13 mars 2007
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Comment fonctionne le petit monde des militants et des élites socialistes ? En disséquant la "société des socialistes", Rémi Lefebvre et Frédéric Sawicki dressent le portrait à la fois sombre et pathétique d'un parti recroquevillé sur lui-même au grand désespoir de ses militants.
suite de l'article précédent...Les auteurs insistent sur le fait que ce sont ces liens rompus et la faible implantation du PS qui "[accroissent] la volatilité de l'électorat socialiste, condamnant le PS à faire fluctuer sa ligne idéologique". Cela éclaire aussi les raisons de l'usage intensif des sondages si déterminant dans la désignation interne de novembre 2006 : "Faute de réseaux puissants irriguant la société, les élites socialistes [et toutes tendances ou sensibilités confondues] sont de fait conduites à s'appuyer sur des formes de production non "mobilisée" de l'opinion publique comme les sondages". Et ce n'est sans doute pas non plus un hasard si la vision socialiste minore de fait et de plus en plus toute conflictualité sociale pour se nourrir avant de travaux sociologiques sur l'individu et les valeurs post-matérialistes (François de Singly, Marcel Gauchet) - et ce en contradiction flagrante avec l'objet du parti - qui dessinent des individus "entrepreneurs de leur propre vie", selon l'expression d'Alain Ehrenberg qui fait florès. Or un parti politique qui cherche à gouverner durablement une société pour la transformer ne parvient à le faire que s'il a profondémentpréparé la prise et l'exercice du pouvoir en établissant son hégémonie culturelle sur cette même société : en abdiquant devant l'individualisme et le néo-libéralisme ambiant au sein de sa propre réflexion interne, le PS abdiquerait toute vélléité de transformer cette société. Sans compter qu'il ne s'est jamais doté des outils culturels, associatifs et mutualistes pour asseoir son hégémonie culturelle.
De fait, les militants d'origine populaire se font rares, ce qui s'explique aussi par la généralisation, au sein du PS, d'une "culture du débat" pourtant positive mais qui valorise avant tout la réflexion collective et la "libre expression" - peu spontanée - des militants. Or cette "intellectualisation", en faisant appel aux ressources culturelles personnelles, en technicisant le débat et en dévalorisant le rapport populaire au parti, fait de remise de soi et de loyalisme, favoriserait la relégation des militants les plus modestes. Ce livre touche là une autre contradiction qu'il ne peut dépasser parce que c'est celle du parti : le monde et la politique se complexifie mais, face à cela et face à la généralisation de la "culture du débat" qui marque une avancée démocratique indéniable et qui n'a pas d'équivalent dans les autres partis français ou européens, le Parti socialiste n'a mis en place aucune structure de formation adaptée (à la différence du PCF des années 1950) à son public populaire ou moyen et à la hauteur des attentes politiques ; le loyalisme n'est pas l'apanage des militants issus des milieux populaires qui seraient par ailleurs déstabilisés par la "culture du débat", depuis 1946 aucune majorité dirigeante socialisme n'a directement été remise en cause par sa base, le légitimisme atteint une forte proportion des débatteurs et technocrates de section, ce qui permet de s'interroger sur la profondeur d'un certain nombre de débats tenus dans le PS.
Ce sont les pratiques les plus ordinaires du militantisme (tractage) qui sont dévalorisées (et la vague d'adhésion et la campagne présidentielle n'invalide malheureusement pas cette conclusion) mais aussi les dimensions collectives et identitaires de l'appartenance partisane (nuits de collage d'affiches, fêtes de sections) qui se perdent. Etonnamment, le PS semble tolérer, voire encourager, un militantisme distancié - et plus encore depuis quelques mois. La conséquence en est que la dimension cynique des comportements prend une place prépondérante au sein du parti, où "le militant est un loup pour le militant". Un "univers hobbesien" donc, où l'on "ne s'aime pas, ou peu" et où "rapporter les prises de positions des militants aux positions dans l'espace partisan relève d'un quasi-réflexe [...]".
Le cynisme en politique ne date pas d'aujourd'hui, mais la nouveauté est que la concurrence touche toute la communauté militante, du sommet jusqu'à la base, et que la "lutte pour les places", contrairement à d'autres milieux militants y est peu déniée.
Difficile donc de "militer au PS et d'y rester tant d'intérêts, croyances et convictions, dispositions, ajustements à l'institution s'y articulent difficilement". Cela explique une certaine forme de "malheur militant" qui, dans les entretiens qu'ils ont menés par les auteurs, s'exprime à travers les registres de l'insatisfaction ("on ne s'y retrouve pas"), de la déception, de la frustration ("il n'est pas facile de militer"). Malgré tout, et malgré leur grande lucidité, les militants semblent peu enclins à la défection, sans doute parce que, toujours à cause de la rétractation des réseaux socialistes, il est difficile de reconvertir son militantisme socialiste. On voit donc se multiplier les formes de "distance à l'engagement" : ne pas voter socialiste aux élections, voter "oui" au projet de traité constitutionnel européen lors du référendum interne de l'automne 2004 pour ne pas cautionner Laurent Fabius en se promettant de voter "non" dans l'urne, adhérer à ATTAC ou encore afficher délibérément son cynisme et valoriser la distance critique en raillant "l'engagement total" du militant de base...
C'est au final un portrait quelque peu pathétique du PS qui est dessiné. Un PS incapable d'affirmer qu'est-ce qu'être socialiste aujourd'hui et donc "condamné à décevoir". Y a-t-il quelques raisons d'espérer ? Les deux chercheurs en voient dans l'histoire du PS qui, dans les années 1970, avait réussi sa rénovation en redonnant leur place aux militants, en limitant les mandats, en s'ouvrant aux autres organisations... Reste qu'un tel élan se fait attendre, au risque de faire perdre leurs dernières illusions aux militants. On prétend que Pierre Mauroy le résume ainsi : "si les dégoûtés s'en vont, ne resteront que les dégoûtants".
Contrairement à ce qu'a pu dire Arnaud Montebourg voici plusieurs semaines, Ségolène Royal n'a pas réussi à faire en quelques mois ce que le courant qu'il avait quitté - Pour un nouveau Parti socialiste - n'avait pas réussi en 4 ans. D'abord parce que - même en recherchant à être légitimée par le vote des militants - Ségolène Royal s'est imposée au Parti socialiste, à ses cadres et à une partie de ses militants, en s'appuyant sur l'état de l'opinion publique à un moment donné (et certainement pas sur des réseaux structurés extérieurs au Parti comme avait pu le faire Mitterrand en 1971) ; elle n'a donc pas (encore) agi sur le PS en tant que tel. Celui-ci se retrouve donc dans une situation d'entre-deux, avec un vieil appareil, héritage de toutes les combinaisons de congrès depuis 20 ans et d'un légitimisme nourri de déception d'une majorité des militants plus anciens, des nouveaux militants dont on ne sait pas combien resteront au-delà de la désignation du 16 novembre 2006 et de la campagne présidentielle et dont on ignore les motivations idéologiques et politiques pour ceux qui choisiront de rester.
La rénovation du parti reste donc à faire pour dépasser les anciennes structures, mais elle ne sortira certainement pas par magie de la désignation de la candidate ou de son élection à la Présidente. Tout juste pourra-t-on dire qu'une défaite supplémentaire de la gauche en 2007, au-delà d'un drame social qu'elle porterait en germe, mettrait le PS dans une situation comparable à celui du Labour confronté à 20 ans de thatchérisme et qu'il n'est pas dit - loin de là - que le blairisme n'est apporté que des résultats positifs à long terme pour la société britannique et européenne.
Les valeurs portées par la sociale-démocratie française, déjà mises à mal dans la société, se verraient opposer durablement l'impossibilité de refaire surface et de prétendre un jour à l'hégémonie culturelle sur la société face à l'ampleur de la casse sociale qui résulterait de l'élection d'un Sarkozy ou d'un Bayrou à l'Elysée. Ségolène Royal peut apparaître comme le fruit d'une contradiction interne supplémentaire du socialisme français mais son élection à la tête du pays est le passage obligé pour poursuivre l'espérance socialiste en France et en Europe.
De fait, les militants d'origine populaire se font rares, ce qui s'explique aussi par la généralisation, au sein du PS, d'une "culture du débat" pourtant positive mais qui valorise avant tout la réflexion collective et la "libre expression" - peu spontanée - des militants. Or cette "intellectualisation", en faisant appel aux ressources culturelles personnelles, en technicisant le débat et en dévalorisant le rapport populaire au parti, fait de remise de soi et de loyalisme, favoriserait la relégation des militants les plus modestes. Ce livre touche là une autre contradiction qu'il ne peut dépasser parce que c'est celle du parti : le monde et la politique se complexifie mais, face à cela et face à la généralisation de la "culture du débat" qui marque une avancée démocratique indéniable et qui n'a pas d'équivalent dans les autres partis français ou européens, le Parti socialiste n'a mis en place aucune structure de formation adaptée (à la différence du PCF des années 1950) à son public populaire ou moyen et à la hauteur des attentes politiques ; le loyalisme n'est pas l'apanage des militants issus des milieux populaires qui seraient par ailleurs déstabilisés par la "culture du débat", depuis 1946 aucune majorité dirigeante socialisme n'a directement été remise en cause par sa base, le légitimisme atteint une forte proportion des débatteurs et technocrates de section, ce qui permet de s'interroger sur la profondeur d'un certain nombre de débats tenus dans le PS.
Ce sont les pratiques les plus ordinaires du militantisme (tractage) qui sont dévalorisées (et la vague d'adhésion et la campagne présidentielle n'invalide malheureusement pas cette conclusion) mais aussi les dimensions collectives et identitaires de l'appartenance partisane (nuits de collage d'affiches, fêtes de sections) qui se perdent. Etonnamment, le PS semble tolérer, voire encourager, un militantisme distancié - et plus encore depuis quelques mois. La conséquence en est que la dimension cynique des comportements prend une place prépondérante au sein du parti, où "le militant est un loup pour le militant". Un "univers hobbesien" donc, où l'on "ne s'aime pas, ou peu" et où "rapporter les prises de positions des militants aux positions dans l'espace partisan relève d'un quasi-réflexe [...]".
Le cynisme en politique ne date pas d'aujourd'hui, mais la nouveauté est que la concurrence touche toute la communauté militante, du sommet jusqu'à la base, et que la "lutte pour les places", contrairement à d'autres milieux militants y est peu déniée.
Difficile donc de "militer au PS et d'y rester tant d'intérêts, croyances et convictions, dispositions, ajustements à l'institution s'y articulent difficilement". Cela explique une certaine forme de "malheur militant" qui, dans les entretiens qu'ils ont menés par les auteurs, s'exprime à travers les registres de l'insatisfaction ("on ne s'y retrouve pas"), de la déception, de la frustration ("il n'est pas facile de militer"). Malgré tout, et malgré leur grande lucidité, les militants semblent peu enclins à la défection, sans doute parce que, toujours à cause de la rétractation des réseaux socialistes, il est difficile de reconvertir son militantisme socialiste. On voit donc se multiplier les formes de "distance à l'engagement" : ne pas voter socialiste aux élections, voter "oui" au projet de traité constitutionnel européen lors du référendum interne de l'automne 2004 pour ne pas cautionner Laurent Fabius en se promettant de voter "non" dans l'urne, adhérer à ATTAC ou encore afficher délibérément son cynisme et valoriser la distance critique en raillant "l'engagement total" du militant de base...
C'est au final un portrait quelque peu pathétique du PS qui est dessiné. Un PS incapable d'affirmer qu'est-ce qu'être socialiste aujourd'hui et donc "condamné à décevoir". Y a-t-il quelques raisons d'espérer ? Les deux chercheurs en voient dans l'histoire du PS qui, dans les années 1970, avait réussi sa rénovation en redonnant leur place aux militants, en limitant les mandats, en s'ouvrant aux autres organisations... Reste qu'un tel élan se fait attendre, au risque de faire perdre leurs dernières illusions aux militants. On prétend que Pierre Mauroy le résume ainsi : "si les dégoûtés s'en vont, ne resteront que les dégoûtants".
Contrairement à ce qu'a pu dire Arnaud Montebourg voici plusieurs semaines, Ségolène Royal n'a pas réussi à faire en quelques mois ce que le courant qu'il avait quitté - Pour un nouveau Parti socialiste - n'avait pas réussi en 4 ans. D'abord parce que - même en recherchant à être légitimée par le vote des militants - Ségolène Royal s'est imposée au Parti socialiste, à ses cadres et à une partie de ses militants, en s'appuyant sur l'état de l'opinion publique à un moment donné (et certainement pas sur des réseaux structurés extérieurs au Parti comme avait pu le faire Mitterrand en 1971) ; elle n'a donc pas (encore) agi sur le PS en tant que tel. Celui-ci se retrouve donc dans une situation d'entre-deux, avec un vieil appareil, héritage de toutes les combinaisons de congrès depuis 20 ans et d'un légitimisme nourri de déception d'une majorité des militants plus anciens, des nouveaux militants dont on ne sait pas combien resteront au-delà de la désignation du 16 novembre 2006 et de la campagne présidentielle et dont on ignore les motivations idéologiques et politiques pour ceux qui choisiront de rester.
La rénovation du parti reste donc à faire pour dépasser les anciennes structures, mais elle ne sortira certainement pas par magie de la désignation de la candidate ou de son élection à la Présidente. Tout juste pourra-t-on dire qu'une défaite supplémentaire de la gauche en 2007, au-delà d'un drame social qu'elle porterait en germe, mettrait le PS dans une situation comparable à celui du Labour confronté à 20 ans de thatchérisme et qu'il n'est pas dit - loin de là - que le blairisme n'est apporté que des résultats positifs à long terme pour la société britannique et européenne.
Les valeurs portées par la sociale-démocratie française, déjà mises à mal dans la société, se verraient opposer durablement l'impossibilité de refaire surface et de prétendre un jour à l'hégémonie culturelle sur la société face à l'ampleur de la casse sociale qui résulterait de l'élection d'un Sarkozy ou d'un Bayrou à l'Elysée. Ségolène Royal peut apparaître comme le fruit d'une contradiction interne supplémentaire du socialisme français mais son élection à la tête du pays est le passage obligé pour poursuivre l'espérance socialiste en France et en Europe.
Frédéric FARAVEL
(avec quelques notes tirées
de mes lectures de Sciences Humaines)
(avec quelques notes tirées
de mes lectures de Sciences Humaines)