8 février 2007
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11:30
La précarité des assistants parlementaires
Face à l'incertitude du prochain scrutin électoral, l'assistant parlementaire continue de lutter pour obtenir un statut moins précaire.
Pour leurs 30 années d'existence, les assistants parlementaires ont organisé, l'an dernier, un colloque autour de cette interrogation qui les concerne de près : «Quel passé pour quel avenir ?» La complexité des règles du jeu des politiques publiques et l'incertitude des prochaines échéances électorales donnent, aujourd'hui, encore plus d'acuité à la question. D'autant que cette fonction tend vers toujours plus de professionnalisation mais demeure invisible, ignorée par le droit constitutionnel et en perpétuelle quête de reconnaissance.
«Des indices montrent que les choses évoluent de façon positive», assure Julien Meimon, chercheur en sciences politiques. Et d'énumérer : le statut cadre et la prime d'ancienneté obtenus à l'arraché, la multiplication des formations et la montée en puissance d'une mobilisation syndicale autour de questions non encore résolues mais néanmoins cruciales : le bilan de compétences, la valorisation des acquis de l'expérience, les actions judiciaires collectives et individuelles.
Pour nombre d'assistants, le dilemme est cornélien cependant : sortir de l'ombre mais... pas trop. Beaucoup considèrent, en effet, que leur raison d'être se résume en deux mots : loyauté et discrétion. «L'assistant parlementaire est dans une position de soumission. Toute mise en avant serait suicidaire», estime Richard Durbiano, ancien assistant parlementaire devenu directeur adjoint du cabinet du député-maire UMP d'Argenteuil, Georges Monthron. Mais humilité et discrétion cohabitent aussi avec une vigilance sans faille quant aux respects des droits fondamentaux. «J'ai dû batailler fort pour que le député pour lequel je travaillais comme assistant parlementaire daigne me verser mon dernier mois de salaire», se souvient Richard Dubiano. Et de conclure : «C'est le parlementaire qui fait la qualité de la fonction.»
«L'Assemblée nationale, c'est 577 TPE, mais pas 577 managers», déplore Déborah Pawlik, dont le mémoire de fin d'études à l'Institut supérieur du management public et politique (Ismapp) portait sur «l'absence de management en politique». Chaque parlementaire a ses propres exigences et critères de recrutement. «Sur 10 collaborateurs, à coup sûr, on trouve 3 à 4 familles de traitement différent», estime Laurence Lemouzy, directrice pédagogique de l'Ismapp. C'est pourquoi, quand certains assistants rédigent des notes de synthèse sur l'élevage bovin en Haute-Normandie, préparent des questions au gouvernement, rédigent des propositions de loi, élaborent des amendements ou encore décryptent les orientations d'un projet de loi à des administrés ou des journalistes, il est demandé à d'autres de se limiter à réserver un hôtel ou d'acheter une cravate dans l'urgence.
Quelques litiges
«Notre tâche est polyvalente et pluridisciplinaire. Il y a des périodes plus calmes que d'autres, puis un dossier relatif à des fonds européens pour l'agriculture martiniquaise absorbe soudain tout notre temps et, en période budgétaire, la semaine de travail dépasse les 60 h», explique Emmanuel Maufoux, président du cercle des collaborateurs et assistants parlementaires de la gauche plurielle (CCAP). «De plus en plus, la compétence technique prime sur l'engagement politique car la fonction politique elle-même se professionnalise», insiste Bastien François, professeur de sciences politiques à Paris-I.
Mais, en termes de gestion des ressources humaines, les parlementaires ne donnent pas toujours l'exemple. «C'est vrai, il y a des litiges et des procédures»,reconnaît un assistant. Et, le plus souvent, ces conflits entre assistants et députés finissent par des transactions et quelques rares condamnations de l'élu. «Notre fonction est précaire par essence et on accepte cette précarité-là», confie Emmanuel Maufoux, assistant du député Louis-Joseph Manscour (PS). «En revanche, constituent un vrai problème, d'une part, les licenciements abusifs et, d'autre part, la prime de précarité insuffisamment revalorisée», poursuit-il.
Tous s'accordent sur cette dernière question. D'autres souhaitent aller plus loin: «Nous n'avons pas de bilan social. Et quid de l'application de l'égalité salariale, du salaire médian et du traitement de la salariée en cas de grossesse ?», demande Jean-François Cassant, secrétaire général de l'UNSCP-AN. «Notre fonction n'est quand même pas banale : nous sommes à l'Assemblée nationale, tempère Déborah Pawlik, qui travaille pour le député Richard Mallie (UMP). Difficile d'avoir les mêmes revendications que les salariés d'une boîte privée lambda de plus de 500 personnes.»
Une population opaque
Encore plus difficile d'appréhender la réalité d'une population protéiforme et opaque, tenue par une clause de confiance contractuelle. D'aucuns avancent avec incertitude quelque 3.500 contrats de travail (pour l'Assemblée nationale et le Sénat). «Mais combien de temps pleins, de mi-temps ?» s'interroge l'UNSCP-AN. Chaque député dispose d'une enveloppe budgétaire de 8.877 euros mensuels pour rémunérer 1 à 5 assistants. «Certains emploient aussi des parents ou de fidèles militants formés sur le tas», relève Guillaume Courty, maître de conférence en sciences politiques à l'université Paris-X. Quant à l'organisation du travail, elle aussi est modulable entre Paris et les circonscriptions (2/3 des assistants), les temps pleins et partiels.
La question de la reconversion
À l'Assemblée nationale, à l'honneur d'investir un lieu de pouvoir chargé d'histoire succède une réalité quotidienne qui se matérialise sous la forme d'un bureau de 10 mètres carrés à partager avec l'élu, d'un maelström de tâches ingrates et passionnantes, de rapports compliqués avec les fonctionnaires de l'Assemblée et d'un droit de circulation limité. Du coup, certains déchantent. « On travaille étroitement avec les élus mais les abords du périmètre sacré nous sont interdits »,ne décolère pas un assistant. Et ils sont nombreux à considérer leur fonction comme un tremplin. Et de citer les anciens : du fictif Julien Sorel, secrétaire parlementaire dans Le Rouge et le Noir aux bien réels Anne-Marie Comparini, François Fillon et Manuel Valls, pour ne citer qu'eux. «C'est vrai que l'assistant parlementaire n'est, en général, pas bien loti, pas bien payé et qu'il manque de reconnaissance, mais franchement quelle chance de toucher la sphère politique et de faire du travail intellectuellement stimulant !» s'enthousiasme une assistante de moins de 30 ans.
Mais il arrive que le tremplin, de provisoire finisse par s'installer, ou pis, se transforme en point final. «Comme à chaque fin de législature, il y aura beaucoup de licenciements en juin», soupire un collaborateur. Et comme tous les cinq ans, les assistants vont devoir arbitrer : changer d'élu, rester dans la profession, se reconvertir. L'exercice, il est vrai, serait plus facile avec un vrai statut.
MURIEL JASOR - Les Échos
Face à l'incertitude du prochain scrutin électoral, l'assistant parlementaire continue de lutter pour obtenir un statut moins précaire.
Pour leurs 30 années d'existence, les assistants parlementaires ont organisé, l'an dernier, un colloque autour de cette interrogation qui les concerne de près : «Quel passé pour quel avenir ?» La complexité des règles du jeu des politiques publiques et l'incertitude des prochaines échéances électorales donnent, aujourd'hui, encore plus d'acuité à la question. D'autant que cette fonction tend vers toujours plus de professionnalisation mais demeure invisible, ignorée par le droit constitutionnel et en perpétuelle quête de reconnaissance.
«Des indices montrent que les choses évoluent de façon positive», assure Julien Meimon, chercheur en sciences politiques. Et d'énumérer : le statut cadre et la prime d'ancienneté obtenus à l'arraché, la multiplication des formations et la montée en puissance d'une mobilisation syndicale autour de questions non encore résolues mais néanmoins cruciales : le bilan de compétences, la valorisation des acquis de l'expérience, les actions judiciaires collectives et individuelles.
Pour nombre d'assistants, le dilemme est cornélien cependant : sortir de l'ombre mais... pas trop. Beaucoup considèrent, en effet, que leur raison d'être se résume en deux mots : loyauté et discrétion. «L'assistant parlementaire est dans une position de soumission. Toute mise en avant serait suicidaire», estime Richard Durbiano, ancien assistant parlementaire devenu directeur adjoint du cabinet du député-maire UMP d'Argenteuil, Georges Monthron. Mais humilité et discrétion cohabitent aussi avec une vigilance sans faille quant aux respects des droits fondamentaux. «J'ai dû batailler fort pour que le député pour lequel je travaillais comme assistant parlementaire daigne me verser mon dernier mois de salaire», se souvient Richard Dubiano. Et de conclure : «C'est le parlementaire qui fait la qualité de la fonction.»
«L'Assemblée nationale, c'est 577 TPE, mais pas 577 managers», déplore Déborah Pawlik, dont le mémoire de fin d'études à l'Institut supérieur du management public et politique (Ismapp) portait sur «l'absence de management en politique». Chaque parlementaire a ses propres exigences et critères de recrutement. «Sur 10 collaborateurs, à coup sûr, on trouve 3 à 4 familles de traitement différent», estime Laurence Lemouzy, directrice pédagogique de l'Ismapp. C'est pourquoi, quand certains assistants rédigent des notes de synthèse sur l'élevage bovin en Haute-Normandie, préparent des questions au gouvernement, rédigent des propositions de loi, élaborent des amendements ou encore décryptent les orientations d'un projet de loi à des administrés ou des journalistes, il est demandé à d'autres de se limiter à réserver un hôtel ou d'acheter une cravate dans l'urgence.
Quelques litiges
«Notre tâche est polyvalente et pluridisciplinaire. Il y a des périodes plus calmes que d'autres, puis un dossier relatif à des fonds européens pour l'agriculture martiniquaise absorbe soudain tout notre temps et, en période budgétaire, la semaine de travail dépasse les 60 h», explique Emmanuel Maufoux, président du cercle des collaborateurs et assistants parlementaires de la gauche plurielle (CCAP). «De plus en plus, la compétence technique prime sur l'engagement politique car la fonction politique elle-même se professionnalise», insiste Bastien François, professeur de sciences politiques à Paris-I.
Mais, en termes de gestion des ressources humaines, les parlementaires ne donnent pas toujours l'exemple. «C'est vrai, il y a des litiges et des procédures»,reconnaît un assistant. Et, le plus souvent, ces conflits entre assistants et députés finissent par des transactions et quelques rares condamnations de l'élu. «Notre fonction est précaire par essence et on accepte cette précarité-là», confie Emmanuel Maufoux, assistant du député Louis-Joseph Manscour (PS). «En revanche, constituent un vrai problème, d'une part, les licenciements abusifs et, d'autre part, la prime de précarité insuffisamment revalorisée», poursuit-il.
Tous s'accordent sur cette dernière question. D'autres souhaitent aller plus loin: «Nous n'avons pas de bilan social. Et quid de l'application de l'égalité salariale, du salaire médian et du traitement de la salariée en cas de grossesse ?», demande Jean-François Cassant, secrétaire général de l'UNSCP-AN. «Notre fonction n'est quand même pas banale : nous sommes à l'Assemblée nationale, tempère Déborah Pawlik, qui travaille pour le député Richard Mallie (UMP). Difficile d'avoir les mêmes revendications que les salariés d'une boîte privée lambda de plus de 500 personnes.»
Une population opaque
Encore plus difficile d'appréhender la réalité d'une population protéiforme et opaque, tenue par une clause de confiance contractuelle. D'aucuns avancent avec incertitude quelque 3.500 contrats de travail (pour l'Assemblée nationale et le Sénat). «Mais combien de temps pleins, de mi-temps ?» s'interroge l'UNSCP-AN. Chaque député dispose d'une enveloppe budgétaire de 8.877 euros mensuels pour rémunérer 1 à 5 assistants. «Certains emploient aussi des parents ou de fidèles militants formés sur le tas», relève Guillaume Courty, maître de conférence en sciences politiques à l'université Paris-X. Quant à l'organisation du travail, elle aussi est modulable entre Paris et les circonscriptions (2/3 des assistants), les temps pleins et partiels.
La question de la reconversion
À l'Assemblée nationale, à l'honneur d'investir un lieu de pouvoir chargé d'histoire succède une réalité quotidienne qui se matérialise sous la forme d'un bureau de 10 mètres carrés à partager avec l'élu, d'un maelström de tâches ingrates et passionnantes, de rapports compliqués avec les fonctionnaires de l'Assemblée et d'un droit de circulation limité. Du coup, certains déchantent. « On travaille étroitement avec les élus mais les abords du périmètre sacré nous sont interdits »,ne décolère pas un assistant. Et ils sont nombreux à considérer leur fonction comme un tremplin. Et de citer les anciens : du fictif Julien Sorel, secrétaire parlementaire dans Le Rouge et le Noir aux bien réels Anne-Marie Comparini, François Fillon et Manuel Valls, pour ne citer qu'eux. «C'est vrai que l'assistant parlementaire n'est, en général, pas bien loti, pas bien payé et qu'il manque de reconnaissance, mais franchement quelle chance de toucher la sphère politique et de faire du travail intellectuellement stimulant !» s'enthousiasme une assistante de moins de 30 ans.
Mais il arrive que le tremplin, de provisoire finisse par s'installer, ou pis, se transforme en point final. «Comme à chaque fin de législature, il y aura beaucoup de licenciements en juin», soupire un collaborateur. Et comme tous les cinq ans, les assistants vont devoir arbitrer : changer d'élu, rester dans la profession, se reconvertir. L'exercice, il est vrai, serait plus facile avec un vrai statut.
MURIEL JASOR - Les Échos