Je ne me souviens pas du jour lui-même, mais de ces années-là, oui. Dans mon école, où la moitié des élèves étaient des orphelins de guerre, nous avions une sensibilité particulière à la construction de l'Europe. Je me souviens que les enseignants nous préparaient en continu à cet événement. Dans les années précédant le traité, le programme prévoyait une matinée entièrement consacrée à l'Europe. Puis l'avenir de l'Italie et la modernisation de l'Europe ont toujours été étroitement liés. C'est précisément en 1957 qu'a commencé le boom économique italien. Cette corrélation entre Europe et développement est un des motifs pour lesquels, en Italie, malgré les crises et la secousse de l'euro, le sentiment européen est encore très fort.
50 ans plus tard, la déclaration de Berlin s'annonce tiède et minimale. N'est-ce pas insuffisant pour relancer le processus européen ? Elle est peut-être tiède, mais c'est le maximum que l'on pouvait dire dans la situation actuelle. Elle arrive à un moment particulier, où s'achève un travail de deuil. Ce qui a prévalu, c'est l'idée de clore une phase, d'en ouvrir une nouvelle, de poser des bases indiscutables pour créer les conditions d'un dialogue positif. Il fallait tenir compte de la forte tension politique existant sur ce sujet dans certains pays, comme la Pologne et la République tchèque. Et surtout, on ne pouvait rien faire de plus avant l'élection présidentielle française. La difficulté d'aboutir à une Constitution attriste l'Européen convaincu que je suis, car des liens juridiques sont nécessaires pour vivre ensemble.
Êtes-vous favorable à l'adoption rapide d'un mini-traité institutionnel pour sortir de l'impasse politique, comme le veut M. Sarkozy ?
Par définition, je suis en désaccord avec le terme "mini". Mais pourquoi pas un texte qui reprendrait la première partie de la Constitution en y ajoutant un chapitre social, et qui serait allégé des considérations techniques et opérationnelles de la troisième partie. Pour moi, le plus important serait de supprimer la règle de l'unanimité, ou de la réserver à des actes fondateurs comme l'acceptation de nouveaux Etats membres. Pour la plupart des décisions, il suffirait d'avoir une double majorité. Il n'y aura pas de progrès possible dans une Europe bloquée par des motifs de politique intérieure des divers pays. Comme président de la Commission, j'ai vécu cette tragédie de l'unanimité, voilà pourquoi j'insiste sur ce point.
Comment voyez-vous la nouvelle phase du processus européen : à 27 ou avec une avant-garde de quelques pays ?
Beaucoup parlent de l'avant-garde comme quelque chose de négatif. Or, l'euro est le fruit d'une avant-garde, et personne n'a pensé que l'euro était contre l'Union. Il faut donc une avant-garde à condition qu'elle ne signifie pas exclusion des autres membres, mais que les portes leur restent ouvertes. La nécessité de l'avant-garde est fille des vetos, qui n'ont conduit qu'à la paralysie. Le développement de l'Europe n'est pas un problème de nombre ou de taille des pays, mais de motivation et d'histoire.
Dans la campagne française, François Bayrou et les socialistes ont évoqué la nécessité d'un nouveau référendum. Cela vous inquiète-t-il ?
Peut-être est-il juste de vouloir guérir la blessure du référendum par un autre référendum. Mais cela pourrait devenir risqué, si on a la même interférence de la politique intérieure que la dernière fois. La consultation pourrait être utile si elle est bien préparée, si elle se concentre véritablement sur la question posée et surtout si elle intervient dans une période politique apaisée.
En cas de nouvel échec, une avant-garde sans la France est-elle envisageable ?
En théorie, c'est possible. Il y a déjà eu des périodes de l'histoire de l'Europe sans la France. Un éloignement est envisageable ponctuellement. Mais quand je dis qu'il n'y a pas d'Europe sans la France, je me place sur le long terme. Le rôle de la France est unique car on ne peut faire abstraction du fait que l'Europe est née de la réconciliation entre la France et l'Allemagne. De ce fait, elle a un rôle particulier, de grande responsabilité.
L'avenir de l'Europe vous inspire-t-il optimisme ou pessimisme ?
La Constitution européenne est l'unique grande innovation institutionnelle de l'histoire contemporaine. Elle est la seule à se faire dans une phase pacifique, non violente. Alors soyons patients. Il nous a fallu 45 ans pour faire l'euro, acceptons l'idée de travailler encore quelques années pour avoir une politique étrangère.
L'essentiel, entre-temps, est de ne pas galvauder l'Europe, la banaliser ou la ridiculiser comme cela s'est fait dans les dernières années par un jeu de dénigrement de l'institution de la part de certains politiques et de médias. Nous sommes encore loin d'une conscience européenne, c'est ce qui m'a le plus déplu à Bruxelles.