'une culture et d'un projet politique.
C'est pour cela que Brice Hortefeux ne démissionnera pas quand il le devrait faire.
Brice Hortefeux, pilier de la Sarkozie, est l'homme qui revendiqua la création du «ministère de l'identité nationale» aux relents pétainistes. Il est celui qui a défendu avec virulence la mise en place de tests ADN pour les étrangers demandeurs de visas dans le cadre du regroupement familial. Nouveau ministre de l'intérieur, il est aujourd'hui chargé de réanimer les thématiques ultra-sécuritaires que la ministre précédente, Michèle Alliot-Marie, n'avait pas souhaité exploiter outre mesure.
Ce week-end, il rencontre donc des militants UMP lors de leur université d'été annuelle. Certains gloseront sur le piège d'Internet, sur les «paroles volées»... Faible argumentaire. Il ne s'agit pas de Jean-Marie Bigard dans l'intimité de sa cuisine. Il s'agit d'un ministre de la République venu parler politique à ses militants, les mobiliser, les séduire, tenir meeting avec près de la moitié du gouvernement.
Et de quoi parlent militants, ministre et président du groupe UMP à l'Assemblée nationale (Jean-François Copé)? De l'«Arabe». «Il mange du cochon, il boit de la bière!» «Dis donc, il est plus grand que nous!» «Il correspond, pas du tout au prototype.» On touche l'«Arabe», on le palpe, on rit de bon cœur. Et le ministre conclut cette saynète politique du grand rendez-vous annuel du parti présidentiel: «Quand il y en a un, ça va, c'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes.»
Ça ne vous rappelle rien? Il y a un peu de «zoo humain» dans tout cela. Le «zoo humain», ce village reconstitué et encagé où furent exposés, lors de l'Exposition coloniale de 1931, des Kanaks (étiquetés «cannibales authentiques»), apogée monstrueux d'une vision raciste quant à la mission civilisatrice d'une race blanche supérieure.
Mais cela rappelle surtout les fêtes nationales «Bleu Blanc Rouge» du Front national, où Jean-Marie Le Pen, entre deux propos racistes et xénophobes, aimait à se montrer avec quelques «Maghrébins» opportunément recrutés. Et c'est là que les propos de Brice Hortefeux prennent tout leur sens. Nous avons publié mercredi 10 septembre un article titré «Jean-Marie Le Pen: enfin débarrassé!». Titre volontairement éditorial pour un article d'informations expliquant comment le vieux chef d'extrême droite s'apprêtait à se retirer: oui, nous nous réjouissons du retrait de Le Pen et de la désintégration du Front national qui, durant vingt-cinq ans, a porté au cœur du débat politique les thématiques du racisme et de l'exclusion.
A l'écoute des stratèges de Le Pen et de De Villiers
Cette histoire n'est pas terminée: c'est ce que nous dit indirectement Brice Hortefeux. L'homme a quelques précédents.
Azouz Begag a excellement raconté dans son livre Un mouton dans la baignoire l'ordinaire raciste et petit blanc de celui qui était son collègue de gouvernement, lorsque Dominique de Villepin l'avait nommé ministre délégué à la promotion de l'égalité des chances. Carine Fouteau rappelle d'autres affaires fâcheuses pour le ministre (cliquez ici pour lire son article).
D'autant plus fâcheuses que Brice Hortefeux a été l'un des artisans de la stratégie victorieuse de Nicolas Sarkozy. Il a été de ceux qui, avec constance, ont défendu la nécessité d'abattre les murs érigés pendant vingt ans entre la droite et l'extrême droite, pour aller «ratisser» l'électorat du Front national en enrôlant quelques-uns de ses idéologues au passage. Politique d'immigration, sécurité, banlieues, intégration : les discours ont abondamment emprunté aux thématiques du Front national, autorisant Jean-Marie Le Pen à s'écrier au lendemain de la présidentielle : «J'ai été victime d'un hold-up!»
Cette stratégie se poursuit, comme en témoigne l'intégration cet été du Mouvement pour la France (MPF) de Philippe de Villiers dans la majorité présidentielle, via le comité de liaison de l'UMP. Et, comme par hasard, dans les jours qui suivent, au début du mois, le jeune n°2 du MPF, Guillaume Peltier, rejoint officiellement les rangs de l'UMP avec la bénédiction de Xavier Bertrand, le secrétaire général, et le soutien très actif de Hervé Novelli, secrétaire d'État au commerce, à l'artisanat, aux petites et moyennes entreprises, au tourisme, aux services et à la consommation et ancien du mouvement d'extrême droite Occident, comme Patrick Devedjian, ministre de la relance, et Gérard Longuet, président du groupe UMP au Sénat.
Guillaume Peltier était, depuis 2005, le stratège du MPF après avoir transité par le Front national puis le MNR de Bruno Mégret. C'est l'homme qui a bâti le programme de Philippe de Villiers, le «candidat de la vraie droite»: dénonciation de l'islamisation, abrogation des 35 heures, refus du mariage homosexuel, «charters républicains», suppression des allocations aux sans-papiers... Il a également négocié l'accord avec l'UMP en vue des élections législatives de 2007. Son interlocuteur: Brice Hortefeux.
La semaine dernière, un indiscret du lefigaro.fr révélait que Guillaume Peltier avait inspiré à Jean-François Copé, le patron des députés UMP, quelques-unes des formules de son dernier livre Un député ça compte énormément comme «l'hyper-Parlement» ou «la Ve République bis». Un homme de communication très à droite débauché mais pas converti, à l'image de Patrick Buisson, conseiller de l'ombre de Nicolas Sarkozy, ancien de Minute, du Crapouillot et de Valeurs actuelles.
Ce proche de Philippe de Villiers, dont il fut le conseiller, et de Jean-Marie Le Pen, rêvait tout haut de rapprocher l'extrême droite de la droite républicaine. «Puisque Chirac a laissé partir ce que Barrès appelait “la France poignardée”, il faut la récupérer en lui parlant d'immigration et de sécurité, mais surtout de ce qui la fait vibrer : la
nation, l'identité, la famille. En clair, des “valeurs”», affirmait-il en 2007.
Nicolas Sarkozy l'a écouté, reconnaissant publiquement sa dette électorale à l'égard d'un homme qu'il a décoré de la Légion d'honneur à peine installé à l'Elysée avant de signer avec sa société de communication un très rémunérateur contrat récemment dénoncé par la Cour des comptes. Contrat portant sur des sondages payés par l'Elysée et publiés notamment par le Figaro et LCI.
A quelques jours du second tour de l'élection présidentielle de 2002, qui l'opposait à Jean-Marie Le Pen, Jacques
Chirac, dénonçait «l'extrémisme qui dégrade et salit l'image et même l'honneur de la France» lors d'un meeting organisé à Villepinte au cœur de la Seine-Saint-Denis. Il ajoutait : «Nous n'avons pas le droit de brouiller le message de la France, d'ébranler son influence et son crédit, d'affaiblir la force de sa voix quand elle défend la tolérance, le respect de l'autre, la solidarité internationale.» Visiblement, la droite au pouvoir aujourd'hui a choisi, sans vergogne, de tourner la page.
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Brice Hortefeux, vidéo à l'appui, et les réactions indignées de la classe politique.
Brice Hortefeux n'en est pas à son coup d'essai. Retour sur quelques-unes de ses déclarations.
En Grande-Bretagne, aux Etats-Unis et en Italie, des élus pris au cœur
de polémiques similaires ont dû partir.
S'il avait tiqué durant l'été, l'ancien socialiste devenu ministre a accepté ce ralliement.
[1] http://www.mediapart.fr/journal/france/080909/jean-marie-le-pen-enfin-debarrasse