Depuis hier soir, la presse européenne fait sa « une » sur le sondage sortie des urnes réalisés par Ipsos pour la télévision publique néerlandaiseNOS. Passé le petit parfum d'interdit qu'offre incidemment la découverte des chiffres – l'annonce des résultats est normalement proscrite jusqu'à la fermeture du dernier bureau de vote en Europe, soit 22h dimanche 25 mai en Italie – les médias retiennent essentiellement la surprise que constitue selon eux le score « décevant » pour le PVV de Geert Wilders.
Ce parti populiste et « islamophobe » aurait été selon eux en tête de toute les intentions de vote durant la campagne électorale alors qu'il ne terminerait qu'en quatrième position avec 12,2%, à un dixième de point derrière le VVD du Premier Ministre libéral Mark Rutte.
Or selon le site établi pour les élections européennes par Vote Watch Europe, les prévisions électorales étaient bien moins évidentes que ce que laissent entendre les journaux et les chaînes d'information en continu des télévisions et radios. En effet, selon la compilation des sondages concernant les Pays-Bas, le PVV était attendu en moyenne à 13,9%, ce qui le plaçait en deuxième position dans les estimations derrière le parti D'66 crédité de 18,1% (voir ci-contre).
La surprise vient d'ailleurs ; c'est notamment la remontée du parti démocrate-chrétien CDA, ancien parti clef de la scène politique néerlandaise qui connaissait une certaine traversée du désert depuis la fin des années 2000. Si l'on regarde les résultats, ses élections néerlandaises, qui ont peu mobilisé (37% de participation seulement), reflètent d'abord la victoire des partis de centre et de centre-droit : les « libéraux de gauche » de D'66 avec 15,6%, le CDA avec 15,2% et les libéraux du VVD avec 12,3%. On constatera ensuite l'extrême dispersion de l'électorat (ce sont pas moins de 10 listes qui seront représentés à Strasbourg et Bruxelles pour un État-membre ne comptant que 26 sièges au Parlement européen). On voit enfin apparaître une nette sanction du gouvernement actuel de Mark Rutte, composé des libéraux du VVD et des travaillistes du PvdA : les partis de la coalition ne recueillent en tout que 21,7% moins d'un quart des suffrages exprimés.
L'erreur des journalistes politiques européens a été de croire que les électeurs néerlandais n'avaient que le PVV de Wilders pour exprimer un vote protestataire et que le vote protestataire s'était toujours canalisé dans des formations populistes et xénophobes. Rappelons que la liste Pim Fortuyn n'avait pas résisté au décès de son promoteur ; le vote populistes était ainsi quasiment inexistant en 2003 et extrêmement faible en 2004.
À ce niveau d'abstention, on pourra objecter d'entrée que c'est un signal protestataire et d'insatisfaction suffisamment fort qui n'a pas besoin du PVV pour s'exprimer.
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Par ailleurs, la réalité est bien plus complexe ; l'examen détaillé des résultats de jeudi et des résultats des scrutins qui se sont tenus depuis 2002 permet de mesurer la subtilité des jeux électoraux néerlandais.
De fait, chaque partie de l'électorat peut trouver une palette variée, tant du point de vue des sensibilités politiques que de l'originalité des propositions politiques, de partis déjà assez bien inscrits dans le paysage politique néerlandais.
Les électeurs travaillistes déçus de la politique menée par le gouvernement libéral avec le soutien du PvdA pouvaient voter soit pour les anciens maoïstes du Parti Socialiste (SP), qui ont déjà recueilli près de 17% des voix en 2006, les écologistes de gauche (GroenLinks) qui reviennent avec 7,3% après s'être effondrés aux législatives de 2012, ou encore les libéraux de gauche de D'66, qui ont souvent dénoncé les dérives sécuritaires des « libéraux » du VVD. De fait, alors qu'on avait donné pour moribonds les sociaux-libéraux de D'66 en 2006 (ils n'avaient atteint que 2%), les travaillistes néerlandais dont la ligne est également très sociale-libérale sont pris en étau d'un côté par la consolidation d'un vote sur leur gauche avec le SP et GroenLinks et la résurrection progressive de D'66.
La preuve est faite que la promotion d'une politique centriste et libérale par des membres du PSE affaiblit ces derniers, et interdit toute capacité à construire une dynamique à gauche autorisant l'hypothèse d'une majorité alternative aux libéraux et aux conservateurs.
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Les électeurs de droite, eux, pouvaient à loisir choisir de protester en votant pour le populisme xénophobe de Geert Wilders et du PVV. Mais il est possible que l'alliance de ce dernier avec le FN de Marine Le Pen ait coûté de nombreux électeurs à M. Wilders… preuve que l'électorat populiste et islamophobe néerlandais ne serait pas soluble dans l'extrême droite européenne ? Plus classiquement, les Unions Chrétiennes (CU) et la coalition des partis réformés (SGP), les partis ultra-conservateurs calvinistes, ont pu servir de refuge aux électeurs de droite mécontents.
Enfin, alors que le parti pirate est totalement inexistant, les votes protestataires s'incarnent aux Pays-Bas dans deux particularités nationales : les animalistes du PvdD (régulièrement présents dans les scrutins depuis 2004) atteindraient 4,2% à égalité avec la liste « 50+ », mouvement constitué en 2009 pour défendre les intérêts des personnes âgés, ce qui en dit long sur le vieillissement des sociétés européennes et le risque de conflit social générationnel qui pourrait émerger, aux Pays-Bas comme dans le reste de l'Europe, si nous ne savons pas collectivement recréer des mécanismes de solidarités essentiels.
Frédéric FARAVEL