Au Canada anglais, les critiques ont fusé, beaucoup craignant qu'on ne donne de nouvelles armes aux indépendantistes québécois. Mais le premier ministre a tenu bon, insistant sur le sens "culturel et sociologique" de cette reconnaissance, un "geste de réconciliation pour favoriser l'unité nationale". Il fait le pari que les critiques vont s'estomper et qu'il y gagnera en appuis au Québec lors des élections qui devraient avoir lieu au printemps.
Le moment ne pouvait être mieux choisi, à la veille du congrès du Parti libéral du Canada (PLC), qui va choisir, samedi, un nouveau chef. D'autant que ce sont ses militants québécois qui ont ouvert le bal, le 22 octobre, en invitant le congrès à reconnaître la "réalité historique et sociale" de la nation québécoise au sein de la fédération. Le débat a fait rage entre les candidats à la direction du PLC.
Pour les empêcher de prendre l'avantage dans le coeur des Québécois, le Bloc Québécois - indépendantiste - déposait le 21 novembre une motion affirmant, sans référence au Canada, que "les Québécois forment une nation". Le lendemain, M. Harper coupait l'herbe sous le pied des 2 partis d'opposition, en proposant un texte similaire mais avec ajout sur l'appartenance des Québécois à "un Canada uni". Difficile pour les libéraux de voter contre, aux côtés des néo-démocrates et même des "bloquistes".
Après 2 jours de tergiversations, leur chef Gilles Duceppe a laborieusement expliqué que la reconnaissance de la nation québécoise leur "donnerait une arme de plus" pour faire avancer la cause de l'indépendance du Québec. Pour M. Harper, c'est un joli coup politique mais qui pourrait se retourner contre lui si son geste persistait à être mal compris au Canada anglais !
Un ministre du gouvernement Harper démissionne
Michael Chong, le ministre des Affaires intergouvernementales, démissionne du conseil des ministres du gouvernement Harper.
En conférence de presse cet après-midi, M. Chong a annoncé qu’il était désaccord avec la position du Parti conservateur sur la question de la nation québécoise.
Le nationalisme exprimé dans la motion, qui passera aux voix aujourd’hui en fin de journée, est basé sur l’origine ethnique des citoyens canadiens et il s’agit d’une nuance inacceptable en 2006, a-t-il affirmé.
Selon lui, une telle approche remet en question les valeurs de nationalisme civique, de bilinguisme et de multiculturalisme qui caractérisent la nation canadienne depuis les années 1960.
Jusqu’ici, aucun député n’avait exprimé publiquement son opposition face à cette motion qui a pris tout le monde par surprise mercredi dernier, et en faveur de laquelle tous les partis fédéraux devraient se prononcer.
La motion du premier ministre Harper, qui vise à reconnaître que les Québécois forment une nation au sein d’un Canada uni, doit être votée ce soir à la Chambre des communes.
La plupart des députés conservateurs sont tenus de voter en faveur de la motion en vertu d’une règle imposée par le whip du parti.
M. Chong a indiqué qu’il resterait député du Parti conservateur. Il a aussi admis qu’il n’avait pas été consulté par le premier ministre avant le coup d’éclat mercredi. Il a toutefois dit comprendre l’empressement de son chef, vu les manœuvres du Bloc québécois qui cherchait à faire passer sa propre motion.
«L’heure de la réconciliation nationale est venue»
Le gouvernement conservateur s’est retrouvé en état de crise hier soir après que le ministre des Affaires intergouvernementales, Michael Chong, eut démissionné de ses fonctions, incapable d’appuyer la motion de son premier ministre reconnaissant la nation québécoise. Paradoxalement, le premier ministre a souligné que la dite motion annonçait «le début de la réconciliation nationale». Écoutez l'extrait audio de NTR Le premier ministre Stephen Harper commente le résultat du vote (22 sec.). | |
Ainsi donc, la Chambre des communes a adopté par une écrasante majorité de 265 à 16 la motion reconnaissant «que les Québécois forment une nation au sein d’un Canada uni». En adoptant cette motion «historique», le Canada est devenu hier soir le 1er pays, selon les souverainistes, à reconnaître la nation québécoise.
Parmi les opposants, 15 étaient des libéraux venant principalement de l’Ontario. 2 des candidats à la direction du Parti libéral, Joe Volpe et Ken Dryden, étaient du nombre. Le député indépendant Garth Turner, qui s’est fait expulser du caucus conservateur le mois dernier, a également voté contre.
M. Chong, qui n’a jamais été consulté sur la stratégie de M. Harper, a fait part de sa décision de quitter le Conseil des ministres 4 heures avant le vote des députés, forçant le premier ministre à lui trouver dare-dare un successeur avant son départ hier soir pour Riga, en Lettonie, où se déroule cette semaine le sommet de l’OTAN.
Depuis qu’il est au pouvoir, M. Harper est d’ailleurs de facto responsable des Affaires intergouvernementales, s’occupant de tous les dossiers chauds qui traitent des relations fédérales-provinciales.
M. Harper a confié au député conservateur ontarien de York-Simcoe, Peter Van Loan, le portefeuille des Affaires intergouvernementales. Âgé de 43 ans, M. Van Loan est considéré comme un député appartenant à l’aile progressiste du Parti conservateur.
En conférence de presse, hier, M. Chong a dit être incapable d’accepter que l’on décrive les Québécois comme une nation, le Canada étant à ses yeux un pays «indivisible».
«Pour moi, reconnaître les Québécois comme une nation, même à l’intérieur d’un Canada uni, implique la reconnaissance d’un nationalisme ethnique que je ne peux appuyer. Une telle reconnaissance ne peut être interprétée comme impliquant un nationalisme territorial parce qu’elle ne se réfère pas à une entité géographique, mais plutôt à un groupe de personnes», a affirmé le ministre démissionnaire.
M. Chong, qui était absent au moment du vote hier soir, a ajouté qu’offrir une telle reconnaissance donnera des munitions aux souverainistes qu’ils utiliseront au cours du prochain référendum pour «mêler les Québécois».
Selon des sources, le premier ministre n’avait pas écarté la possibilité de perdre un ministre en cours de route sur une question qui soulève autant de passions. Mais il jugeait préférable de courir ce risque. Il ne voulait surtout pas permettre au Bloc québécois de faire inlassablement campagne au Québec en prétextant que le gouvernement fédéral était incapable de reconnaître les Québécois pour ce qu’ils sont.
«Le premier ministre était parfaitement conscient qu’il y avait des risques en plongeant dans ce débat», a affirmé à La Presse un stratège conservateur sous le couvert de l’anonymat.
Le ministre des Transports et lieutenant de Stephen Harper au Québec, Lawrence Cannon, a aussitôt réagi à la démission de M. Chong en affirmant que le gouvernement ne reculerait pas sur cette question. «Le gouvernement demeure déterminé à reconnaître les Québécois comme une nation au sein d’un Canada uni. Cette réalité transcende l’opinion d’une seule personne. Et je puis vous affirmer que la solidarité ministérielle demeure inébranlable.»
À l’issue du vote, le premier ministre Harper était visiblement satisfait de la tournure des événements en dépit de la démission de M. Chong.
«Je pense que c’est une soirée importante, une soirée historique. Les Canadiens ont dit oui au Québec et les Québécois et Québécoises ont dit oui au Canada. En politique, on prend des risques. Mais les questions d’unité nationale et de réconciliation nationale sont plus importantes que n’importe quel parti ou n’importe quelle personne», a affirmé M. Harper.
De son côté, le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, a salué le vote comme une grande victoire pour le Québec. «Pour la 1ère fois la Chambre des communes reconnaît que les Québécois forment une nation et que les 2 options, l’option fédéraliste et l’option souverainistes, s’entendent sur cela. Or nous avons une nation qui est reconnue, un territoire qui est reconnu qui est le territoire du Québec.»
M. Duceppe a ajouté que désormais cette reconnaissance servira de tremplin au mouvement souverainiste pour qu’Ottawa réponde aux demandes unanimes de l’Assemblée nationale du Québec. Le chef du Bloc a notamment mentionné, en guise d’exemples, Kyoto, le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral ou encore la loi sur les jeunes contrevenants.
Avant le vote historique, le ministre Cannon a tenu des propos pour le moins ambigus sur la portée réelle du terme Québécois utilisé dans la motion du gouvernement, autant en anglais qu’en français. Le ministre a notamment fait allusion à Samuel de Champlain et aux premiers colons français arrivés au Québec. Il a affirmé que le libellé de la motion avait été rédigé de façon à ne pas «forcer quelqu’un qui ne se sent pas Québécois à adopter cette identité».
À cela, le chef bloquiste Gilles Duceppe a répliqué : «Pour moi, tout ceux qui vivent au Québec font partie de la nation québécoise et j’ajouterai, en profond respect des Premières Nations reconnues par René Lévesque dès 1976.»
Les députés ont par ailleurs été invités à se prononcer également sur une 2ème motion sur la nation québécoise, celle soumise par le Bloc québécois. Mais cette motion, qui stipulait que «les Québécois et Québécoises forment une nation actuellement au sein du Canada», a été rejetée par un vote de 233 à 48.