Je ne résiste pas à la tentation de souhaiter à Ségolène Royal une bienvenue chaleureuse parmi les hérétiques de l’orthodoxie monétaire. Oser rappeler une évidence démocratique de base, à savoir que « c’est aux gouvernements démocratiquement élus de décider de l’avenir de nos économies plutôt qu’à Monsieur Trichet », c’est commettre l’irréparable. C’est bousculer le tabernacle du monétarisme conservateur dont Milton Friedman, successivement conseiller d’Augusto Pinochet et de Margaret Thatcher, fut le messie à Chicago. C’est se condamner - j’allais écrire se damner - à prendre place parmi les manants et les gueux qui contestent l’un des piliers de la pensée économique néolibérale dans sa version européenne ultra-orthodoxe. Sur le plan politique et institutionnel, l’idée imposée par les financiers et leurs thuriféraires que l’un des instruments essentiels de la politique économique, à savoir la politique monétaire, doit être soustraite du champ politique, c’est-à-dire de toute influence réputée néfaste du peuple souverain ou de ses représentants, est une difformité intellectuelle lourde d’arrières pensées conservatrices. Encenser la démocratie, jusqu’à vouloir l’imposer par la force, tout en lui retirant ses moyens d’action en matière économique (indépendance monétaire de la banque centrale, pacte de stabilité budgétaire et dumping fiscal) explique pour beaucoup l’insupportable carence démocratique de l’Europe telle qu’on veut nous l’imposer. La tentative, due à Monsieur Trichet, d’inclure dans le TCE cette aberration fut, pour ce qui me concerne, l’une des raisons principales de mon opposition à ce traité (avec l’interdiction d’un impôt Européen et de toute possibilité de déficit budgétaire). La démocratie sous tutelle des financiers s’exerçant par le biais d’une institution réputée indépendante n’est pas acceptable, et ne le sera jamais. Sur le plan économique, ce monétarisme conservateur est tout aussi inacceptable. Aux antipodes de la conception pragmatique et instrumentale des anglo-saxons (eh oui, les ultralibéraux ne sont pas forcément de l’autre coté de l’Atlantique !) elle pénalise lourdement notre croissance et plombe le nécessaire déploiement international de l’Euro. La surévaluation de l’Euro par rapport au dollar - mais aussi par rapport aux monnaies chinoises et japonaises - a coûté plus d’un point de croissance à la zone euro au cours des dernières années. Et bien davantage si on fait la comparaison avec les zones extra-européennes, comme l’ont démontré diverses études, notamment celles de l’O.F.C.E. Ajouter au handicap de compétitivité que nos modèles sociaux et nos contraintes environnementales font peser sur l’industrie européenne un handicap monétaire est un non sens qui ne trouve d’explication que dans une volonté politique sous-jacente d’araser ces modèles sociaux. Justifier la hausse des taux par une menace inflationniste dont l’origine se situe dans la hausse des coûts de l’énergie n’est pas crédible : ce n’est pas la hausse des taux qui fera baisser le prix du pétrole. Expliquer que la croissance des liquidités ferait peser des menaces sur la croissance ne l’est pas davantage : en France, l’épargne représente 15% du PIB. Aux Etats-Unis, elle se situe à -10% du PIB ! Il n’y a que Monsieur Trichet pour ne pas le savoir. En réalité, cette politique n’a qu’un seul objectif : peser sur les salaires en maintenant la croissance au dessous du taux qui réduirait celui du chômage réputé « structurel ». Accordons à Monsieur Trichet une certaine franchise et une constance certaine : aucun des rapports de la Banque Centrale Européenne - comme c’était déjà le cas pour les rapports de la banque de France - ne manque de mettre en garde contre la hausse des salaires ou le coût trop élevé de la main d’œuvre ! Quant aux prévisions de croissance jugée compatible avec la hausse des taux, elles sont, par leur faiblesse, un véritable aveu en creux sur les finalités réelles de ce malthusianisme monétaire ! D’où ma stupéfaction de lire, dans l’éditorial tout entier consacré à la défense de ce malthusianisme monétaire d’un grand quotidien de l’après-midi, que le principal souci de Monsieur Trichet était de sauvegarder le pouvoir d’achat des salariés (sic). En réalité, cette politique monétaire fait le choix d’une protection sourcilleuse de l’épargne contre l’investissement, au détriment de la croissance. C’est une vieille conception patrimoniale, qui attribue à la monnaie une valeur intrinsèque que les anglo-saxons ne lui reconnaissent pas. Etrangère aux nécessités du dynamisme, exempte de toute imagination, elle véhicule tous les remugles des possédants d’une vieille Europe qui croit venu le temps d’une revanche totale sur la période, à ses yeux maudite, du compromis entre capital et travail qu’incarnait plus ou moins l’Etat Providence. Du coup, vouloir modifier les objectifs de la B.C .E en y inscrivant, aux cotés de la stabilité de la monnaie, celui du plein emploi, serait un crime ! Comme si ce n’était pas le cas de la banque Fédérale Américaine dont Monsieur Trichet et ses épigones éditorialiste doivent penser qu’elle est une institution gauchiste ! Le dire, c’est encourir les foudres de tous les brahmanes incompétents ou cyniques qui veillent jalousement sur l’indépendance de la B.C.E. et le dogme de la stabilité monétaire. Mais c’est aussi, ce qui est plus surprenant, voir le premier secrétaire du PS, si l’on en croit une dépêche, s’efforcer de nuancer les propos de Ségolène Royal en affirmant « que nous devons revenir à l’esprit des traités avant de vouloir les modifier ». Sauf erreur de ma part, il me semble pourtant que ce qu’a dit notre candidate figure dans la synthèse du Mans. Qu’il me soit permis de lui rappeler que ce n’était pas un point de détail. Et que l’ignorer serait une double faute : sur le fond comme sur la forme. Vis-à-vis des militants comme des 60% de socialistes qui ont voté Non le 29 Mai 2005, sans parler des deux tiers de la gauche qui a fait de même. Vient un moment où les acrobaties linguistiques ne sont plus de mise. Quant au point de vue de Jacques Delors, qui, nous dit-on, aurait fait implicitement « la leçon à Ségolène Royal » en expliquant « que d’un point de vue technique, on demande trop à la monnaie et pas assez à l’économie » ou que son rapport de 1989 « reposait sur l’équilibre dialectique entre l’économie et le monétaire », ou bien encore « qu’il aurait fallu un pacte de coordination des politiques macro-économiques » qu’il me soit permis de lui dire, amicalement, que tout ce jargon finit par ressembler à du latin de messe. Comment dissocier la politique monétaire et la politique économique ? Et que signifie « les inscrire dans un rapport dialectique » ? En quoi le malthusianisme monétaire pourrait être compensé par « une meilleure coordination des politiques macro-économiques » sauf à les aligner toutes sur une vision néolibérale dominée par la logique exclusive de l’économie de marché ? Va-t-il être possible, un jour, d’appeler chat un chat ? Et comment peut-on proposer aujourd’hui, sans rire, un « budget propre permettant d’accompagner les efforts des états » alors même que le T.C.E. excluait toute possibilité d’un impôt européen où d’un déficit budgétaire à ce niveau ? Qui mentait à qui, en définitive, pour paraphraser la Une retentissante d’un hebdomadaire ? Quant à reconnaître à la Commission européenne « une capacité de jugement et d’orientation », non merci Jacques : à mes yeux, Monsieur Barroso n’est pas plus compétent en matière économique qu’il ne l’a été en matière de politique étrangère, lorsqu’il paradait avec MM. Aznar et Bush au sommet des Açores ! On connaît son credo, à lui et à l’actuelle Commission, et ce n’est pas le nôtre. L’Europe peut mieux faire qu’être l’instrument anonyme et non-démocratique d’un alignement forcé des pays qui la composent sur un modèle néolibéral suranné que les Etats-Unis eux même se gardent bien de mettre en œuvre. |