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sur l'auteur

Je m'appelle Frédéric Faravel. Je suis né le 11 février 1974 à Sarcelles dans le Val-d'Oise. Je vis à Bezons dans le Val-d'Oise. Militant socialiste au sein de la Gauche Républicaine & Socialiste. Vous pouvez aussi consulter ma chaîne YouTube. J'anime aussi le groupe d'opposition municipale de gauche "Vivons Bezons" et je suis membre du groupe d'opposition de gauche ACES à la communauté d'agglomération Saint-Germain/Boucle-de-Seine.
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Gauche Républicaine & Socialiste

16 décembre 2006 6 16 /12 /décembre /2006 11:19
Point de vue
Guillaume Seznec restera donc coupable, par Yves Baudelot et Jean-Denis Bredin
LE MONDE | 15.12.06 | 14h08  •  Mis à jour le 15.12.06 | 14h08

. IL FALLAIT DONC QUE GUILLAUME SEZNEC RESTÂT COUPABLE. L'affreuse affaire d'Outreau, qui a brisé la vie d'innocents, n'a guère servi de leçon, malgré les travaux et les discours qui promettaient que, désormais, rien ne serait plus comme avant.

La présomption d'innocence est un principe constitutionnel. Il est bon de la vanter dans les colloques. Mais lorsqu'il s'agit de juger, la présomption de culpabilité n'est-elle pas plus pratique, pour satisfaire notre idée du procès pénal, notre soif de châtiment ? L'essentiel n'est-il pas d'innocenter la justice ?

Guillaume Seznec, l'homme qui a été condamné par erreur judiciaire le 4 novembre 1924, n'a cessé de clamer son innocence. Il est mort en 1954. Depuis plus de quatre-vingts ans, sa famille, ses proches, ses défenseurs, une large partie de l'opinion publique se sont battus pour sa réhabilitation. L'avocat général Launay a dit à l'audience de la Cour de révision sa conviction de l'innocence du condamné. Mais la justice est restée sourde. Elle est indépendante !

Denis Seznec, le petit-fils de Guillaume, a consacré sa vie à la réhabilitation de son grand-père. Avocats, nous n'avons jamais publiquement critiqué une décision de justice qui nous avait donné tort. Mais aujourd'hui, avocats de Denis Seznec, nous estimons devoir dire publiquement notre déception et même notre stupéfaction, prenant connaissance du sinistre arrêt qu'a rendu la Cour de révision.

II. MODIFIANT LE CODE DE PROCÉDURE PÉNALE, la loi du 23 juin 1989 a édicté que la révision d'une décision pénale pouvait être demandée lorsque... "après une condamnation vient à se produire ou à se révéler un fait nouveau ou un élément inconnu de la juridiction au jour du procès, de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné" (article 622.4°).

Il est vrai que le "doute" n'appartient pas à notre culture judiciaire, et même qu'une vieille tradition de nos tribunaux a fait du doute un élément probable de la culpabilité et non de l'innocence. Nous avons cru que la loi du 23 juin 1989 serait un progrès de notre droit pénal, qu'elle servirait vraiment la présomption d'innocence proclamée par la Déclaration des droits de l'homme, par la Constitution, et non plus la présomption de culpabilité qui fut, le plus souvent, notre triste vérité. Mais apparemment la chambre criminelle entend se tenir à distance d'un tel progrès. Le doute doit rester ce qu'il est, et Seznec doit rester coupable. La force des décisions de justice, l'encombrement des juridictions pénales, les exigences de la sécurité et de la tranquillité publiques n'imposent-elles pas en effet que le suspect soit coupable et que le présumé coupable reste condamné ?

III. ON NE CONNAÎT GUÈRE, DANS L'HISTOIRE DE LA JUSTICE CRIMINELLE, de procès dans lesquels se retrouvent plus de doutes sur la culpabilité du condamné que dans l'affaire conduite contre Guillaume Seznec.

Beaucoup de ces doutes étaient déjà évidents lorsque l'injuste condamnation tomba sur lui. Un prétendu crime, sans cadavre, ni scène de meurtre, ni trace quelconque d'un meurtre, ni témoignage ?

Pourquoi Seznec aurait-il tué Quemeneur le 25 mai 1923 ? Pour aller, selon l'accusation, vingt jours plus tard, acheter une machine à écrire au Havre, puis pour établir deux fausses "promesses de vente", consenties "à bas prix", d'un vaste domaine dont Pierre Quemeneur était propriétaire à Plourivo...

Ainsi fut inventé le prétendu "mobile" qu'accueillit la cour d'assises. On oublia que Seznec ne savait pas se servir d'une machine à écrire, que le meurtre eût été absurde car Seznec aurait évidemment eu besoin que Quemeneur fût vivant pour transformer une promesse en vente définitive. Mais qu'importait ! Un disparu... Un mobile supposé... Seznec était coupable.

Peut-on rappeler aussi que Guillaume Seznec ne fut pas vraiment défendu ? Mede Moro Giafferi, désigné par Seznec, fut nommé quelques jours avant l'audience secrétaire d'Etat à l'enseignement technique. Il envoya à l'audience un collaborateur très dévoué mais qui n'avait jamais plaidé aux assises.

IV. DEPUIS LA CONDAMNATION DE GUILLAUME SEZNEC, en novembre 1924, de nombreux "faits nouveaux" sont apparus, qu'ont notamment éclairés les réquisitions de monsieur l'avocat général Launay. On en rappellera brièvement quelques-uns.

1. Un témoin non entendu pendant le procès a affirmé que le 27 mai 1923 il avait transporté Pierre Quemeneur en taxi de la gare de Rennes (Quemeneur avait été tué, selon l'accusation, dans la nuit du 25 au 26 mai) jusqu'à sa propriété de Plourivo, où il l'avait déposé.

Six marins qui se trouvaient, cette même nuit, sur un bateau stationné devant le domaine de Plourivo ont entendu des coups de feu dans la propriété de Quemeneur, et observé des mouvements très anormaux autour de la maison. Ces révélations parurent suffisamment importantes pour que les jurés qui avaient condamné Seznec se réunissent en 1934 et demandent la révision du procès : initiative exceptionnelle dans l'histoire judiciaire.

2. Deux témoins, qui avaient affirmé que Guillaume Seznec était au Havre le 13 juin 1923, venu pour acheter une machine à écrire, ont reconnu avoir été manipulés par les inspecteurs de police notamment par l'inspecteur Bonny et avoir fait alors de fausses déclarations. Plusieurs autres témoins ont affirmé plus tard que l'inspecteur de police Bonny leur avait dit avoir lui-même placé dans le grenier de la maison de Seznec la machine à écrire qui y sera "découverte" le 6 juillet 1923, ce qui fut un élément déterminant de l'accusation.

3. Il est aujourd'hui établi que Pierre Quemeneur s'était engagé dans un vaste trafic de voitures abandonnées après la guerre par l'armée américaine. Or, l'acte d'accusation assurait l'inexistence de ce trafic "inventé par Seznec".

4. De même est aujourd'hui établie l'existence du nommé Gherdi, avec lequel Pierre Quemeneur avait rendez-vous à Paris, selon les déclarations de Seznec : ce pourquoi ils étaient ensemble partis en voiture pour Paris. Gherdi n'était pas cette "pure création de l'imagination de Seznec" dont avait parlé l'acte d'accusation pour l'accabler. Il est aujourd'hui certain que ce Gherdi existait bien, qu'il faisait à Paris le commerce des pièces détachées pour voitures américaines ; il a même reconnu qu'il avait remis sa carte commerciale à Pierre Quemeneur ! Ainsi la réalité de l'existence de Gherdi fut-elle délibérément cachée à la cour d'assises, car elle risquait d'innocenter Seznec.

5. Faut-il rappeler aussi le rôle joué par l'inspecteur Bonny - adjoint très actif et diligent du commissaire Vidal - dans l'enquête conduite pour accuser Seznec et le faire condamner ? L'on sait que Bonny deviendra sous l'occupation l'un des chefs de la Gestapo de la rue Lauriston, qu'il dénoncera, arrêtera, torturera, livrera des résistants à la Gestapo nazie, enfin qu'il sera condamné à mort et exécuté en 1944. Certes, tous ceux qui s'acharnent à accabler Seznec minimisent à tout prix le rôle de Bonny. Secrétaire zélé du commissaire Vidal, notamment dans l'utilisation de faux témoins, Bonny fera sa promotion grâce à l'affaire Seznec. Il jouera ensuite un rôle essentiel dans les affaires Stavisky et Prince, multipliant les intrigues et les affaires louches. Deux fois il sera condamné par la Cour de Paris. Il sera révoqué de la police le 10 juillet 1935.

Bonny s'accusera avant d'être exécuté en 1944 d'avoir fait mettre à mort, en 1934, le conseiller Prince, selon la volonté du pouvoir en place, et d'avoir fait désigner de faux coupables. "Brouiller les pistes c'est facile... maquiller les preuves c'est enfantin", expliqua-t-il à son fils. Il dira à son fils que Seznec était innocent et que celui-ci était au bagne depuis plus de vingt ans "par ma faute".

De nombreux livres sur l'histoire de la justice l'ont décrit exécuteur des pires besognes dans les années 1925-1935. Ce qui est sûr c'est que tous ces "faits nouveaux" furent ignorés de la cour d'assises qui n'eut aucune raison de douter de ce policier !

V. RESTE LE "MOBILE" PRÊTÉ À SEZNEC. Il fallait qu'il eût tué Quemeneur, pour un motif quelconque. Il aurait donc, selon la cour d'assises, "fabriqué des faux", en juin 1923 - fausses promesses de vente - qui prouveraient qu'il avait tué Quemeneur au mois de mai. On observera que si, même après le décès de Pierre Quemeneur, Seznec avait fabriqué des faux pour tenter de devenir propriétaire de Traounez (thèse d'ailleurs absurde), ces faux ne sauraient prouver le meurtre. Mais qu'importait pour l'accusation : Seznec avait tué Quemeneur afin de devenir ensuite un tranquille faussaire.

Deux experts commis par le juge d'instruction avaient conclu en 1923 que les deux exemplaires du contrat de promesse de vente - l'un "trouvé" le 20 juin au Havre dans une valise abandonnée ayant appartenu à Quemeneur, l'autre remis par Seznec aux inspecteurs Bonny et Vidal le 28 juin (qui ne sera étrangement mis sous scellés que le 3 juillet) - avaient "d'évidence" été fabriqués par Seznec devenu faussaire.

Devant la cour d'assises, la défense n'osa pas solliciter de contre-expertise. Ce n'est que cinquante ans plus tard que l'on osera enfin regarder en face les faiblesses et même les absurdités d'une expertise qui avait permis de faire condamner Seznec.

Entre 1978 et 1991, quatre expertises ont successivement livré leurs conclusions : une accusait Seznec, trois l'innocentaient.

Le 4 juin 1993, face à ces contradictions, la Commission de révision désignera une commission de cinq experts qui imputera à Seznec sa propre signature sur les promesses de vente, mais restera incertaine sur la signature de Quemeneur. Ayant pris connaissance de ce rapport d'expertise, l'un des précédents experts y répondra, dans un second rapport le 2 avril 1996, affirmant à nouveau que rien, dans les faux allégués, ne pouvait être imputé à Guillaume Seznec.

Une dernière expertise fut demandée par la Commission de révision à l'Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale. Les conclusions de l'expert ont apporté des éléments nouveaux et essentiels. Les deux promesses de vente arguées de faux, constate l'expert, n'ont fort probablement pas été réalisées par la même personne. Par ailleurs, la promesse de vente remise le 27 juin par Guillaume Seznec aux commissaires Vidal et Bonny présenterait des similitudes "de doigté dactylographique" avec un autre exemplaire qui fut tapé par l'un des policiers ce jour où fut étrangement "découverte" chez Seznec, le 6 juillet 1923, la machine "retrouvée" dans son grenier.

Cette expertise n'eut-elle pas dû bouleverser les tranquilles certitudes de la Cour de révision ? Les deux promesses de vente auraient donc été réalisées par deux personnes différentes, probablement par deux policiers. L'un des policiers aurait tapé l'exemplaire vraisemblablement substitué à celui remis par Seznec à la police le 23 juin et aussi l'exemplaire dactylographié le 6 juillet 1923. Mais la Cour de révision a voulu n'y voir qu'une simple "hypothèse".

VI. ALORS QUE LA COMMISSION DE RÉVISION a estimé que les faits nouveaux ou inconnus de la cour d'assises existaient, alors que le ministère public a mis en évidence, dans un réquisitoire fort argumenté, l'accumulation des faits nouveaux qui non seulement mettent en doute la culpabilité de Seznec mais établissent en réalité son innocence, la chambre criminelle a choisi la voie contraire. Elle a balayé tous les faits nouveaux.

Car, tantôt ce sont, selon la Cour de révision, des faits qui ne sont pas tout à fait nouveaux, tantôt ce sont des témoignages "indirects" ou "tardifs" ou "longtemps différés", ou encore "d'une extrême fragilité".

Et lorsque les faits nouveaux sont trop gênants, il n'en est rien dit. Ainsi en est-il, par exemple, de la demande en révision du procès formée en 1934, par les jurés qui avaient condamné Seznec. Ainsi en est-il encore du rôle essentiel joué par Bonny dans la conduite de l'enquête.

VII. NOUS PENSONS À GUILLAUME SEZNEC, à sa femme, à ses enfants, à ses petits enfants, à tous ceux qui se sont tant battus pour que son innocence soit enfin reconnue. Nous pensons aussi aux magistrats de la chambre criminelle qui eussent voulu que la requête du garde des sceaux fût admise, que la condamnation fût révisée, que justice fût enfin rendue !

La chambre criminelle a, dans sa majorité, préféré suivre monsieur le conseiller rapporteur dont le rapport - était-ce son rôle ? - prenait fermement parti contre la révision. Sans doute la chambre criminelle a-t-elle voulu se protéger contre la multiplication possible des requêtes en révision, alors que les moyens mis à sa disposition ne se multiplient certes pas. Mais si nous voulons tous défendre les moyens de nos juridictions, afin qu'elles puissent effectivement remplir leurs missions, nous ne pouvons imaginer qu'elles devraient, en attendant, se protéger contre la loi, contre la justice, pour être moins encombrées.

Regardons les tristes conséquences de l'arrêt qui vient d'être rendu. La Cour de révision a décidé de traiter par l'indifférence la loi du 23 juin 1989. Cette loi, dont nous croyons qu'elle exprime un vrai progrès du droit, ne sera donc pas appliquée. Faudra-t-il l'abroger ?

La chambre criminelle a pour mission de défendre la présomption d'innocence, l'un des fondements des droits de l'homme. Or elle nous démontre, dans cet arrêt, qu'elle souhaite laisser son rôle essentiel à la présomption de culpabilité, vieille entrave aux droits de l'homme, qui préserve nos habitudes et nous évite bien des difficultés.

Triste justice, incapable de reconnaître ses erreurs et de se remettre en cause, alors même que le droit lui en ouvre la voie !


Yves Baudelot et Jean-Denis Bredin sont avocats à la cour.


Article paru dans l'édition du 16.12.06
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