Les résultats du premier tour des élections cantonales du 20 mars 2011 doivent impérativement tirer le Parti socialiste du nombrilisme morbide, dans lequel la perspective de primaires ouvertes, l'attente de la candidature interne de poids lourds plus ou moins lointains et l'assurance du rejet de Nicolas Sarkozy par les Français l'avaient replongé.
S'il veut être au centre de l'alternative de gauche en 2012, le PS va devoir réagir et ne pas se laisser bercer par un certain confort des élections locales intermédiaires.
Quatre jalons électoraux à retenir
Il y a ceux qui - à gauche - regarderont les résultats du premier tour des cantonales avec contentement. Ils liront dans les résultats que la gauche parlementaire obtient 48,73 % des suffrages, contre une droite parlementaire à 32,06 % et - il est vrai -une remontée quelque peu désagréable du Front National à 15 %. Malheureusement la réalité du scrutin est moins accommodante.
Tout d'abord parce que l'abstention a atteint 55 % ce dimanche ; il est vrai que pour la première fois depuis longtemps, les élections cantonales n'étaient pas couplées avec un autre scrutin local (municipales ou régionales), cependant rappelons que les précédents scrutins de 2008 (Municipales), 2009 (Européennes) et 2010 (Régionales) n'ont pas particulièrement mobilisé les foules non plus et que la sanction enregistrée à chaque fois (en 2009, c'est Europe-Écologie qui en avait profité) par le parti présidentiel le fut essentiellement par la désertion de l'électorat de droite, visiblement dépité par les piètres prestations de celui qu'ils avaient porté aux nues et à l'Élysée en 2007.
Enfin, avec 25 %, le score du Parti socialiste reste en deçà de ce à quoi l'on aurait pu s'attendre pour le parti pivot de la gauche et autour duquel devrait s'articuler l'alternance ou l'alternative à Sarkozy. Avec un niveau de rejet jamais atteint par le pouvoir de droite, le PS atteint difficilement son score maximum. Le PS français n'a jamais rivalisé avec ses voisins suédois, britanniques ou allemands qui flirtaient voici quelques années encore avec 30/35 % en basses eaux et 40/45 % lors des victoires ; c'était des partis dominants respectivement dans leur champ politique national, alors que le PS devait faire face à un parti communiste puissant et structuré qui tournait encore dans les années 1970 entre 15 et 20 %. Aujourd'hui, les partenaires du PS sont dispersés en de nombreux morceaux - Europe-Écologie Les Verts, PCF, PRG, MRC, PG… - bien que les derniers scrutins aient donné quelques perspectives pour les Écologistes, et que ces cantonales ont redonné un peu de vigueur au Parti communiste français dans l'alliance du Front de Gauche (PCF/PG/Gauche unitaire). Mais ces résultats intermédiaires pourraient s'avérer être des feux de pailles et le PS ne peut raisonnablement espérer créer une dynamique à gauche qu'en dépassant régulièrement les 25 % et en flirtant avec les 30 %.
La Droite conservatrice et réactionnaire a conquis les imaginaires
Dans leur essai Voyage au bout de la droite : des paniques morales à la contestation droitière, publié le 2 mars 2011, les sociologues Gaël Brustier et Jean-Philippe Huelin ont analysé ce qui semble bien être une évolution profonde des droites européennes et américaines, dans laquelle les bouleversements de la droite française peuvent parfaitement s'insérer.
L'imaginaire contestataire qui a longtemps trouvé dans les idéaux de la gauche les voies de son expression semble depuis quelques années s'être déporté à droite. Néo-conservateurs américains, nationaux-populistes européens, tout ce qui fustige une certaine « bien-pensance » solidaire et droit-de-l'hommiste apparaît aujourd'hui comme le sommet de la contestation. La caricature de cette nouvelle « rebelle attitude » c'est l'accueil fait à Éric Zemmour par un imposant parterre de parlementaires UMP, qui le présentaient comme la nouvelle « victime » tombée au champ d'honneur de la liberté d'expression. Les exclus de nos systèmes de protectionabimés(jeunes ruraux, chômeurs urbains) sont à nouveau disponibles pour être manipulésà la façon du Lumpenprolétariat par une petite élite ultra-libérale, conservatrice, réactionnaire ou nationaliste au choix, selon la conjoncture spécifique de chaque État.
Le risque FN est aujourd'hui majeur et réel ; son discours a imprégné le débat public et les esprits de nombreuses catégories sociales défavorisées. C'est ce que Robert Badinter avait nommé à la fin des années 1990 la « Lepénisation » des esprits. On l'a trop rapidement enterré ; il ne suffit pas de constater un recul électoral momentané pour s'assurer que les dégâts psychologiques n'ont pas laissé de séquelles durables. Ces gens-là ont pu le faire car ils proposent une vision du monde facilement exprimée et assimilable.
De fait, en jouant sur la demande légitime de protection sociale des Français, et en continuant à mettre la pression sécuritaire sur la droite parlementaire, Marine Le Pen, avec une image plus policée que son père (ce n'est pas une antisémite assumée), pourrait décrocher le jackpot. Claude Guéant, Brice Hortefeux, Éric Besson et Nicolas Sarkozy, lui-même, n'ont de cesse d'emprunter au FN, sa rhétorique, ses arguments, sa politique, sur les questions de sécurité et d'immigration, légitimant du même coup le discours et les solutions de ce parti. Les dirigeants parlementaires et partisans de l'UMP, Christian Jacob et Jean-François Copé, renvoient depuis plusieurs semaines dos à dos la gauche et le FN, expliquant qu'ils sont tout autant éloigné des « valeurs » des uns et des autres pour justifier le refus d'un quelconque Front républicain. Tout cela en organisant en parallèle des débats qui vise à stigmatiser les cibles traditionnelles de la vindicte nationale-populiste. La logique est évidente ; au rythme où nous avançons, avec en souvenir les expérimentations politiques que Nicolas Sarkozy avaient lancé entre 2005 et 2007 à la tête de l'UMP puis pendant la campagne des élections présidentielles, c'est un schéma à l'italienne qui se prépare. La gauche française doit sortir d'une certaine naïveté qui veut faire croire à l'existence fictionnelle d'une « droite supposée républicaine », à qui l'on pourrait apporter ponctuellement son soutien pour faire barrage au Front national. De droite dite « républicaine », il ne reste de fait que « République solidaire », le Modém, le Parti radical et le Nouveau Centre, c'est bien peu.
Les principaux leadersde l'UMP préparent lentement les esprits pour faire tomber une frontière déjà bien poreuse entre le Front National marinisé, qu'ils qualifieront bientôt de respectable, et eux.
Reconquérir les imaginaires collectifs : un préalable à la transformation sociale
Comme le rappellent Huelin et Brustier, Gramsci explique qu'une force politique ou un groupe social ne peut prendre le pouvoir durablement sur une société donnée pour la transformer profondément, sans y avoir préalablement établi son hégémonie culturelle. Léon Blum rappelait le 27 décembre 1920 à la tribune du congrès de Tours que la manipulation politique des masses inorganisées et dépolitisées exposaient à des déconvenues majeures : « Nous savons, en France, ce que sont les masses inorganiques. Nous savons derrière qui elles vont un jour et derrière qui elles vont le lendemain. Nous savons que les masses inorganiques étaient un jour derrière Boulanger et marchaient un autre jour derrière Clemenceau… »
La Gauche doit donc convaincre en profondeur la société française de la pertinence et de la justesse de sa vision, de sa prééminence sur celle de toutes les droites confonduesfondée sur les peurs, l'égoïsme et l'agression. Notre principale difficulté reste donc encore de clarifier notre discours ; malgré la richesse des débats qui peuvent exister dans la gauche personne ou presque n'y est capable de présenter simplement une « vision du monde » cohérente et de la faire assimiler. Plus grave, aujourd'hui, sous prétexte que nous aurions gagné, au gouvernement et dans les collectivités territoriales, nos galons de bons gestionnaires, nombre de nos camarades nous veulent nous interdire de présenter un projet qui soit capable d'enthousiasmer les classes populaires et une bonne partie des classes moyennes au bord du déclassement. En 2011/2012, le « devoir de grisaille », la revendication d'une supposée justesse de la « rigueur de gauche » face à la « rigueur de droite », cela revient tout simplement à condamner la gauche à ne jamais reconquérir ces classes sociales, car nous refuserions de répondre à leur légitime exigence de protection sociale.
Nous avons très peu de temps pour réagir - à peine quelques semaines - avant d'avoir très peu de temps pour convaincre - à peine quelques mois. Et en parallèle, la Gauche doit relever le défi d'apprendre à devenir solidaire. Elle doit impérativement comprendre que les conditions de sa victoire dépendront des modalités qu'elle choisira pour faire son unité. Évidemment la nature et la portée du projet que porteront les socialistes facilitera ou compliquera d'autant plus la voie du rassemblement. Mais celui-ci au regard des enquêtes d'opinions, vérifiées dans les urnes ce 20 mars, n'en est que plus impérieux et nécessaire. Il est urgent que nous ayons un projet pour faire reculer le Front National, il est urgent que la gauche s'unisse pour faire reculer les idées du Front National.
Car disons le ici une fois pour toute, il n'est pas acceptable que certains de nos camarades se satisfassent d'un 21-Avril à l'envers en 2012 ; j'entends déjà la petite musique feutrée de certains, le candidat de gauche enfin déclaré face à Marine Le Pen au 2nd tour de la présidentielle, voilà une situation qui nous éviterait d'avoir à courir après les voix de la gauche, voilà qui nous éviterait de porter un programme trop marqué à gauche, voilà qui ne nous obligerait pas à des dépenses trop importantes pour reconstruire la protection sociale et le système de solidarité nationale. Remporter l'élection de cette manière ne permettrait pas de transformer la société française et de peser sur la construction européenne ; et ne pas répondre aux attentes sociales des Français nous prépareraient des lendemains plus tragiques que nos matinées post-électorales de mars 2011.
Frédéric Faravel
Secrétaire fédéral aux relations extérieures du PS Val-d'Oise