Les républicains, qui contrôlent la Maison Blanche depuis 2001, avaient la majorité à la Chambre des représentants depuis 1994 et contrôlaient également le Sénat depuis douze ans, à l'exception d'une brève période entre 2001 et 2003. Les démocrates devraient compter au moins 229 représentants à la Chambre des représentants, 51 sénateurs et 28 gouverneurs sur 50.
Pour obtenir la majorité au Sénat, les démocrates avaient besoin d'enlever au moins six sièges aux républicains sans en perdre un seul. Peu d'analystes jugeaient cette performance possible à la veille des élections. Outre la Virginie, ils ont enlevé aux républicains un siège de sénateur dans le Montana, dans le Missouri, en Ohio, en Pennsylvanie et dans le Rhode Island.
CONDUIRE LE PAYS "VERS UNE NOUVELLE DIRECTION"
Dans le Montana et en Virginie, la victoire a été obtenue à l'arraché à quelques milliers de voix près. Dans ces deux Etats, les sénateurs sortants républicains refusent toujours de reconnaître leur défaite même si les experts estiment que la victoire démocrate, même ténue, est sans appel.
"Les Américains ont indiqué clairement et sans hésitation que les démocrates devaient conduire ce pays vers une nouvelle direction", a affirmé Harry Reid, chef des démocrates du Sénat. "Que ce soit en Irak ou aux Etats-Unis, les Américains sont fatigués des échecs enregistrés" depuis le début du mandat de George W. Bush, a-t-il ajouté.
Le président américain, lors d'une conférence de presse organisée au lendemain des élections qui le condamnent à cohabiter avec le Parti démocrate pour les deux dernières années de sa présidence, a aussi indiqué qu'il assumait une "large part de responsabilité" pour la "raclée" essuyée.
La future présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, qui doit déjeuner jeudi à la Maison Blanche, a promis de faire de la prochaine législature, qui entrera en fonction en janvier, "le Congrès le plus honnête, le plus éthique et le plus ouvert de l'Histoire".
Il y a quarante ans, alors que le démocrate John Fitzgerald Kennedy était président des Etats-Unis, certains observateurs pensaient avoir identifié le "JFK" républicain en la personne d'un député de l'Illinois. Issu d'un milieu beaucoup plus modeste que John Kennedy, Donald Rumsfeld, qui a grandi dans un faubourg de Chicago, a gagné une bourse pour faire des études de science politique à Princeton. Il s'engage ensuite dans la marine et devient pilote, puis instructeur de l'aéronavale, mais c'est la politique qui l'attire. Ayant appris le métier auprès d'un représentant de l'Ohio, il est élu député en 1962, à 30 ans, dans sa ville natale. Comme Kennedy, il est intelligent, cultivé et beau garçon.
Mais la vie politique ne tient pas, pour M. Rumsfeld, les promesses de ses débuts. Constamment réélu, le jeune congressman se heurte aux barons du Parti républicain. Après la victoire de Richard Nixon à l'élection présidentielle de 1968, son ascension apparaît bloquée. Nixon lui propose la présidence d'un organisme de la Maison Blanche chargé de la lutte contre la pauvreté. Le règne de Nixon est resté dans les mémoires comme réactionnaire, mais, en matière sociale, ses politiques menées n'étaient pas très différentes de celles des démocrates.
Ambassadeur des Etats-Unis à l'OTAN en 1972, M. Rumsfeld doit à cet éloignement de ne pas être mêlé aux péripéties de l'affaire du Watergate, qui contraint Nixon à la démission en 1974. Dans ses Mémoires, l'ancien président rend hommage à la loyauté de l'ambassadeur, indiquant que ce dernier lui a proposé de rentrer à Washington pour participer à la contre-offensive face à la procédure de destitution initiée, au Congrès, par les démocrates.
Lorsque le vice-président Gerald Ford remplace Nixon, il choisit M. Rumsfeld comme secrétaire général de la Maison Blanche. L'année suivante, il décide de changer deux des principaux responsables de la sécurité, le secrétaire à la défense et le directeur de l'Agence centrale de renseignement (CIA). Pour le premier poste, il choisit M. Rumsfeld ; pour le second, il désigne un autre ancien parlementaire, alors ambassadeur à Pékin : George H. W. Bush.
Les rapports entre M. Bush père et M. Rumsfeld sont déjà mauvais, mais ils se dégradent considérablement à la suite de cet épisode. L'ancien député du Texas soupçonne son rival de le pousser vers la CIA dans l'idée qu'un directeur du renseignement ne pourrait jamais devenir président des Etats-Unis. De fait, lors des auditions de confirmation par le Sénat, M. Ford doit s'engager à ne pas prendre M. Bush comme candidat à la vice-présidence en 1976. Cette élection ayant été remportée par le démocrate Jimmy Carter, M. Rumsfeld passe dans le secteur privé comme dirigeant du groupe pharmaceutique Searle. Sa carrière politique, bloquée une première fois au Congrès, vient à nouveau de tourner court, cette fois du côté de l'exécutif.
Au sein du Parti républicain, la compétition, en 1980, oppose principalement Ronald Reagan et George H. W. Bush, le second devenant finalement le colistier du premier. M. Rumsfeld ne participe guère à cette bataille, mais place sa mise du côté des reaganiens contre le "réaliste" Bush, auquel il reprochait déjà, cinq ans avant, de minimiser l'agressivité soviétique. L'hostilité du vice-président empêche M. Rumsfeld de retrouver des fonctions gouvernementales, mais, en 1983, M. Reagan le désigne comme son envoyé spécial au Proche-Orient. C'est à ce titre qu'il remplit, à Bagdad, une mission aujourd'hui très controversée, encore que les médias américains ne lui aient pas accordé beaucoup d'attention.
Il faut attendre l'édition du Washington Post du 30 décembre 2002 - certainement pas la plus lue de l'année, entre Noël et jour de l'an - pour découvrir une photo de la poignée de main échangée par M. Rumsfeld et Saddam Hussein, dix-neuf ans plus tôt, dans la capitale irakienne. L'Irak est en guerre avec l'Iran depuis trois ans, et la politique de Washington est dictée par la crainte d'une extension de la révolution iranienne. Sous la présidence de M. Carter, les mises en garde d'un analyste du Pentagone, Paul Wolfowitz, au sujet du risque irakien, sont considérées comme secondaires par rapport au danger iranien. Quand l'aviation israélienne détruit, en 1981, la centrale nucléaire civile achetée par l'Irak à la France, Washington condamne ce raid. La visite de M. Rumsfeld, les 19 et 20 décembre 1983, débouche, un an plus tard, sur le rétablissement des relations diplomatiques, rompues par l'Irak lors de la guerre israélo-arabe de 1967. Revenu à Bagdad en mars 1984, le représentant de M. Reagan n'a d'entretiens, cette fois, qu'avec le ministre des affaires étrangères, Tarek Aziz.
A cette époque, l'Irak utilise, contre les forces iraniennes, des armes chimiques. Interrogé sur CNN, en septembre 2002, M. Rumsfeld affirme que, lors de sa première visite, il a "mis en garde" Saddam Hussein contre l'emploi de ces gaz. Un porte-parole corrige, ensuite, cette affirmation en indiquant que la question a été abordée, en fait, avec M. Aziz. Ce qui est sûr, c'est que la réaction de Washington à l'emploi de ces armes est des plus modérées. Surtout, le soupçon existe que les Etats-Unis aient autorisé l'Irak à se procurer sur leur territoire, à cette époque, des produits tels que des souches du bacille du charbon et de la peste.
Selon Gary Milhollin, qui dirige un programme de l'université du Wisconsin sur la prolifération des armements non conventionnels, la politique menée alors par Washington a aidé Saddam Hussein à "bâtir son arsenal d'armes de destruction massive". Richard Perle, président du Defense Policy Board, affirme, au contraire, que les Etats-Unis ont seulement apporté à l'Irak "une aide en termes de renseignement".
M. Rumsfeld renonce, en mai 1984, à sa mission de bons offices au Proche-Orient pour se consacrer à ses activités de chef d'entreprise, qui ont fait de lui un homme riche. En 1988, il envisage de participer aux primaires républicaines pour la succession de M. Reagan, mais s'efface vite devant son vieil ennemi, George H. W. Bush. Alors que son ancien adjoint à la Maison Blanche, Richard Cheney, devient secrétaire à la défense, M. Rumsfeld est tenu à l'écart de toute fonction officielle sous le règne du 41e président des Etats-Unis.
Sa traversée du désert continue avec Bill Clinton, qui lui confie cependant, en 1998, la présidence d'une commission chargée d'étudier les projets de défense antimissile et de faire des propositions. Le 43e président, George Bush fils, encouragé en ce sens par M. Cheney, permet à M. Rumsfeld de revenir à la tête du Pentagone, où il avait été, en 1975, le plus jeune ministre de la défense de l'histoire des Etats-Unis.
Ce retour manque de mal se terminer. Arrivé à Arlington, où est installé le ministère de la défense, avec un projet de modernisation des forces armées, le vétéran se met à dos, en quelques mois, une bonne partie des états-majors et leurs alliés au Congrès. Sa bataille pour la fermeture de bases et pour l'abandon de programmes d'armement, à ses yeux dépassés, s'annonce si mal qu'il rivalise avec le secrétaire au Trésor, Paul O'Neill, dans les paris sur le premier remaniement ministériel de l'équipe Bush. Les attentats du 11 septembre 2001 bouleversent tout. Le secrétaire à la défense devient l'homme de la guerre en Afghanistan, celui à qui il incombe de venger l'Amérique et d'organiser l'offensive générale contre le terrorisme. La modernisation de l'outil de défense, passée au second plan, est rendue plus facile par l'évidence des nouveaux défis. L'augmentation spectaculaire des crédits permet d'éviter ou de retarder les arbitrages les plus douloureux.
Adolescent, M. Rumsfeld dirigeait l'équipe de lutte de son lycée. Il aime la bagarre, mais il aime, aussi, la théorie. Il parsème ses conférences et ses entretiens de maximes telles que : "Il y a ce qu'on sait et ce que l'on ne sait pas. Et il y a ce qu'on sait ignorer et ce que l'on ne sait pas qu'on ignore."
En 1976, il a publié un opuscule, baptisé Les Règles de Rumsfeld, recueil de conseils pour mener les luttes politiques à Washington. L'une d'elles s'adresse au chef du Pentagone, qu'il est alors : "Réservez-vous le droit de vous mêler de tout et exercez-le." Il ne s'en prive pas, arrosant ses collaborateurs de notes qu'il enregistre sur un dictaphone et que les gens du Pentagone ont surnommées les "flocons de neige". Périodiquement, les journaux se font l'écho de l'exaspération anonyme des militaires face à l'arrogance du ministre et de sa "bande de civils".
Dans son bureau, où il arrive chaque matin à 6 h 30 et où il travaille debout à un pupitre, Donald Rumsfeld est sûr d'une chose : il aura dû attendre l'âge de 70 ans, mais sa place dans l'histoire des Etats-Unis est assurée. Il lui reste à faire en sorte qu'elle soit bonne.