Depuis 9h30, ce matin, jeudi 12 octobre, l'Assemblée nationale examine une Proposition de loi du PS visant à réprimer la négation du génocide arménien de 1915. Tout pousse à voter ce texte. Tout pousse à l’adoption de ce projet de loi qui tend à réprimer d’un an de prison et 45 000 euros d’amende la négation du génocide arménien. Tout semble y pousser car les Arméniens de Turquie ont bel et bien été victimes, au début de la Première Guerre mondiale, d’une déportation et de massacres d’une telle ampleur qu’ils auront constitué, avant celui des Juifs et des Tutsis, le premier des trois génocides du XXème siècle.
Rarement, pourtant, un projet de loi aura suscité tant de polémiques mais pourquoi ?
La première raison en est que les historiens, et pas seulement eux, s’inquiètent, maintenant, de la tendance à faire écrire l’Histoire par la loi. Cela permet de faire émerger une Histoire « officielle », concept dangereux. C’est la marque, disent-ils, des régimes totalitaires et non pas d’une démocratie et l’on en arrive ainsi, ajoutent-ils, aux récents dérapages sur la colonisation : on ne peut pas dénoncer l'article qui vantait les bienfaits de la colonisation et entrer la logique défendue aujourd'hui par la proposition socialiste. Sur ce sujet, la loi Gayssot sur les crimes contre l'humanité et la reconnaissance officielle du Génocide arménien suffisent amplement.
C’est un débat de fond, auquel s’ajoutent, en l’occurrence deux débats politiques. Le premier est, bien évidemment, la question de l’éventuelle adhésion de la Turquie à l’Europe. Beaucoup de ceux qui s’y opposent ne sont pas mécontents de souligner que la Turquie ne reconnaît toujours pas le génocide des Arméniens et d’essayer d’envenimer les relations de la France et de la Turquie jusqu’au point de non retour. Beaucoup de ceux qui y sont, au contraire, favorables font valoir que cette reconnaissance doit être un préalable à l’adhésion mais que la Turquie est en train d’évoluer sur cette question et que l’on ne fait, avec ce projet, que bloquer les discussions turco-turques en les crispant.
Le second débat politique est, lui, politicien dans la mesure où le vote arménien pèse lourd dans plusieurs régions françaises et que la pêche aux voix déterminera la position de beaucoup de députés. Et puis, enfin, il y a la question des relations franco-turques.
Autant on peut plaider contre l’adhésion de la Turquie à l’Union, autant on peut se demander, après la reconnaissance du génocide arménien par le Parlement français et la déclaration de Jacques Chirac estimant que la Turquie ne pouvait pas devenir européenne avant d’avoir fait ce pas, s’il y a un sens à ce que la France enfonce encore le clou ! La Turquie devra faire en la matière des efforts : ouvrir un vrai débat sur son histoire, protéger juridiquement les historiens turques contre quelques magistrats un peu trop nationalistes et contre les agressions de l'extrême droite « laïque ». L'interpellation de la République d'Arménie par le parlement turque unanime pour entamer un travail commune peut constituer en la matière une première avancée, même si elle est encore insuffisante. Mais ce n'est sans doute pas le principal fait que la Turquie doit encore dépasser pour prétendre s'associer réellement à l'union européenne : les questions kurdes et chypriotes restent des impératifs diplomatiques autrement plus sérieux et difficiles à résoudre pour la crédibilité européenne.
Phare des élites turques depuis deux siècles, la France a-t-elle vraiment intérêt à rompre avec un pays d’une telle importance ? A y abandonner aux Etats-Unis une place qui ne sert pas seulement son économie mais aussi son rayonnement international ? Ce n’est pas la moindre des questions. Celles ou ceux des prétendants à l'Elysée qui tendent à s'emporter sur le sujet font là visiblement preuve de légèreté ou d'incompétence.