Menaçant de démissionner de l'exécutif et donc de mettre en péril la majorité régionale, le groupe communiste conduit par l'ancien ministre Jean-Claude Gayssot est finalement rentré dans le rang contre l'offre d'une délégation des droits de l'homme. Embarrassé, le groupe des Verts a, pour l'instant, suspendu sa participation à l'exécutif et attend de "prendre le pouls des militants" pour se déterminer. Récusant une nouvelle fois tout propos raciste, Georges Frêche a réuni en urgence ces deux groupes mardi pour les dissuader de tout "lâchage".
Dans une interview accordée, mercredi 22 novembre, au Midi Libre, M. Frêche a menacé d'exhumer "les combines d'Urba Conseil dans les années 1980 et les valises des grandes surfaces. J'ai gardé toutes les preuves." Avant de pondérer : "Mais je ne dirai rien car je soutiens Ségolène Royal et que c'est plus important pour moi que ma modeste personne." Dans cet entretien, il estime également qu'"en France, il faut être politiquement correct". Et poursuit : "J'ai décidé de ne plus aborder les thèmes que l'on dit sociétaux. Désormais, je ne dirai plus rien."
A 68 ans, l'homme qui doit comparaître prochainement devant la justice montpelliéraine pour avoir traité, en février les harkis de "sous-hommes" mise à nouveau sur son "système" pour se tirer d'affaire. En trente ans de vie politique, M. Frêche, hanté par la théorie du complot permanent, a tissé liens et réseaux, organisé solidarité et dépendance.
C'est à Montpellier, ville qu'il a conquise en 1977, qu'il a expérimenté cette stratégie. L'"Imperator" joue en permanence sur deux registres : la fascination qu'il exerce et la cupidité de son entourage. "Frêche se vit en géant que des nains s'évertuent à entraver, en visionnaire combattu par des myopes. Il est persuadé de la médiocrité des arrière-pensées guidant les êtres. Il en joue pour être suivi et obéi, jetant ses hochets aux affamés de notabilité", décrit avec froideur Jacques Molénat, dans Le Marigot des pouvoirs (Edition Climats).
M. Frêche s'est entouré d'indéfectibles serviteurs dans toutes les strates montpelliéraines. Les meilleurs ont été anoblis, les résistants amadoués, les soumis gratifiés. La potion s'est révélée efficace : à Montpellier, rien ne lui échappe. A commencer par les dix sections socialistes de la ville et la fédération départementale dirigée par Robert Navarro, un apparatchik d'une loyauté sans faille qui, à la tête des 6 200 adhérents, dirige la 5e plus importante fédération PS de France.
Le "frêchisme" a pénétré tous les milieux et digéré tous les courants. Il irrigue le puissant monde associatif, s'immisce dans les milieux religieux, manoeuvre autour du secteur économique et imprègne les influentes loges maçonniques. Le frêchisme sait se montrer clientéliste. Les pieds-noirs ont connu des jours heureux : généreuses subventions, belle Maison des rapatriés, distribution d'emplois municipaux, accès plus facile aux logements. Juive ou musulmane, les communautés ne peuvent que se louer de l'oecuménisme bienveillant de M. Frêche.
Sur le terrain politique, il peut compter aussi sur la passivité de ses alliés vassalisés. Si beaucoup renâclent en coulisses, aucun ne bronche en public. Mieux : confiée depuis deux ans à Hélène Mandroux "une amie de trente ans", la majorité municipale inclut, depuis longtemps et à l'exception du Front national, tout le panel de la vie politique française. Des socialistes, des communistes, des Verts, mais aussi des anciens UDF, des gaullistes et des représentants de la société civile votent chaque décision comme un seul homme. D'abord au district, ensuite à l'agglomération, il a distribué les vice-présidences et les généreux émoluments qui vont avec.
Aux communes amies, il offre les plus grosses infrastructures et accorde les subventions les plus larges. Arrivé à la tête de la région en 2004, il s'est lancé dans une vaste chasse aux sorcières. Objectif avoué : débusquer les affidés de l'ancien président Jacques Blanc. Avec sa garde rapprochée composée de François Delacroix, directeur général des services de la communauté d'agglomération de Montpellier, et de Claude Cougnenc, directeur général des services du conseil régional, il a marqué son nouveau territoire. Depuis, ils relaient avec fermeté les aspirations du patron. Un patron turbulent qui se proclame "politiquement socialiste et philosophiquement anarchiste". Comprendre : redoutablement "frêchiste".
La commission des conflits du PS saisie du cas
A l'unanimité, les dirigeants du parti socialiste, réunis mardi 21 novembre en bureau national, ont décidé de saisir la commission des conflits au sujet de Georges Frêche. Le président de la région Languedoc-Roussillon avait déjà été suspendu des organes décisionnels du PS pour deux ans pour avoir qualifié, le 12 février, un groupe de harkis de "sous-hommes". Aujourd'hui, ce sont ses propos sur les joueurs noirs de l'équipe de France, relatés dans le Midi Libre, qui soulèvent un tollé. "S'il s'avère que les propos rapportés sont exacts, alors il y a incompatibilité avec son appartenance au PS", a constaté mardi soir le bureau national selon son porte-parole, Julien Dray.
De nombreux dirigeants socialistes, dont le maire de Paris, Bertrand Delanoë et le député proche de Laurent Fabius, Claude Bartolone, ont réclamé son exclusion.
Mardi soir, d'autres ont appelé à la prudence. Ainsi, selon M. Dray, Christian Bourquin, premier vice-président de la région Languedoc-Roussillon, aurait émis des doutes sur la véracité des propos tenus.
Outre le cas de Georges Frêche, elle doit aussi statuer sur celui de Marlène Lanoix, la 1ère secrétaire fédérale de Martinique, qui avait qualifié le pacs de "dérive de société décadente", avant de regretter ses propos, tout en les maintenant, se référant à la tradition religieuse.
COMMISSION STATUTAIRE
"La commission des conflits est une commission statutaire, mise en place à chaque congrès du Parti socialiste. Elle est présidée par Louis Mermaz et sa composition tient compte des différents courants qui animent le parti. En cas de conflit, elle est saisie par le bureau national ou par les membres du parti qui peuvent avoir à se plaindre des propos tenus par l'un de ses membres", indique Alain Clergerie, au service de presse du PS.
Le processus de saisie peut être assez long, le temps d'informer et de réunir tous les membres de la commission, raison pour laquelle celle-ci se réunit généralement à la veille d'un conseil national. Les différentes parties en conflit sont entendues par la commission ; celle-ci rend ensuite son avis, qui est celui du parti. La dernière réunion de la commission a eu lieu en octobre, la prochaine aura lieu quand le parti le décidera, sans aucun doute avant le 1er tour de l'élection présidentielle.