Car Ségolène Royal pose un problème de confiance à ces enseignants, souvent très jeunes. Une blessure ouverte en novembre 2006 : "On a tous en tête ses déclarations sur les 35h des profs", témoigne Emilie Respingue, professeure de lettres de 27 ans, en référence à la vidéo pirate diffusée sur Internet dans laquelle elle proposait que les enseignants assurent 35h de présence.
Avec cette proposition, Ségolène Royal a instillé le doute. Pour beaucoup, elle a rejoint, par démagogie, le chœur de ceux qui dénigrent les enseignants "absentéistes" ou "privilégiés". Alors que, eux, attendent du futur président une réponse sur leur angoisse de dévalorisation de leur profession, aussi bien sur le plan matériel que symbolique. "Je crois que personne ne s'est remis de cette déclaration. C'était une phrase choc pour plaire au grand public en laissant entendre que les profs ne font rien et qu'on est toujours en vacances", poursuit Emilie Respingue, en poste à Pierrefitte.
A cause de ce passif, la candidate socialiste souffre d'une image très médiocre. Dans les "salles des profs" ne s'exprime pas d'adhésion forte, pas de sentiment de proximité avec la candidate. Et le fait d'être une femme politique n'y change rien, y compris dans des collèges où le corps enseignant est traditionnellement très féminisé. Mais ces critiques sont loin d'entraîner un basculement à droite. Voter pour l'UMP reste impossible pour ces enseignants : les conflits de ces dernières années, marqués par des "défaites" importantes (retraites, loi Fillon sur l'école, suppression de postes), ont accentué le ressentiment vis-à-vis des gouvernements sortants.
De ce point de vue, les manoeuvres de séduction de Nicolas Sarkozy ne changent rien : dans ces collèges des quartiers populaires, le ministre de l'intérieur apparaît comme celui qui soutient les réductions budgétaires et qui défend une approche "managériale" de l'éducation nationale. "Il fait des beaux discours sur les enseignants, mais personne ne peut le croire", estime Marie Le Padellec, 26 ans, professeure d'anglais à Pierrefitte.
François Bayrou, alors ? Le principe de précaution politique conduit à se méfier d'un ancien ministre de droite. Dans les établissements, on imagine mal qu'il ait pu changer de camp, sauf pour le temps d'une campagne. "Une fois au pouvoir, on est sûr qu'il mènera une politique libérale", affirme ainsi Marylène Molari, 29 ans, enseignante de lettres à Pierrefitte.
Depuis que le candidat UDF est monté dans les sondages, il a suscité plus d'intérêt. Mais de raz de marée, non : "Il se présente comme un candidat antisystème. Mais on n'est pas des crétins ! On voit bien que c'est un produit médiatique", glisse Régine Charles, 36 ans, enseignante d'histoire et de géographie à Pierrefitte. Ceux qui avaient marqué un intérêt par rapport à sa candidature sont allés chercher son programme pour l'éducation. Et n'ont rien trouvé ou presque : "Son discours peut être séduisant, mais on voit vite qu'il cherche surtout à ratisser le plus large possible", affirme Souad Tayebi, 29 ans, enseignante en sciences de la vie et de la Terre à Pierrefitte, qui tranchera au dernier moment. "Bayrou n'a pas de position, il évite de trop se mouiller, relève Emilie Respingue. Royal, on ne l'apprécie pas, mais c'est quand même la moins pire sur le fond."
Après beaucoup d'hésitations, beaucoup retournent ainsi à la case départ. Voter Royal, non, mais voter socialiste, oui. "C'est pas pour elle, c'est pour le Parti socialiste, pour la gauche. Même si on n'est pas satisfait avec Royal, on sait, en tant qu'enseignants, qu'on pourra discuter avec un gouvernement qui nous écoutera", explique Stéphane Schermann, 37 ans, professeur de lettres à Villepinte. "Il reste des réflexes culturels forts", sourit Régine Charles.