Depuis plusieurs semaines, Bernard Guetta, journaliste et chroniqueur pour les questions internationales sur France Inter et à Libération, est amené à commenter régulièrement les évolutions rapides de la crise de l'euro, conséquence de la crise de système qui met à mal les économies occidentales.
On se souvient qu'il avait été sévèrement dénoncé lors de la campagne référendaire de 2005 pour une présentation que les partisans du NON au projet de TCE jugée excessivement partiale. Mais depuis plusieurs semaines, Bernard Guetta, européen et fédéraliste convaincu, a prononcé des chroniques courageuses et lucides, mettant en exergue la crise démocratique en cours qui ne risque pas seulement d'emporter la zone euro mais également toute la construction européenne.
Ainsi le jeudi 10 novembre 2011, dans sa chronique intitulée "La vraie menace pesant sur l'Union" : "On va vers un noyau dur fédéral mais le problème est que, parti comme c’est, ce fédéralisme à quelques uns ne sera pas politique mais uniquement économique. Ce n’est pas pour rien qu’on ne parle pas de «gouvernement économique» mais de «gouvernance commune» car elle n’aura de fédérale que le nom, totalement usurpé en l’occurrence. Le fédéralisme, c’est un exécutif et un législatif communs, une démocratie commune et non pas du tout des décisions et règles concoctées entre gouvernements nationaux à l’issue de compromis obscurs et qui s’imposeront aux peuples concernés sans qu’ils aient eu leur mot à dire. Non seulement ce vers quoi on se dirige n’est pas le fédéralisme mais ce n’est plus la démocratie. C’est un on ne sait quoi, inacceptable et dont l’inéluctable rejet menacera l’Europe autrement plus que ses dettes publiques."
De même, le jeudi 25 novembre "La cohérence allemande et le silence de la France" : "Ce que veut l’Allemagne, c’est qu’une modification des traités européens empêche à l’avenir un pays de la zone euro de trop s’endetter à l’abri de la monnaie unique et, lorsque cela aura été fait, alors, là, oui, peut-être, sans doute puisque cela se fait déjà et qu’il n’y a pas d’autre solution, les Allemands accepteront-ils que la Banque centrale déroge à ces règles, exceptionnellement, pour la première et la dernière fois, afin de résoudre la crise actuelle.
Le projet allemand est de faire de la rigueur budgétaire la religion de l’Union européenne et, dans le même temps, de lui faire faire un bond vers le fédéralisme économique et politique car cette crise est venue démontrer – c’est son bon côté – que l’Europe ne pouvait pas avoir une monnaie unique et 27 politiques économiques, fiscales, sociales et industrielles divergentes. [...]
Pour être cohérente et claire, la position de l’Allemagne est loin d’être indiscutable mais le fait est aussi qu’on n’en entend pas d’autres. Que pense, sur le fond, Nicolas Sarkozy ? On l’ignore. Il négocie, se dépense, s’escrime mais à quoi ? On ne le sait pas. On ne connaît pas sa vision d’avenir pour l’Europe, pas plus qu’on n’entend la gauche française, les autre gauches européennes, les autres gouvernements et le Parlement de l’Union en proposer une. Ce drame se joue dans un silence assourdissant que seule rompt la cohérence allemande."
Encore le 29 novembre, "Triste compromis pour l'Europe" : "La démocratie paraît partie pour régresser en Europe alors même que Nicolas Sarkozy aurait pu n’accepter le renforcement du Pacte exigé par Angela Merkel qu’en échange d’une progression de la démocratie européenne. Dès lors que nous déciderons ensemble de nos politiques économiques, aurait-il pu dire, il faut doter l’Union d’un exécutif procédant du suffrage universel paneuropéen, d’une démocratie parlementaire. C’eut été la logique. Il aurait pu l’obtenir de Berlin car le congrès de la démocratie-chrétienne allemande, de la droite au pouvoir, vient de se prononcer en ce sens mais il s’en est gardé par crainte de perdre ceux des électeurs de droite pour lesquels le fédéralisme est un chiffon rouge. C’est, peut-être, la sortie de crise mais il n’y a pas de quoi danser de joie."
Et le 2 décembre "Le double danger du compris Merkozy" : "En un mot comme en cent, le deal à venir est scellé : ce sera, comme prévu, l’Europe de la rigueur contre une intervention, conjoncturelle et non pas institutionnalisée, de la BCE en faveur des États en difficultés.
C’est une solution. Elle rassurera tous ceux qu’inquiétait la possibilité d’une évolution fédérale. Elle peut apaiser les marchés et contribuer, ainsi, à une sortie de crise. Elle contribuera également à conforter le candidat Sarkozy qui pourra faire valoir aux Français qu’ils ébranleraient cette construction en ne le reconduisant pas mais l’Europe – c’est le double danger de ce compromis franco-allemand – sera toujours plus identifiée à la rigueur budgétaire et sociale et toujours moins démocratique car ses politiques communes ne seront pas le fruit d’un choix des électeurs européens mais d’obscures tractations entre gouvernements qui pourront tous continuer à dire : «Ce n’est pas moi, c’est l’Europe». C’est une solution mais ce n’est pas forcément la meilleure."
Enfin le mardi 6 décembre, il pouvait décrire le manque de courage et d'alternative réelle "La gauche, la droite et l'Europe" : "L’une de gauche, l’autre de droite, les Français sont maintenant saisis de deux propositions pour l’Europe. Celle que le président de la République et la chancelière allemande ont détaillée hier avant de la soumettre, jeudi, aux autres dirigeants européens se résume au seul mot de rigueur. [...] Concession allemande aux objections françaises, ce n’est pas la Cour de Justice européenne, le pouvoir judiciaire, qui imposerait ces sanctions mais il faudrait, pour s’y opposer, une majorité qualifiée des 17 pays de l’euro. Cela suffit à assurer qu’elles seront prises et, parallèlement, les 17 s’engageraient, par cette même modification des traités, à introduire la «règle d’or» dans leur Constitution et à s’obliger ainsi à un retour progressif à l’équilibre budgétaire sous la surveillance de leurs Cours constitutionnelles. [...]
Présentée [...] par François Hollande devant le congrès des sociaux-démocrates allemands, elle est naturellement plus à gauche puisqu’elle prône des investissements communs dans la croissance, une politique industrielle commune, la taxation des transactions financières et l’augmentation des impôts indûment baissés ces dernières décennies. Ce n’est plus seulement la réduction des dépenses mais c’est pourtant aussi la rigueur puisque François Hollande souhaite refaire passer le déficit sous la barre des 3% dès 2013 et revenir à l’équilibre en 2017. Avec des remèdes sensiblement différents, l’objectif essentiel est bien sûr le même – l’assainissement des finances publiques – et ces propositions ont un second point commun.
L’une et l’autre passent à côté de la nécessité d’instaurer une démocratie européenne, de fédéraliser l’Union, dès lors que ses politiques économiques deviendront communes. Elles le font délibérément car la gauche et la droite restent tétanisées par le « non » de 2005 qu’elles attribuent, à tort, à une montée du souverainisme et non pas au refus, légitime, d’une Union ignorant la démocratie."
Bernard Guetta dessinait en creux ce dont a besoin la construction européenne pour dépasser la crise actuelle :
- modifier les statuts de la BCE pour qu'elle intègre la croissance et l'emploi dans ses objectifs, qu'elles puissent émettre des eurobonds et monétiser les dettes souveraines des Etats membre de l'Union européenne ;
- donner au parlement européen de nouvelles prérogatives pour qu'il puisse devenir le véritable représentant de la souveraineté populaire européenne, auquel serait soumis un gouvernement européen ;
- doter l'Union d'un réel budget communautaire voté par le parlement européen, avec des recettes propres et une capacité d'emprunt qui permette d'en faire un levier économique.
Mais voilà, la chronique du 9 décembre (cliquez ici pour écouter) contredit les précédentes. Bernard Guetta craint-il finalement comme nombre de responsables politiques de fragiliser la construction européenne en dénonçant les voies suicidaires qu'elle avait prises ? Toujours est-il qu'alors qu'a été adoptée cette nuit à Bruxelles la logique qu'il dénonçait depuis plusieurs semaines, il salue désormais comme positive la conclusion de cet accord. Voilà un revirement regrettable et inexplicable. A moins que Hess et Val aient rappelé au chroniqueur que leur nomination dépendait de Sarkozy et qu'il ne fallait pas charger la barque, mais je ne veux pas y croire.
Frédéric Faravel
Secrétaire fédéral aux relations extérieures du PS du Val-d'Oise
Chronique du 9 décembre 2011 de Bernard Guetta sur France Inter à 8h15 :
Ce n’est pas l’unanimité. L’accord conclu cette nuit à Bruxelles – car accord il y a eu, véritable et important accord – ne liera que les 17 pays de la zone euro et six autres membres de l’Union qui s’y sont joints.
La Hongrie et, surtout, la Grande-Bretagne font bande à part tandis que la Suède et la République tchèque réservent leur réponse. La Grande-Bretagne s’éloigne du cœur de l’Union mais, outre que cela ne nuira pas, et bien au contraire, à la poursuite de la construction européenne, les décisions prises cette nuit à Bruxelles sont maintenant susceptibles d’apaiser la tempête qui ébranlait l’Union depuis la crise grecque.
Fondamentalement, cet accord à 23 repose sur les propositions avancées lundi par la France et l’Allemagne. D’un coté, les pays de la monnaie unique s’engageront, par accord intergouvernemental, à ne plus dépasser le plafonnement de leurs déficits budgétaires et de leur endettement. Sous peine de sanctions quasiment automatiques, les pays de l’euro s’engagent à ne plus laisser se recréer les dérapages financiers qui avaient causé cette crise et, de l’autre côté, la Banque centrale européenne est implicitement autorisée à racheter de la dette des pays les plus affaiblis afin de calmer les marchés. La Banque centrale est implicitement autorisée à intervenir sur les marchés et cet élargissement de son rôle est d’autant plus marqué que c’est maintenant elle qui aura à gérer le fond de solidarité que l’Union avait déjà mis en place.
C’et un véritable accord, d’autant plus important qu’au fil des mois et des alertes, cette tempête avait déjà changé beaucoup de choses en Europe. Dos au mur, l’Union européenne avait commencé par s’asseoir sur ses traités en venant au secours de plusieurs de ses membres alors même qu’elle s’était interdit, à l’origine, toute solidarité financière au sein de la zone euro par crainte que la monnaie unique ne devienne le parapluie à l’abri duquel des Etats creuseraient leurs déficits.
Traités ou pas, des Etats s’étaient tout de même surendettés en profitant de la solidité de l’euro mais, traités ou pas, la solidarité avait tout de même prévalu et la zone euro, dans l’urgence, l’avait pérennisée avec la création du fonds commun permettant d’épauler un Etat en difficultés et dont la Banque centrale aura désormais la responsabilité. Simple zone monétaire à sa naissance, la zone euro était déjà virtuellement devenue une zone économique en voie d’intégration et avait déjà acté – deuxième changement – la nécessité d’un pilotage commun de ses économies par ses chefs d’Etat et de gouvernements.
Cette gouvernance économique n’avait encore fait que s’esquisser mais sa logique était qu’elle puisse conduire les pays de l’euro à harmoniser leurs fiscalités, travailler ensemble aux conditions d’une relance et définir des projets d’investissements communs et même une politique industrielle commune dont le besoin est criant. C’était une virtualité mais elle devient une probabilité maintenant que l’accord de cette nuit fait émerger, au sein de l’Union, un groupe d’Etats décidés à renforcer leur intégration. Beaucoup plus qu’un plan de sauvetage, ce peut être un nouveau départ pour l’Union.