Borloo signe un chèque en bois de 2 milliards
L'AGENCE nationale pour la rénovation urbaine (Anru), créée par Borloo en 2003, est au bord du dépôt de bilan. Lors du comité de direction du 8 janvier, le directeur général, Philippe Van de Maele, a averti ses collaborateurs qu'ils avaient déjà dépassé de 1 milliard d'euros les dépenses prévues pour les six prochaines an-; nées. Mais les experts de l'Agence estiment que le trou atteint en fait les 2 milliards. Et le directeur général adjoint, Claude Doussier, qui juge la situation ingérable, a profité de la réunion pour présenter sa démission.
Cette quasi-faillite n'a pas empêché Borloo d'ordonner à l'Anru d'engager de nouveaux crédits fantômes. Au diable l'intendance : il faut que le ministre de la Cohésion sociale puisse rouler des mécaniques avant la présidentielle. Et annoncer le financement d'innombrables nouveaux logements. Sur le papier.
Ainsi, au 15 janvier, l'Agence avait accepté de participer aux travaux de rénovation de 392 quartiers. Mais, d'ici à la fin avril, le total devrait atteindre le nombre de 529. Résultat, en plus des sommes versées par les communes et les sociétés d'HLM, la quote-part de l'Anru frôlera les 12 milliards, alors qu'elle ne dispose que de 9,8 milliards. Et, au total, toutes sources de financement confondues, il y en aura pour 35 milliards au lieu des 30 annoncés par Borloo.
Cassandre modeste
Les mises en garde n'ont pourtant pas manqué. En juillet 2006, les sénateurs UMP Philippe Dallier et Roger Karoutchi (un des lieutenants de Sarkozy) avaient rédigé un rapport au vinaigre. Ils estimaient alors qu'il manquait « 60 millions » dans le budget de l'Anru pour financer les travaux prévus. Six mois plus tard, la machine à promesses s'est emballée, et le gouffre est devenu abyssal...
Pour sortir de ce bourbier, l'Agence a tenté, l'automne dernier, de refiler une partie de l'addition aux Régions et aux départements. Mais la ficelle était un peu grosse, et les volontaires ne se sont pas précipités sur leur carnet de chèques.
Pourtant, Borloo ne se soucie guère du naufrage annoncé. Une position très cohérente : les plus gros chantiers ne commenceront qu'après les élections, et ils dureront jusqu'en 2013. Ce sera donc à ses successeurs de se débrouiller pour régler la note ou renoncer aux logements promis.
Hervé Uffran
La rénovation urbaine de Borloo ne démarre bien que sur le papier
mercredi 26 juillet 2006
Mais pour les 500 000 logements sociaux promis, on fera les comptes plus tard.
JEAN-LOUIS BORLOO en rêvait : l'Agence nationale de rénovation urbaine (l'Anru) devait faire vrombir les bulldozers dans les cités. Et, parole, c'est un franc succès ! Depuis deux ans, les projets pleuvent : 190 quartiers, comptant 250 000 logements à ripoliner, ont déjà décroché une promesse de financement. Pas si bêtes, tous les maires veulent profiter de la cagnotte, y compris dans des contrées moyennement déshéritées... C'est bien joli, mais à ce rythme ébouriffant, pas sûr que la trésorerie de l'Anru suive, avertissent les sénateurs UMP Roger Karoutchi et Philippe Dallier dans un rapport de la mission Ville et Logement.
Le gouvernement, qui s'est courageusement engagé à verser 5 milliards d'euros entre 2004... et 2017, n'a pas eu à
débourser grand-chose pour le moment, les coups de pioche se faisant encore rares. Borloo n'a pas le premier rond pour faire face au gros des travaux : de 2007 à 2011 - après les élections, donc, ce qui tombe assez bien ! - les besoins en cash de l'Anru vont connaître un pic himalayesque. Pour l'instant, l'Etat racle les fonds de tiroir. Sur 465 millions d'euros promis en 2006 (trois fois moins que ce qu'il faudra cracher en 2009), une soixantaine de millions manquent toujours à l'appel : « Vos rapporteurs n'ont pas obtenu de réponse satisfaisante sur l'origine [de ces] 60 millions », explique la mission sénatoriale. Rassurant...
On rase gratis...
Le risque dont les sénateurs ne pipent mot, en revanche, c'est
que les crédits soient absorbés par les démolitions et manquent au moment où il faudra reconstruire. Quelque 84 000 logements sont déjà en passe d'être rayés de la carte. « La préoccupation majeure des habitants, c'est de savoir où ils seront relogés. Or les projets sont souvent très flous sur la localisation exacte des reconstructions », critique un membre du Comité d'évaluation et de suivi de l'Anru, une instance composée de représentants associatifs.
En théorie, c'est la règle du 1 pour 1 qui s'applique (un logement reconstruit pour un détruit). En pratique aussi,'à condition de tordre un peu les calculs. A Dammarie-les-Lys, par exemple, où 770 logements vétustés doivent partir en fumée, le projet validé par l'Anru prévoit de reconstruire 330 appartements dans la commune, le reste étant réparti vers les agglomérations voisines. Mais, à y regarder de près, le conseil général de Seine-et-Marne est tombé sur un os : une partie des reconstructions correspond à des travaux déjà prévus et destinés aux mal-logés inscrits depuis des lustres.
... et on compte double
« On a lancé, il y a trois ans, un projet de 36 nouveaux logements sociaux pour des ménages de la commune, et je découvre qu'ils sont comptés dans le projet Anru, s'étonne ainsi André Aubert, le maire (PS) de Brie-Comte-Robert. Cela signifie-t-il qu'on va m'envoyer des familles de Dammarie ? » Pas de réponse, ni à Dammarie ni à l'Anru... Un
tour de passe-passe isolé ? Rien n'est moins sûr : « J'ai fait la même chose dans la ville dont je suis le maire, aux Pavillons-Sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, pour aider la commune de Sevran », reconnaît même l'un des auteurs du rapport sénatorial, Philippe Dallier, qui ne voit pas où est le problème. « L'important, c'est de construire », dit-il.
Borloo l'avait pourtant juré-craché : la remise à neuf des cités ne devait en rien grignoter la construction de logements sociaux supplémentaires (500 000 promis sur cinq ans...), « L'objectif final sera respecté, même s'il y a peut-être, en cours de route, des projets qui s'enchevêtrent », assure-t-on à l'Anru. Les jumelles sont fournies pour y voir clair ?
Isabelle Barré