Les préliminaires de la convention Europe du PS viennent de s'achever mardi 30 avril au soir en eau de boudin. Après s'être vertement fait corriger son texte par le chef du gouvernement qui a orchestré une campagne de dénigrement des socialistes les assimilants à des germanophobes, la direction du PS - Harlem Désir en tête - a interdit toute expression alternative à son orientation amputée.
Il est pourtant plus que nécessaire d'assumer la confrontation politique et idéologique avec les conservateurs et les libéraux européens, menés par la CDU-CSU d'Angela Merkel et les Conservateurs britanniques de David Cameron. Cette option nécessaire est d'ailleurs partagée par le SPD et son Président Sigmar Gabriel, qui comme on le sait est un grand germanophobe...
Las, non seulement le bureau national a voté sur ordre l'interdiction de diffusion du texte "Europe : le sursaut, c'est urgent !" proposé par Maintenant La Gauche et Emmanuel Maurel, d'une part, et Un Monde d'Avance et Guillaume Balas, d'autre part, celui-ci a également interdit à ces derniers de déposer des amendements communs avec Maintenant la Gauche... ce qui aboutit à la situation ubuesque que les mêmes amendements seront soumis deux fois au vote des militants. Cette phase s'achève dans la tristesse et le ridicule.
Le débat sur la nécessité de réorienter la construction européenne, peu à peu asphyxiée par l'austérité généralisée et la montée des égoïsmes nationaux - nourrissant l'un et l'autre les populismes et les fascismes -, méritait pourtant mieux que cela. Maintenant la Gauche s'y était préparé avec conviction et j'ai eu le plaisir d'animer un groupe de travail qui a produit un certain nombre d'analyses sur ce dossier.
Vous trouverez ci-dessous la plupart des mes contribution au débat dans ce cadre. En espérant que la direction du PS et ceux qui pèsent sur elle retrouvent la raison avant la fin de la convention.
Frédéric FARAVEL
Réorienter la construction européenne,
c'est vital et c'est maintenant !
Les résultats des élections italiennes – pas si surprenant que cela – aurait dû être, pour les socialistes et sociaux-démocrates européens, le signal d'alarme définitif (après l'Espagne, le Portugal, la Grèce…) sur l'incohérence politique et économique qu'il y avait à soutenir et à mettre en œuvre des politiques d'austérité.
Ces élections sont venues dire à quel point les Européens rejettent l’austérité que tous les États de l'Union Européenne appliquent avec zèle, et à laquelle l’Europe est désormais identifiée au risque de se détourner même finalement du projet européen.
De tous les pays de l’Union, l’Italie était le plus europhile avec la Belgique. Signataire du traité de Rome, elle était le pays qui avait accepté presque comme une évidence de payer de nouveaux impôts pour pouvoir entrer dans l’euro et au sein duquel les enquêtes d'opinion, tout récemment encore, plébiscitait la rigueur de Mario Monti, érigé à Bruxelles et à Berlin en modèle du nouvel homme politique, par idéalisme européen. Dans l’Italie divisée, incertaine, toujours entre deux crises politiques, l’Europe était le socle commun, le seul vrai consensus national, mais ses électeurs viennent de donner plus de 50% de leurs voix à deux candidats qui avaient axé toute leur campagne sur la dénonciation de l’Europe. Silvio Berlusconi est ressorti de sa tombe politique en cognant systématiquement sur Mme Merkel et les choix qu’elle aurait imposés à l’Italie. Beppe Grillo, comique entré en politique, a assuré le triomphe de son Mouvement 5 étoiles en dénonçant les élites pro-européennes et proposant une sortie de l’euro.
L’Europe a réuni contre elle la seule vraie majorité qui se soit dégagée de ce scrutin, et cela alors même qu’un sondage vient de révéler que le pourcentage de Français voyant dans l’Union européenne une « source d’espoir » était tombé de 61% à 38% en dix ans.
Depuis longtemps évident, le divorce entre les Européens et l’Europe devient une réalité qu’il faudrait être aveugle pour ne pas voir. L'idée d'une construction européenne porteuse de progrès devient minoritaire en Europe et cette défiance est autrement plus inquiétante pour elle que toutes les questions qui vont se poser sur l’avenir de l'euro. Si la gauche européenne ne sait pas vite faire entendre et comprendre que l’austérité n’est pas européenne mais de droite, que les politiques européennes ne sont pas décidées par l’Europe en tant que telle mais par les partis qui la dominent aujourd’hui, qu'il existe une réelle alternative politique, si elle ne propose pas au plus vite une réorientation profonde et radicale de la construction européenne, c’est l'unité européenne qui sera bientôt en danger.
Le danger serait qu'au nom des compromis européens et des traités déjà signés nous abandonnions tout combat politique face à la droite et toute tentative de réorientation des institutions européennes.
I- Arrêtez les, ils sont en train de tuer l'Europe !
I.1. Les occasions manquées et le dévoiement de la construction européenne :
La stratégie de Lisbonne (1999-2000), le Traité de Nice (2000-2001), la partie III du TCE (sanctuarisation de l'orientation libérale des politiques communes), le traité de Lisbonne (2007) ont engagé une logique de négation des souverainetés populaires dans la manière dont ils ont été élaborés (dans des cénacles restreints) et ratifiés (en faisant fi de la consultation populaire).
1.a- L'impasse de la stratégies de Lisbonne :
Depuis 2000, les États membres de l'Union européenne se sont dotés d'une stratégie de développement économique, baptisée « Stratégie de Lisbonne » et révisée en 2004-2005, qui donne pour objectif à l'union « devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale » ; la politique de cohésion de l'union s'est donc coulé dans cette stratégie, qui privilégie compétitivité, recherche et innovation. Toutefois, le quatrième rapport d’étape de la Commission laisse apparaître l’importance des disparités qui séparent toujours les États membres et ralentissent la croissance.
Le quatrième rapport de la Commission européenne sur la politique de cohésion (30 mai 2007) conduit à s’interroger sur le caractère proportionné de ces moyens, eu égard à l’insuffisance de la croissance dans l’Union et au maintien de fortes disparités économiques et sociales entre les États membres, plus particulièrement avec les nouveaux adhérents.
les présupposés de la « stratégie de Lisbonne » contradictoires avec les objectifs des politiques de cohésion :
Les conclusions de ce 4ème rapport ne pouvaient corriger la dynamique en court pour deux raisons essentiels. D'abord, comme on l'a vu dans la partie précédente, les perspectives financières 2007-2013 marquent un tassement certain de l'effort financier de l'union en faveur de l'intégration européenne. Mais surtout, la traduction concrète de la « stratégie de Lisbonne » dans l'application de la politique de cohésion en a changé le sens durablement et a détourné l'effort de l'union de la réduction des disparités régionales sur le territoire communautaire.
En effet, en mettant l'accent sur la compétitivité, la « stratégie de Lisbonne » conduit à privilégier au sein même de la politique de cohésion le soutien à des projets élaborés dans des régions ou des États déjà hautement compétitifs ; l'accent est donc mis sur l'innovation et la recherche, les réseaux trans-européens (RTE), l'« adaptabilité des travailleurs » et la flexibilité du marché du travail. Les trois premiers termes sont évidemment nécessaires mais s'ils sont renforcés par une politique de cohésion déjà en repli par ailleurs le résultat de la stratégie de Lisbonne appliquée aux politiques de cohésion ne peut être que le renforcement des dynamiques pré-existantes et l'aggravation des disparités régionales.
les fondements de la stratégie de Lisbonne, illustration de l'idéologie libérale d'une division internationale du travail :
Cette stratégie de politique économique élaborée conjointement par des gouvernements libéraux et des gouvernements socialistes, qui avaient cédé sur leurs valeurs (comme le dit si bien Martine Aubry) illustre parfaitement ce que décrit l'introduction du texte de notre convention nationale : « La croyance en un système vertueux de progression sociale généralisée et de partage du travail harmonieux (les produits à faible valeur ajoutée pour les pays émergents, la frontière technologique pour les pays développés) a été balayée.», car la stratégie de Lisbonne est une tentative d'application concrète de cette croyance sociale-libérale.
La « stratégie de Lisbonne » a, de fait, renforcé une situation antérieure déjà déséquilibrée que l'Union européenne paie aujourd'hui lourdement dans le contexte de la crise économique. La République fédérale allemande fait près de 50 % de son PIB à l'exportation, en grande partie dans l'UE ; de ce fait elle écrase les productions et les exportations des autres États membres, alors que dans le même temps le consommateur allemand consomme peu et a eu tendance à moins consommer encore après les politiques d'adaptabilité et de flexibilité du marché du travail élaborées par les gouvernements Schröder puis Merkel. D'une certaine manière la stratégie de Lisbonne transpose au niveau européen et la logique de la mondialisation et encourage en son sein les pratiques de dumping que l'on reproche à la Chine.
la stratégie de Lisbonne à nouveau révisée :
La stratégie de Lisbonne a été adoptée au Conseil européen de mars 2000 en vue de faire de l’Europe « l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde en 2010 ». Centrée sur la compétitivité, ses lacunes en matière de cohésion sociale et d’environnement ont conduit à l’adoption, au Conseil de Göteborg en 2001, d’une stratégie complémentaire, dite de développement durable. Considérant à la fin 2004 qu’elle ne remplissait pas ses objectifs (rapport Kok), la stratégie de Lisbonne a été recentrée en 2005 sur la croissance économique et l’emploi par la Commission Barroso (rapport Cohen-Tanugi).
En 2006, puis à nouveau en 2008, les objectifs ou priorités ont été redéfinis, rendant difficile l’identification sur le long terme des principaux objectifs de la stratégie. D'autre part, bien que le gouvernement français prétende que cette stratégie est aujourd'hui présentée comme un succès, nous avons vu que la Commission elle-même s'interroger sur les résultats contradictoires avec les objectifs affichés que cette stratégie impliquait pour la politique de cohésion de l'union, pilier de la construction européenne qui fait de l'Union autre chose qu'une simple zone de libre-échange.
Cependant la stratégie de Lisbonne révisée pour 2020 est marquée par l'opposition de plusieurs lignes politiques contradictoires, qui conduit au renvoi de son application par les États membres et amoindrit toute coopération européenne renforcée.
1.b- Une accumulation de traités successifs qui ont éloigné les Européens de la construction européenne :
C'est par la volonté conjointe de François Mitterrand et d'Helmut Kohl que la construction européenne est sortie de l'impasse dans laquelle elle s'était enlisée depuis la fin des années 1970. L'Acte unique fixe pour objectif l’achèvement du marché intérieur (l'effectivité des libertés de circulation accordées en droit depuis 1957 sous le nom de marché commun) à la fin de 1992. La Commission prévoyait en ce sens l'adoption d'environ 300 directives pour démanteler les barrières physiques, politiques et fiscales faisant obstacle à la libre circulation des marchandises, des services, des capitaux et des personnes (les quatre libertés fondamentales). Il introduit une procédure de décision pour l'harmonisation relative à l'établissement du marché intérieur par un vote à la majorité qualifiée du Conseil des ministres, à l'exclusion des questions fiscales et sociales. C'est le dernier traité européen à n'avoir connu aucun « incident » de ratification.
Dès le Traité de Maastricht dont la voie avait été ouverte par l'Acte Unique et qui ouvrait la voie à l'union économique et monétaire et à la citoyenneté européenne, les électeurs danois refuseront la ratification et le traité n'entrera en vigueur qu'après l'adoption de clauses opt-out pour le Danemark et la Grande-Bretagne.
Le Traité de l'Union Européenne sera plusieurs fois révisée par la réunion de conférences inter-gouvernementales (CIG), qui représentaient évidemment les intérêts des différents gouvernements nationaux (et donc en théorie leurs citoyens), mais introduisaient de fait pour les citoyens une distance avec les processus successifs de révisions, d'autant distant que toutes ces révisions s'illustraient par leur complexité technique.
Cette complexité technique, étrangère à la nécessité de transparence qui rend possible l'exercice de la souveraineté populaire, se doublait par ailleurs de choix politiques qui restreignaient chaque fois les champs d'action monétaires puis budgétaires des États-Nations, sans que jamais la légitimité politique ne se retrouve au niveau européen.
Dès le traité d'Amsterdam, les principes de convergences pour accomplir la monnaie unique sont inscrits comme carcan des budgets européens ; le Parti Socialiste s'était d'ailleurs prononcé contre sa ratification en mars 1996, mais déjà le gouvernement de Lionel Jospin s'était plié, dès sa constitution, aux engagements pris peu de mois avant par le gouvernement Juppé.
L'élargissement accéléré au États d'Europe centrale et orientale nécessitait une nouvelle révision pour adapter les institutions européennes ; mais la CIG (1999-2000) qui aboutit au traité de Nice accoucha d'une souris qui fut rejeté en tant que tel par les Irlandais, avant qu'ils ne soient forcés de revoter.
L'impasse démocratique était évidente et la nécessité d'y répondre et de rendre intelligible conduisit à la réunion d'une Convention pour l'avenir de l'Europe (2002-2003). Mais là-encore, ce fut une occasion manquée. Présidée par Valéry Giscard-d'Estaing, elle avait pour net handicap d'avoir été constituée de bric et de broc et de ne représenter les citoyens que de manière très indirecte. Là où une assemblée constituante, réclamée de nombreuses fois par les socialistes, aurait sans doute apporté des résultats, cette convention à la faible légitimité déboucha sur un nouveau texte complexe, auquel son président ajouta sans débat une IIIème partie qui inscrivait dans le long terme l'orientation néo-libérale donnée aux politiques communes. Cet abus fut avalisé par les gouvernements européens.
Tout le processus fut sanctionné par les référendums négatifs en France et au Pays-Bas (2005) ; ce sont majoritairement les électeurs de la gauche française qui s'opposèrent d'ailleurs le plus fortement au TCE le 29 mai 2005. Incapable d'envisager un plan B, les gouvernements conservateurs s'accordèrent sur le traité de Lisbonne copie conforme du TCE en lui faisant éviter au maximum les voies référendaires. Ainsi, le Parlement français ratifia-t-il en 2008 un traité européen que les Français avaient rejeté 3 ans plus tôt.
Il n'est pas étonnant dans ces conditions – quelle que soit l'analyse que l'on porte sur ces deux derniers textes et quels qu'aient pu être les votes des uns et autres le 29 mai 2005 – que les citoyens européens se sentent de plus en plus éloignés de la construction européenne. Les Français mais nombre d'Européens considèrent désormais que l'Europe se bâtit dans leur dos, sur des bases dont ils discutent le bien fondé, avec le sentiment de plus en plus net que quel que soit leur choix politique dans leur pays, la voie actuelle de la construction européenne contrecarrera toute volonté de changement.
Cette prise de distance est très nette à gauche et elle renforce également les impostures politiques portées par les partis populistes xénophobes.
Loin de chercher à dépasser par le haut cette situation, alors que la crise financière qui menaçait de mettre à bas l'union monétaire aurait nécessité une rupture avec les erreurs du passé, Nicolas Sarkozy, Angela Merkel et José Manuel Barroso ont préféré renforcer les modes de fonctionnement inter-gouvernementaux qui avaient déjà échoué en rédigeant et signant le TSCG.
[...]
3.d- Le cas de Chypre, une Europe qui n'a pas encore tiré enseignement de ses erreurs ?
L'affaire de Chypre est particulièrement grave à nos yeux. Pour la première fois, le soutien de l'Union Européenne est soumis à la taxation des avoirs des déposants chypriotes, sans que soient forcément garantis comme cela a été annoncé pour toute l'UE les dépôts en dessous de 100 000 €. Il y a eu deux poids deux mesures, n'en déplaisent à ceux qui ont argumenté sur le fait qu'il s'agissait de fiscalité nationale, prétextant également après coup que c'était une première étape dans la lutte contre les paradis fiscaux et le blanchiment ; s'il ne s'était agi que de cela nous aurions applaudi tant l'Europe a tergiversé dans ce domaine.
Le coup était trop rude et le coût imposé aux citoyens chypriotes étaient insupportables, ne pouvant qu'encourager en leur sein des opinions europhobes, risquant également de jeter un État membre de l'Union Européenne dans les bras de la Russie de Poutine, visée par le plan et prête à subventionner Chypre plutôt que de voir amoindrir ses intérêts.
Mario Draghi a choisi la force, avec l'accord de l'Eurogroupe, pour obliger le gouvernement, le parlement et le peuple chypriotes à accepter le plan de sauvetage de l'UE et du FMI.
Après avoir «pris acte» du rejet du plan d'aide par Nicosie, la BCE a sorti son arme de dissuasion massive: le blocus monétaire. Une arme encore jamais utilisée dans la crise de l'euro. L'institution monétaire a prévenu qu'elle n'alimenterait plus les banques chypriotes en liquidités tant que le plan de sauvetage UE-FMI ne serait pas accepté.
C'est la première fois que la BCE brandit ouvertement cette arme de l'asphyxie financière pour faire accepter un plan de sauvetage européen. Face à un tel déploiement de force, le ministre des Finances chypriote et le gouverneur de la banque centrale de l'île n'ont pas d'autre choix que de laisser les banques fermées jusqu'à nouvel ordre… car S'ils ouvraient les banques maintenant, alors que la BCE bloque l'accès aux liquidités, les gens se rueraient sur les guichets. Mais faute de billets suffisants, ils risquent de ne pouvoir retirer leurs avoirs.
Le plan B chypriote est une grande illusion : il est fondé sur l'illusion d'obtenir un nouveau prêt gagé que les actifs existants de l'île (entreprises publics, biens de l'église...) et sur les actifs futurs incertains (ressources gazières). Tout cela pour 6 milliards d'euros (1/3 du PIB). Or, la dette publique de Chypre est déjà à un niveau équivalent à son PIB (17 milliards d'euros). A cela se rajoute les 10 milliards de prêt de l'UE. Chypre aurait donc un endettement de 200 % de son PIB. Un tel niveau d'endettement implique que tous les actifs de l'île sont déjà mis en gage. Il n'y a donc pas de ressources nouvelles à exploiter. Quant au gaz, encore faudrait-il que son exploitation génère une véritable nouvelle ressource publique, ce qui n'est pas garanti, à moins d'un taux de taxation qui risquerait de rendre l'exploitation gazière non rentable.
Au total, le plan B du gouvernement chypriote revient à faire payer la faillite de son secteur bancaire par les contribuables au lieu de faire payer les créanciers. Ceci afin de sauver un modèle économique insoutenable fondé sur une hypertrophie de son secteur financier. Il paraît clair que si ce plan était adopté par le Parlement, Chypre serait amené à sortir de la zone euro et à procéder à une dévaluation... ce qui entraînerait immédiatement une perte pour les épargnants supérieure à celle qui était envisagée par le plan A négocié avec l'UE. En voulant éviter la peste, Chypre risque de choisir le choléra.
Le plan finalement adopté par le Parlement chypriote sous pression de la Commission peut être considéré comme un plan C. Il consiste à préserver les épargnants qui possèdent un compte de moins de 100 000 euros et à faire porter sur les gros épargnants (souvent étrangers) une partie du sauvetage du système bancaire chypriote pour un montant de 6 à 7 milliards d'euros. Cependant, il ne faut pas oublier que l'essentiel de l'effort sera fait par les contribuables, les salariés du privé et des fonctionnaires, puisque la majorité du plan de sauvetage (10 milliards d'euros) sera financé par la dette publique.
In fine, la séquence chypriote est un désastre. Même si le système bancaire de ce petit pays tient debout, on n’a pas fini de mesurer les effets secondaires: l’Union européenne noyée dans l'improvisation, la montée d'un ressentiment anti-allemand en Europe, Berlin qui s’énerve de payer pour les petits, et puis le fossé béant entre les peuples et les gouvernants…
Mais l'affaire chypriote, c'est aussi un festival de mauvaise foi. A Bruxelles d’abord. On nous a parlé de « plan d'urgence » pour une « économie casino », comme Pierre Moscovici le 24 mars. Mais on connaît depuis longtemps les travers de Chypre, ses banques gonflées à l’hélium ! La vérité, c'est que ce pays n'aurait jamais dû entrer dans l'Union européenne. Seulement, faute d'une vraie intégration bancaire et fiscale, on a fermé les yeux sur ce paradis toxique. Et la situation s’est encore aggravée à cause de la crise grecque voisine.
C’est à cause de cette tolérance passée que le gouvernement chypriote a aussi été de mauvaise foi. Il a foncé à Moscou pour réclamer des fonds. Comme si personne n'avait prévenu Nicosie : l'Union européenne, ce n'est pas à la carte. On est dedans ou dehors.
Et puis, il y a la Russie.
Dernière mauvaise foi olympique ! Ses dirigeants sont en colère car on ne leur avait pas annoncé la taxe sur les dépôts. Mais encore heureux ! Sinon, les 20 milliards de dollars russes déposés à Chypre se seraient envolés vers un autre refuge, et il y en a plein ! Et puis, on n'a pas toujours connu Vladimir Poutine aussi passionné par la défense de la propriété privée. Par exemple, lorsque le groupe pétrolier Ioukos a été dépecé et son patron, Mikhaïl Khodorkovski, emprisonné.
Les intentions de Bruxelles étaient correctes : assainir le système bancaire chypriote, éviter une contamination à d’autres pays, et faire contribuer les gros épargnants était nécessaire. Mais la méthode est indéfendable. C’est une contre-publicité terrifiante pour l'UE, alors que les observateurs vantaient une sortie de la tempête financière. Dans sa formule initiale, le plan de l’UE visait l'épargne des petits épargnants, et pas seulement les grandes fortunes étrangères.
Peu importe au fond si l’idée venait de Bruxelles ou de Nicosie. Elle aurait dû être écartée tout de suite. L'UE a ébréché d'un seul mouvement deux de ses piliers : la confiance et le droit de propriété. La confiance vient du fait que nos sociétés européennes sont bâties sur l'État de droit, et non sur l’arbitraire. Ça veut dire les mêmes droits pour tous. Or on porte un coup à cette confiance en violant le droit de propriété, une sécurité fondamentale qui nous différencie, par exemple, de la Russie. C'est une atteinte à notre culture juridique. Le dimanche 24 mars, Pierre Moscovici parlait de mauvaise communication. C’est malheureusement bien plus grave que ça. L’Europe a trahi sa parole et affecté sa crédibilité.
I.4. La construction européenne est en train de perdre la « bataille culturelle » :
Plus que jamais les peuples et les citoyens considèrent que la construction européenne se fait au mieux sans les consulter, mais de plus en plus fréquemment emprunte des voies auxquelles ils sont opposés ou qu'ils considèrent comme contraire à leurs intérêts (c'est d'ailleurs souvent le cas).
Conjugué à la durée et la dureté des crises financières, économiques et sociales, auxquelles font face presque tous les pays de l'Union, les solutions proposées par les gouvernements, la Commission et la BCE aggravant par ailleurs le mal, les réflexes populistes, mais plus souvent encore nationalistes et xénophobes prennent le dessus.
À moyen terme, c'est l'idée même de construction européenne qui va être mise en cause par les Européens eux-mêmes, avec le risque évident que « le bébé soit jeté avec l'eau du bain » et que le continent entre dans une période de tensions politiques, économiques et sociales jamais connue depuis les années 1930.
II- Pour sortir de l'impasse, osons une stratégie de rupture !
II.1. La crise de la sociale-démocratie européenne :
La sociale-démocratie européenne est en crise. Les partis socialistes, sociaux-démocrates ou travaillistes dans l'Union Européenne étaient majoritaires dans les gouvernements européens à la fin des années 1990 ; ils sont aujourd'hui une poignée et les possibilités de voir les gouvernements français, belge (coalition baroque) et danois être rejoints dans un proche avenir sont faibles.
1.a- Un modèle théorique épuisé :
Mais cette bérézina électorale a été précédée de l'épuisement d'un modèle et d'une pensée. On a toujours opposé la tradition du socialisme républicain français au modèle social-démocrate européen nordique, supposé plus efficace. Pourtant, il comporte en son sein les éléments de rebond efficaces pour sortir de la crise actuelle, concomitante de l'épuisement de ce fameux modèle. Le discours qui a voulu imposer l'idée que le socialisme français – appuyé sur le rôle de l’État, des services publics et de l'intervention plus ou moins directe de la puissance publique dans l'économie – était caduque ou archaïque correspond également à cette période d’affaiblissement majeur du mouvement socialiste et social-démocrate en Europe.
Cette crise est lourde et durable car structurelle.
Le projet social-démocrate nordique est né dans l'immédiat après-guerre, anticipé de peu par les sociaux-démocrates suédois. Il a été triomphant à la fin des années 1960 et dans les années 1970, en Allemagne et en Europe du Nord, avec des formes différentes adaptées à chaque États-Nations. Or ce n'était pas un modèle idéologique autonome, mais un entre-deux, un juste milieu, la réponse que ces pays d'Europe occidentale avaient trouvé entre le modèle capitaliste américain et le modèle totalitaire soviétique. Dans les débats qui ont pu opposer socialistes français et sociaux-démocrates nordiques, ils ne revendiquaient d'ailleurs pas l'idéologie : nous étions les idéologiques et eux les « pragmatiques », ceux qui défendaient le juste équilibre, l'idée française d'une autonomie politique vis-à-vis des États-Unis apparaissant par ailleurs comme une aberration.
Le congrès de Bad Godesberg a cependant esquissé la théorisation de ce pragmatisme : il s'agissait de construire un compromis entre le monde du travail et celui du capital, détenteur du pouvoir dans l'entreprise, de privilégier la négociation sociale (contrat) à l'intervention directe du politique (loi) dans le champ économique et social. L’État était donc réduit à un rôle de régulateur, prélevant et redistribuant (et la force du modèle nordique est évidemment l'ampleur de cette redistribution sociale organisée), plutôt qu'un État acteur et organisateur de l'économie. La régulation du marché était par ailleurs légère. Cette économie sociale de marché, ce compromis bâti avec la démocratie chrétienne n'était pas une alternative au modèle dominant mais une évolution plus sociale du modèle dominant et inégalitaire.
Ce modèle ne peut plus fonctionner. Il s'était construit et fonctionnait dans un équilibre, à la suite d'un rapport de force au sein de l'État-Nation, lorsque les résultats électoraux en leur sein participaient également des variations du rapport de force capital-travail. Cadre dans lequel le « rapport de classes », le rapport de force dans l'entreprise était organisable sans que l'on ait besoin d'être détenteur du capital.
Le socialisme jauressien découle lui du fait républicain qui est un fait politique avant d'être un fait social, qui pose l'égalité des citoyens comme principe du contrat politique et social. Le grand apport du socialisme, qui n'est pas opposable mais complémentaire de la sociale-démocratie nordique, était d'expliquer que ce concept d'égalité civique n'était pas limité au politique mais devait s'étendre au social : ainsi le socialisme républicain est rédhibitoire avec tout ce qui organise l'exploitation ou justifie les inégalités. L’État / la puissance publique doit être l'incarnation de l'intérêt général : doit être car il ne l'est pas spontanément et cela dépend du rapport de force politique et social. L'intervention économique de la puissance publique ne saurait être le seul levier mais saurait être disqualifiée en soi : c'est notre conception des services publics et de l'économie mixte, qui n'est pas l'économie sociale de marché… dans ce cadre, le capital est parfois public, parfois socialisé, coopératif ou mutualiste, parfois privé.
La crise du capitalisme mondialisé, qui découle de la vision libérale de la mondialisation, doit nous inciter à revenir sur la question de l'économie mixte, de la capacité et de la pertinence à nous réinvestir sur le capital et la nature de la propriété de certains moyens de production, pour reconstruire un rapport de force nouveau, alors que la sociale-démocratie n'est plus en mesure de répondre avec ses modèles historiques.
La grande force de la sociale-démocratie – notre grande faiblesse – a été d'incarner le rapport de force social : c’était le parti des syndicats, parfois issu des syndicats (le Labour Party) et du monde du travail unifié dans de grandes organisations syndicales, corollaires des grandes organisations de production, des grandes structures industrielles – dont nous n'avons jamais vraiment eu d'équivalent en France. Or l'émiettement du monde du travail percute de plein fouet la sociale-démocratie dans son rapport à celui-ci. Elle n'est plus en mesure de le représenter et il ne se reconnaît plus dans nos partis nationaux.
C'est aussi la conséquence de choix politiques concrets plus encore que de questions idéologiques. Quand les sociaux-démocrates assuraient ce «juste milieu» entre la peur du communisme soviétisé et la pression «amicale» du capitalisme américain, l'équilibre pouvait fonctionner. Mais la Chute du Mur et la disparition de la menace militaire soviétique a fait enfourcher à toute la sociale-démocratie européenne, en partie par tropisme atlantiste, l'idéologie néo-libérale, que nous avons rebaptisé pudiquement social-libéralisme. La transformation des anciens partis communistes d'Europe de l'Est a été encore plus radicale, n'ayant aucune autre référence historique qu'un modèle discrédité, qui n'a jamais été du socialisme. L'effet sur des sociétés blessées n'en a été que plus grave encore.
Les plus âpres défenseurs de l'entrée de la capitalisation dans les systèmes de retraite par répartition étaient dans nos rangs. Blair, après avoir rompu avec les Trade Unions pour séduire une partie des classes moyennes supérieures thatchériennes, a théorisé tous les renoncements, sur fond de caricature collectiviste du socialisme français, promouvant l'individu qui n'avait pas pourtant jamais été absent de la réflexion socialiste.
Il nous faut aujourd'hui porter des ruptures pratiques avec les 20 ans de social-libéralisme ; les méthodes peuvent être rénovées (primaires) mais cela ne suffit pas pour remobiliser les catégories populaires et moyennes dans un projet positif de conquêtes.
Une étude du milieu des années 2000 de la Friedrich-Ebert Stiftung, qui n'est pourtant pas connu pour son côté populiste et révolutionnaire, décrivait le caractère « arrivé » des responsables SPD. Issus de trois générations militantes, ils auraient oublié leurs racines ouvrières, bardés de diplômes, que n'avaient pas forcément leurs prédécesseurs, ils y sont décrits comme ne considérant plus indispensable toute une série de solidarités collectives ; La société des socialistes (2006, Sawicki-Lefebvre) décrit également les travers comparables un appareil sclérosé et peuplé de cadres politiques qui n'ont plus forcément d'expérience sensible de la réalité et des difficultés vécues par nos concitoyens des classes populaires et moyennes que nous sommes censés défendre et représenter. Le discours entendu sur la valorisation de l'individu dans ce cadre est biaisé car on n'oublie qu'elle est possible uniquement possible dans un cadre où les solidarités collectives et les droits fondamentaux sont forts et garantis.
Illustrons notre propos par deux exemples essentiels au cœur des débats de la sociale-démocratie européenne.
1) la sécurité sociale professionnelle :
Tout le monde vante les mérites du système danois, ce qui n'a pas empêché nos camarades sociaux-démocrates d'essuyer de nombreuses défaites dans les années 2000 et de n'aboutir qu'à une victoire étriquée en 2011. Il faut prendre en compte ce que rapportent les syndicalistes danois : l'alternative entre indemnisation et travail attaque l'identité profonde du travailleur danois, qui votait social-démocrate, car il se conçoit d'abord comme un travailleur là où un Français se conçoit prioritairement comme un citoyen). Lorsqu'il est indemnisé, il perd son identité sociale, d'acteur de l'entreprise et du progrès collectif, capable de négocier sa force de travail, pour n'être plus qu'une fonction dont on use uniquement lorsqu'on en a besoin. Son existence sociale n'est plus reconnue en tant que telle.
Nous ne pouvons plus continuer dans l'idée que l'indemnité et la survie physique est suffisante pour compenser l'identité et le rôle social des travailleurs et de tous ceux qui aspirent à l'être. D'une certaine manière, nous avons été confrontés à un phénomène comparable avec le RMI puis le RSA. La solidarité et l'assistance sociale sont nécessaires mais il est indispensable de construction une société et des rapports de production qui assurent le travail et l'emploi. Sarkozy a su parfaitement surfer lors de la campagne électorale de 2007 sur notre incapacité d'alors à produire de la reconnaissance sociale de la place de l'individu dans le monde de la production, comme dans celui de la citoyenneté.
2) la construction européenne :
Le drame de la construction européenne est que rien n'a remplacé les États-Nations comme cadre du compromis social, ou de l'intervention de la puissance publique dans l'économie. L'espace politique européen est totalement insuffisant face au grand marché et alors que l'on nous demande toujours d'attendre une Europe sociale qui ne vient pas. Cette Europe sociale ne peut émerger spontanément car les formes de la régulation sociale sont devenues antinomiques avec les solutions prônées par les troisièmes voies libérales et sociales-libérales : retraites par répartition, assurance maladie solidaire, droit du travail forcément protecteur des salariés pour contraindre le patronat… Depuis les mesures Schröder, l'essentiel des cadres syndicaux ont quitté le SPD ; il n'y a plus un seul délégué syndical dans le groupe parlementaire SPD ; ces derniers ont d'ailleurs quasiment disparu de l'appareil politique.
Schröder et ont théorisé la baisse des indemnités chômage pour « lutter contre l'assistanat ». Depuis que la gauche a inventé ce type de critiques contre elle-même, les droites européennes ne font que les répéter et les décliner.
Si les partis sociaux-démocrates d'Europe centrale se sont par ailleurs tous effondrés c'est qu'ils ont été les plus actifs et les plus radicaux pour mettre en œuvre cette troisième sociale-libérale, dans des pays où ils représentaient finalement une certaine modération après les « thérapies de choc » du début des années 1990. Sauf qu'ils ont été les plus frappés dès que les premiers bugs de la mondialisation financière sont intervenus et que l'alternative n'était plus composée que de partis conservateurs, parfois nationalistes et crypto-fascisant comme en Hongrie.
Il y a donc urgence à reconstruire un projet commun qui tranche avec ce modèle social-démocrate épuisé et dévoyé en social-libéralisme. Ne donnons pas de leçons, mais revendiquons fièrement notre modèle républicain pour créer avec nos camarades une nouvelle synthèse dynamique qui permettra de sortir de la crise.
1.b- Une stratégie politique dans l'impasse :
La construction européenne s'est historiquement construite sur un compromis entre une démocratie chrétienne qui avait accepté la nécessité du compromis social, pour éviter les conflits intérieurs qui furent source des fascismes, et une sociale-démocratie qui se concevait comme le « juste milieu » entre les modèle soviétique et américain. La reconstruction européenne s'est déroulée dans ce cadre, avec l'idée qu'il fallait réconcilier des peuples qui s'étaient violemment affrontés à plusieurs reprises, en créant au sein d'une de ses nations les plus avancées et les plus cultivées les ferment de la barbarie nazie et d'une déshumanisation totale.
La paix et le développement était le ciment de la construction européenne ; le compromis et la coalition entre sociaux-démocrates et démocrates chrétiens en étaient le moteur politique. Ce compromis s'illustrait par l'alternance des présidences du parlement européen. Cette alternance s'est maintenue, alors qu'elle est politiquement anachronique et contre-productive.
Or, après près de 70 années de paix à l'ouest, 24 ans après la chute du Mur et malgré les guerres yougoslaves, tout ne peut pas être sacrifié sur l'autel de la «Paix européenne» ; c'est une réalité vécue par des millions de citoyens qui sont nés avec et qui ne peut pas maquiller les sacrifices économiques et sociaux qu'on leur impose aujourd'hui. C'est bien là toute l'ambigüité du prix Nobel qui a été accordée à l'Union Européenne.
Les droites européennes se sont transformées sous l'effet de la mondialisation libérale et de la révolution reagano-thatchérienne, en parallèle avec l'épuisement du modèle social-démocrate nordique. Les chantres du social-libéralisme ont pêché par naïveté, leur ligne politique les incitait à s'entendre avec ceux dont ils partageaient le discours économique néo-libéral. Les conservateurs et les néo-conservateurs ont poussé leur avantage au maximum.
Le PPE ce n'est plus les « gentils » démocrates-chrétiens des années 50-70 avec qui la sociale-démocratie avait conclu un compromis pour permettre la construction européenne. Le PPE, s'il n'est pas plus uni que le PSE, c'est aujourd’hui un rassemblement de conservateurs qui impose ses conditions et parfois couve en son sein des acteurs particulièrement réactionnaires et nationalistes.
Gauchir artificiellement les discours pré-électoraux n'est pas en soi une solution, on le voit bien avec le décrochage dans les intentions de vote de Peer Steinbrück, candidat SPD à la chancellerie. Les électeurs allemands ne peuvent avoir confiance en un candidat qui n'est pas en phase avec le programme de son parti et qui n'est pas clair non plus sur la stratégie d'alliance qu'il adoptera.
Si la gauche européenne veut être en mesure de proposer une alternative sérieuse aux libéraux et aux conservateurs, elle doit analyser sincèrement les raisons de son échec et résoudre la question de sa ligne politique et de sa stratégie d'alliance. Affirmons donc clairement qu'il n'est plus possible de cogérer le Parlement européen avec le PPE, qu'il n'est plus possible de s'entendre avec les gouvernements conservateurs pour avaliser une Commission européenne mi-chèvre, mi-chou où notre naïveté et parfois notre abdication politique servent de caution à un agenda économiquement néo-libéral et socialement conservateur si ce n'est réactionnaire.
Nos alliés naturels sont ceux de la gauche européenne et des écologistes, c'est avec eux qu'il faut tenter de construire une majorité au parlement européen et de porter un candidat à la Présidence de la commission, qui sera capable de présenter une équipe de Commissaires politiquement cohérente.
II.2. On ne peut plus dire : « Et maintenant, l'Europe sociale ! » :
Le PS ne peut pas raconter une nouvelle fois aux Français que l'Europe sociale sera la prochaine étape et qu'il faudra encore une fois être patient, que les efforts consentis une fois encore vers plus de rigueur économique, de libéralisation des marchés, de pertes de souveraineté populaire nationale non compensées au niveau européen, seront récompensés par une nouvelle étape plus juste (Les Français ne sont plus des serfs médiévaux crédules).
Le socialistes qu'ils soient au gouvernement ou qu'ils exercent des responsabilités partisanes doivent cesser de porter le complexe du minoritaire :
- quand on est au gouvernement avec nos interlocuteurs intergouvernementaux : le « discours de Strasbourg » n'était qu'un prélude à l'acceptation du mauvais compromis budgétaire du sommet de Bruxelles ;
- quand on est avec nos camarades du PSE, la délégation du PS français considérant que nous serons de toute façon minoritaires et préfère adopter ce qu'elle croit être la posture du compromis pour reculer à nouveau. Nous avions quelque peu rompu avec cette mauvaise pratique sous la direction de Martine Aubry, ce qui avait conduit à une évolution certaine des positions du PSE sous la présidence de Poul Nyrup Rassmussen. Il n'est pas possible de reprendre une attitude effacée, alors que les enjeux n'ont jamais été aussi fort.
On peut avoir plusieurs lectures du discours que François Hollande a prononcé mardi 5 février pour la première fois devant le Parlement européen de Strasbourg, deux jours avant le sommet de Bruxelles où l'adoption du budget de l'UE pour la période 2014-2020 a conduit à un budget de récession.
D'aucuns y verront la poursuite de la stratégie des petits pas qu'il aurait commencé à mettre en œuvre depuis son élection le 6 mai dernier pour la réorientation de l'Europe et qui a abouti au Pacte de Croissance, complément qui aurait à lui seul justifier que la France ratifie le traité Merkozy et qu'on force les députés socialistes à voter un texte qu'ils avaient combattu pendant la campagne des élections législatives... au demeurant, on peine toujours à identifier la concrétisation du pacte en question...
A l'appui de cette thèse, plusieurs passages de son allocution, qui expliquent que la généralisation et la stratification des politiques d'austérité vont mettre à mal la construction européenne en en éloignant les citoyens :
- "L'intérêt national est en train de prendre le pas sur l'intérêt européen. (...) S'il est vrai que la crise de la zone euro est désormais largement derrière nous, nous sommes loin d'en avoir tiré toutes les conséquences. Ce qui nous menace n'est plus la défiance des marchés mais c'est celle des peuples."
- "Faire des économies oui, affaiblir l'économie non !"
- "L'Europe laisse sa monnaie, l'euro, vulnérable à des évolutions irrationnelles dans un sens ou dans un autre (...) Une zone monétaire doit avoir une politique de change sinon elle se voit imposer une parité qui ne correspond pas à l'état réel de son économie".
- "Pour l'avenir, de véritables ressources propres seront indispensables, sinon c'est la construction européenne qui se trouvera remise en cause."
Certains voient également dans son intervention la démonstration que la France rentrera avec détermination dans le débat de l'intégration politique et l'efficacité européenne :
- "Depuis trop longtemps, l'Europe doute d'elle-même, hésite sur ces choix. Elle met trop de temps à prendre des décisions majeures", il serait donc temps d'ouvrir un "grand chantier de la réforme de la politique économique et monétaire dans l'UE".
- "L'Europe met trop de temps à prendre les décisions majeures, et trop peu à réfléchir à ses orientations et à son architecture d'ensemble", la solution serait donc dans les coopérations renforcées transcendées par le concept d'"une Europe différenciée qui ne serait pas une Europe à deux vitesses, ni une Europe à la carte."
Pourtant, sur ce dernier sujet, si la "défiance des peuples" est enfin clairement dite par un chef d’État devant le Parlement européen, on peine à identifier précisément qu'elle est la pensée institutionnelle du Président de la République et où est réinsérer le nécessaire rétablissement de la souveraineté populaire dans la construction européenne.
Mais surtout, François Hollande étaye de peu de choses concrètes son intervention et donc le cœur de son propos ne peut qu'être renvoyé à l'urgence du moment qui est la négociation des perspectives financières 2014-2020 et du budget européen. Or, si on lit bien son discours, le Président retombe dans la naïveté ou la pusillanimité qui a trop souvent affecté les socialistes français lorsqu'ils doivent se confronter à des gouvernements européens libéraux-conservateurs ou à leurs propres camarades socialistes européens : un complexe du minoritaire tellement intégré, qu'ils vont à la négociation en proposant ce qui leur paraît être déjà un compromis, et donc contraints tôt ou tard de reculer sur le compromis.
Ainsi, alors que le budget européen - qui implique une partie de la réussite de la construction européenne (politique de cohésion, investissements d'avenir, politique agricole...) et s'incarne dans des programmes "populaires" comme Erasmus - est sous pression des suédois, des allemands, des néerlandais et des britanniques, qui exigent des coupes radicale, le Président Hollande accepte de fait le terrain de ces adversaires.
Que vaut la revendication "de véritables ressources propres" à l'avenir pour le budget communautaire face à un "Faire des économies oui" ? Comment ne pas comprendre que cette affirmation "Un compromis sur le budget européen est possible mais il faudra raisonner les pays européens qui veulent aller au-delà de ce qui est raisonnable dans les coupes." implique qu'il a accepté des coupes budgétaires, dont il ne s'agit plus que de discuter du caractère raisonnable.
Non, au milieu de la crise économique, alors que la cohésion européenne est en cause, le budget européen devrait augmenter pour ne pas aggraver les logiques d'austérité partout à l’œuvre à l'échelle nationale. Il n'est pas cohérent, il n'est pas politiquement efficace car illisible, de dénoncer l'austérité d'une main, pour s'y résoudre de l'autre dans la négociation budgétaire...
III- L'Europe que nous voulons et qui ne peut plus être reportée à des lendemains qui chantent
III.1. Créer les conditions pour sortir de la crise :
1.a- Un budget européen pour la croissance :
L'Union ne passera pas de cap nouveau à budget européen constant. Elle doit se donner les moyens de ses ambitions. Le budget européen doit devenir fédéral, pouvoir recourir à l'emprunt, et ses recettes ne peuvent pas continuer à être constituées des seules contributions des États.
Sans refondation complète de l'instrument budgétaire, sans reconquête politique et démocratique de cet instrument, il n'existe pas de perspective d'une «Europe non libérale».
Le budget de l'UE (2011) représente 1,01% du PIB de l'Union européenne (inférieur aux prévisions du cadre financier 2007-2013). C'est inférieur au budgets européens des années 2000-2006 alors que l'UE a dû faire face à un élargissement bien plus important que les précédents en 2004 puis 2007.
La France et d'autres États n'ont cessé de le conduire dans une logique de réduction en renationalisant l'essentiel des politiques économiques (jusqu'à la crise des dettes souveraines et de l'euro) et des grandes politiques communes. Cette orientation absurde met en cause notre avenir ; le budget actuel est trop réduit pour prétendre financer l'élargissement.
Bien au contraire, nous nous prononçons pour une augmentation de ce budget européen.
L'élément central d'une telle reconquête doit être la création d'un impôt européen, voté par le Parlement Européen, pour que se substitue à la logique des transferts entre pays celle des transferts entre contribuables (entreprises et citoyens).
Le maintien de politiques fiscales nationales au sein de la zone euro est une spécificité économique : il n'existe aucun autre exemple de zone monétaire sans règle commune. De ce fait, les États de l'UE s'inscrivent dans une logique de défiscalisation compétitive. Les Socialistes doivent initier un projet européen fiscal, fondé sur la détermination de règles d'harmonisation et sur le transfert des impôts nationaux vers des impôts européens, au service d'un budget européen.
L'UE doit recourir à l'emprunt pour financer ses grands investissements, l'élargissement, et lutter contre les inégalités territoriales et sociales. L'emprunt, comme instrument majeur du développement et de la croissance en Europe, s'impose comme la contrepartie logique à la mise en œuvre de l'harmonisation fiscale et sociale.
L'UE doit d'autant plus s'engager sur cette voie que l'endettement de nombre des États a considérablement limité leur capacité d'intervention pour qu'ils puissent sauver le système bancaire entre 2008 et 2010 et faire face aux conséquences économiques et sociales de la crise.
1.b- Assumer clairement et institutionnellement le changement de priorités et d'orientations de la BCE :
L'Europe doit constituer le cadre des socialistes pour promouvoir la lutte contre le règne du marché et du libéralisme économique. De ce point de vue, le statut de la BCE est pour nous une aberration. En guise d'indépendance, la BCE fait aujourd'hui allégeance aux dogmes libéraux. A travers ses objectifs et son statut, elle est l'outil du marché et non l'outil du politique. La réforme de la politique monétaire européenne et des statuts de la BCE doivent devenir un objectif majeur des socialistes européens. La croissance et l'emploi doivent être les objectifs prioritaires de la politique monétaire dans le respect de la recherche d'une inflation limitée. Il doit être mis fin à des modalités d'indépendance de la BCE, sans aucun équivalent dans le monde. Les socialistes doivent promouvoir l'idée d'une BCE responsable devant les institutions communautaires.
La BCE doit se comporter comme une banque centrale et ne pas s'interdire d'agir comme ses homologues américaines et chinoises pour faire de la monnaie un outil économique : la BCE rachèterait-elle également des titres publics, comme l’a fait récemment la Banque centrale américaine ? Il s’agit sans doute du moyen le plus efficace pour détendre sérieusement les tensions sur les taux sur le marché des emprunts d'État.
1.c- des politiques communes au service du développement et de la solidarité européenne (politique de cohésion, PAC) :
Restaurer l'efficacité de la politique de cohésion
Les élargissements ont été mal accompagnés par un affaiblissement de la politique de la cohésion. Or cette politique était un outil fondateur de la construction européenne qui permet de réduire les disparités sociales et territoriales de l'Union. Sans cet effort fondamental le fonctionnement du marché européen ne peut qu'aggraver les inégalités, mettre en concurrence territoires et travailleurs et in fine nourrir la défiance des populations à l'encontre du projet européen.
L'échec annoncé de la stratégie de Lisbonne appliquée à la politique de cohésion impose donc une refondation majeure de ce pilier des politiques de l'Union.
La politique de cohésion doit retrouver son orientation originelle, en conformité avec les principes établis dans les traités européens. L'objectif est bien de « réduire l'écart entre les niveaux de développement des diverses régions et le retard des régions les moins favorisées ». La contradiction avec la stratégie de Lisbonne est évidente puisque celle-ci parie sur le seul renforcement de la compétitivité. Les fonds de la politique de cohésion ne sauraient être mise au service d'une telle stratégie, mais doivent s'orienter clairement dans une mission de rattrapage économique. Les régions compétitives peuvent renforcer leurs atouts sans l'intervention de la politique de cohésion qui doit au contraire nourrir un développement endogène durable, qui profiterait en retour à l'ensemble des populations et des territoires de l'Union.
Une politique de cohésion refondée doit pouvoir s’appuyer sur de nouvelles perspectives financières plus ambitieuses (les crédits étaient à la baisse de 2007 à 2013), une coordination des politiques économiques, un renforcement de l’administration européenne et un renforcement des pouvoirs d’initiative et de contrôle du Parlement européen.
Pour une réforme progressiste de la PAC
Aucune politique agricole depuis que l’Europe existe n’a inversé la tendance à la diminution des emplois. Est-ce à dire pour autant que nous nous résignons à la disparition d’un pan entier de notre civilisation ? Ce choix, subi ou voulu, va-t-il permettre à d’autres pays dans le monde de se positionner utilement dans le commerce international ? Quelle est notre stratégie pour l’autosuffisance alimentaire des pays en développement ? Que devient notre sécurité alimentaire ?
L’agriculture européenne est confrontée à une grave alternative : poursuivre son industrialisation, faire de la production un « minerai » exploité à bas prix ; ou bien s’intégrer dans un projet de société au service des personnes et des territoires. Le temps joue en faveur du 1er scénario.
L’Europe tourne le dos à son agriculture. Les prix à la production sont en chute libre et la compensation publique n’est que partielle.
Le revenu d’un agriculteur sur deux n’atteint pas le niveau du SMIC. Les marges de manœuvre pour de nouveaux investissements sont nulles. Le double effet de la concentration des élevages et de la concurrence déloyale ne met pas la production à l’abri des délocalisations.
La PAC a été progressivement détricotée depuis les années 1980 ; en 2013, sa réforme sera l’un des dossiers européens les plus urgents. Les socialistes européens doivent travailler à des propositions politiques fortes :
- À budget constant, l'UE ne peut faire une réforme positive de la PAC. Le poids de la PAC dans le budget communautaire (45%) est un héritage à dépasse
1.d- une stratégie pour la défense et l'innovation de l'industrie européenne :
L'Union doit également investir puissamment dans les secteurs d'avenir, en particulier dans les activités à haute valeur ajoutée de la nouvelle économie de la connaissance et développer une politique industrielle. Elle doit définir et adopter, en lien avec les partenaires sociaux, des lignes directrices pluriannuelles en matière de politique industrielle. Celles-ci devraient comprendre des propositions d'action par secteur (création de synergies, de pôles de développement, spécialisation particulières..) Le programme Airbus et le lanceur Ariane ont fait de l'Union Européenne une des grandes puissances de l'aérospatiale. Nous pouvons espérer rééditer la performance avec le programme Galileo. Par ailleurs, une véritable politique industrielle doit également assurer une bonne gestion des secteurs plus traditionnels afin d'anticiper les restructurations et mettre en place à temps des programmes de reconversion des bassins industriels, en associant tous les acteurs concernés.
Donner un rôle économique et social à l'Europe lui permettra de faire un bond de géant en direction de la création d'une entité fédérale et permettra de relancer le moteur de la construction européenne.
1.e- poser les bases du «juste échange», arrêter d'être les dindons de la farce de la «mondialisation libérale» :
[...]
III.2. Remettre les citoyens au cœur de la construction européenne :
- Une intégration politique plus importante doit nécessairement être précédée d'un travail sur les valeurs communes et l'intérêt général entre Européens, ce qui ne peut se faire sous la pression d'une crise économique organisée ;
- La méthode intergouvernementale qui a échoué a été renforcée avec l'adoption du traité Merkozy ; la réaction du parlement européen sur le budget doit ouvrir d'autres perspectives permettant la restauration de la souveraineté populaire.
- Créons les conditions pour bâtir des majorités progressistes à l'échelle européenne, ne nous trompons pas sur la désignation de notre candidat à la Présidence de la Commission Européenne.