Beaucoup a été fait pour que les opinions soient préformées. Mais les militants souhaitent un vote libre, donc tout reste ouvert.
Comment voyez-vous le 2nd tour, s'il y en a un
Il opposera sans doute Ségolène Royal et moi-même, c'est-à-dire 2 visions politiques différentes, l'une qu'on pourrait appeler le blairisme régionalisé et l'autre qui est tout simplement socialiste.
Sur votre stratégie, justement, vous avez privilégié deux axes : l'environnement et le non à la Constitution européenne. Mais c'est Nicolas Hulot qui semble capitaliser, tandis que la gauche du non cherche à s'unir hors du PS et que Jean-Pierre Chevènement annonce sa candidature. Comment l'expliquez-vous ?
Parmi les candidats socialistes, je crois être celui qui se trouve au point de jonction de ces éléments. Par les positions que j'ai prises, je suis sans doute le mieux à même de rassembler toute la gauche ainsi que les Verts, condition de notre victoire. Le péril écologique, sur lequel j'insiste depuis longtemps, apparaît maintenant aux yeux de tous. Le changement climatique constitue une véritable arme de destruction massive. Le prochain président de la République devra susciter des transformations majeures pour y répondre et entraîner l'Europe dans le même sens. S'il existe un domaine où le libéralisme a failli, c'est bien celui-là. Quant à la Constitution européenne, la première tâche du futur président sera de respecter le vote des Français. Ayant été à l'unisson de nos concitoyens, j'estime avoir une certaine crédibilité pour porter ce changement, c'est-à-dire la réorientation et la relance indispensables de l'Europe. Et j'éprouverai sans doute moins de difficultés que d'autres à convaincre Jean-Pierre Chevènement de faire équipe avec nous.
Et Nicolas Hulot, est-il de gauche ?
Politiquement, il m'a dit qu'il n'avait pas d'engagement. C'est un homme très compétent. Et je serai heureux qu'il exerce de hautes responsabilités à nos côtés.
Vous expliquez parfois vos difficultés en dénonçant "l'idéologie dominante". Qu'entendez-vous par là ?
A droite, et parfois aussi à gauche, beaucoup professent que ce sont le coût du travail et le coût de l'Etat social qui sont les causes de tous nos maux. L'idéologie dominante ne voit donc de salut que dans la baisse de l'un et de l'autre. Je pense plutôt que la source de nos difficultés économiques résulte de la mauvaise spéculation de notre économie et de l'insuffisance de notre effort de formation et de recherche. La solution est alors dans le redéploiement, l'innovation, la formation. C'est ce que l'idéologie dominante appelle mon "archaïsme"...
Dominique Strauss-Kahn se réclame de la social-démocratie. Et vous ?
Je suis tout simplement socialiste ! Beaucoup de sociaux-démocrates estiment que la régulation publique est dépassée et que le contrat doit systématiquement l'emporter sur la loi. Cette approche peut avoir sa valeur dans des pays à fort taux de syndicalisation. Mais en France je vous rappelle qu'il y a moins de 10% de syndiqués. Tout cela débouche souvent, dans ces pays, sur des coalitions où l'on ne distingue plus sa gauche de sa droite : telle n'est pas mon approche.
Il n'y a pas de mutation au PS ?
Si, le débat interne que nous venons de vivre l'atteste. Le PS s'adapte progressivement au nouvel âge de la démocratie dans lequel nous sommes entrés. Nous devons toujours nous remettre en question pour relever les nouveaux défis, mais nous devons le faire dans la fidélité à nos valeurs.
Ne craignez-vous pas d'apparaître comme le gardien du temple, en l'occurrence celui d'un socialisme qui aurait peu évolué ?
C'est un grand classique du PS de désigner comme archaïque celui avec lequel on a un désaccord. J'ai connu cela avec les débats Rocard-Mitterrand ou Blair-Jospin. Toute la question est de savoir si on opère une modernisation socialiste ou une modernisation sociale libérale ou encore de droite. Regardez ce qui se passe en matière énergétique, avec la panne d'électricité qui a touché plusieurs pays d'Europe. La cause principale est que les entreprises n'ont pas assez investi parce qu'elles se sont entre-dévorées et sont totalement soumises aux impératifs du marché. Voilà où nous conduisent les prétendus "modernes" ! Et bien je suis pour une autre modernité. Une modernisation en cache toujours une autre.
Prenez un autre exemple, la laïcité. On nous dit que cette valeur ne "fait pas moderne" alors que c'est l'inverse et que les guerres, malheureusement nombreuses à travers le monde, sont d'abord des guerres de religion. Moi, je défends les principes laïques, en particulier parce que ce sont des principes de paix. Je souhaite même adosser à la Constitution une charte de la laïcité applicable notamment à l'hôpital.
Cette laïcité réaffirmée est-elle compatible avec une France qui, religieusement, devient beaucoup plus diverse, multiculturelle ?
Elle est d'autant plus nécessaire. Est-ce que la crise de nos banlieues disqualifie la République ? Au contraire ! Cette crise confirme l'actualité de la République, à condition que celle-ci ne devienne pas une République des apparences. Si dans un quartier vous n'avez ni école de qualité, ni logements décents, ni sécurité au quotidien, ni propositions d'emplois, ni lutte contre les discriminations, la République se transforme en une abstraction. Je suis hostile au modèle communautariste - religieux, ethnique ou régional - et j'entends bien, si je suis investi, que ce soit là un des grands débats que j'aurai avec M. Sarkozy, dont la démarche me semble inverse de la mienne.
Vous défendez un État fort. N'a-t-il besoin aussi de se réformer ?
Certainement ! Mais tirer comme conclusion, du fait qu'il y a des réformes importantes à opérer et qu'une vraie décentralisation est indispensable, qu'il ne faut pas d'Etat fort, impulsant, équilibrant, ce serait injuste et dangereux. Ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain.
Par exemple, il faut abandonner l'idée, si elle existe, qu'enseigner au lycée Henri-IV ou à Aulnay-sous-Bois, revient au même. A Aulnay, il faut un encadrement renforcé qui permette d'être plus près des élèves. Pour l'enseignement supérieur, nous avons besoin de classes préparatoires aux grandes écoles dans les universités elles-mêmes, afin que des étudiants d'Université accèdent aux grandes écoles.
Vous ne supprimez pas les prépas de lycées ?
Non, les 2 systèmes peuvent coexister.
Dominique Strauss-Kahn estime que la machine redistributrice mise en place depuis l'après-guerre ne parvient pas à réduire les inégalités et qu'il faut mieux les attaquer à la racine...
La racine, ce sont notamment les bas salaires et l'écart énorme des rémunérations. Il faut d'abord améliorer cet aspect-là. C'est ce que concrètement je propose, quand d'autres disent : "Pour les salaires, on verra."
Vous souhaitez rouvrir le dossier sur l'harmonisation fiscale, sociale en Europe. Quels moyens avez-vous ?
Cette harmonisation vers le haut est décisive, sinon les délocalisations intra-européennes se multiplieront. On devrait établir, par exemple, une fourchette européenne de taux pour l'impôt sur les sociétés et une assiette commune comme pour la TVA. En matière sociale et de rémunération minimum, nous avons aussi besoin de davantage de convergences entre Européens. Tant qu'on n'obtiendra pas de garanties dans ces domaines, je propose de différer tout nouvel élargissement. L'une des grandes erreurs que nous avons commises dans les années 1990, ce fut de ne pas avoir approfondi son fonctionnement avant d'avoir élargi l'Union. Continuons sur cette voie, même avec les meilleures intentions du monde, et nous aboutirons à une Europe diluée, impuissante, dont les peuples s'écarteront. C'est ce que je veux éviter...
Comment comptez-vous convaincre vos partenaires ?
Un exemple, là aussi. Les Allemands attachent beaucoup d'importance aux évolutions qu'ils ont obtenues lors de la négociation du traité constitutionnel concernant les mécanismes de vote et les spécificités du fédéralisme allemand. Nous devons leur faire savoir, nous, notre attachement à un vrai pilotage économique de la zone euro.
Donc vous échangez la double majorité et la séparation des compétences contre la gouvernance économique ?
Ce n'est pas si simple, mais il existe des marges pour une renégociation.
Mettez-vous toujours en cause l'impartialité de François Hollande dans la primaire socialiste ?
Il s'est placé, ou il a été placé, dans une situation délicate. Chacun jugera.