La victoire de Syriza en Grèce le 25 janvier dernier est incontestable. Pour la première fois, un parti non aligné sur les conservateurs, les libéraux ou les sociaux-démocrates accède à la direction d'un État membre de l'Union européenne. La victoire de la « coalition de la gauche radicale », conduite par Alexis Tsípras, est bonne nouvelle pour les Grecs, c'est une bonne nouvelle pour l'Europe, c'est un espoir pour tous ceux qui défendent une alternative aux politiques d'austérité.
Elle doit néanmoins interroger les dirigeants et militants socialistes sur l'état de la gauche en Europe et sur les politiques défendues par la social-démocratie européenne.
Car la victoire de Syriza s'inscrit dans un contexte de profonde crise économique et sociale, aggravée par une série de cures d'austérité parfaitement ineptes, imposées de l'extérieur par la Troïka et appliquées puis soutenues par le PASOK, représentant local et traditionnel du socialisme européen. Le PASOK avait déjà connu de sévères défaites dans les précédents scrutins, il se retrouve désormais divisé, car Georges Papandréou, son ancien patron, toujours président de l'Internationale Socialiste par ailleurs, l'a quitté quelques semaines avant le scrutin. C'est désormais Syriza qui représente la Gauche en Grèce et le PASOK humilié paie de s'être rallié à la droite, à ses solutions et les politiques d'austérité ; il paie d'avoir renié ses propres principes et trahis la confiance de son peuple.
C'est un avertissement sérieux pour tous les partis socialistes et social-démocrates européens, dont le PS français évidemment.
Les élections se succèdent en Europe et confirment toujours la perte d'influence de notre famille politique. À de rares exceptions près, lorsqu'ils gagnent, les partis socialistes le font poussivement, mais leurs défaites sont de plus en plus souvent des déroutes. Dans de nombreux États membres, ils sont déjà réduits à des rôles de supplétifs dans des gouvernements à direction libérale ou conservatrice.
La stabilité du PSE et du groupe S&D au parlement européen en mai dernier, comparé à la forte baisse d'effectif du groupe PPE, est en trompe-l’œil : elle n'est dûe qu'au score inattendu du Parti Démocrate italien, conduit par son nouveau président du conseil Matteo Renzi, qui a focalisé la campagne sur la personnalité et des promesses de réformes mal définies à l'époque (sur fond de sortie du berlusconisme) et à la bonne tenue du SPD en Allemagne grâce à la candidature d'un des siens Martin Schulz à la présidence de la commission. Partout ailleurs, les résultats sont décevants, y compris lorsque nous sommes dans l'opposition à des gouvernements qui conduisent des politiques d'austérité, comme en Espagne et en Grande-Bretagne. En France, le PS a payé aux élections municipales et aux européennes l'incompréhension et le désaveu d'une partie conséquente de son électorat pour avoir conduit une politique économique et sociale en contradiction avec nos engagements.
En Roumanie et en Bulgarie, les partis socialistes sont minés par la corruption ; en Slovaquie, le SMER-SD n'avait pas hésité à pactiser avec l'extrême droite pour s'assurer une majorité parlementaire ; le PS bulgare a fait la même chose. Le MszP hongrois a perdu toute crédibilité voici plusieurs années en avouant qu'il avait délibérément trompé les citoyens ; c'est désormais tout le pays qui le paie en subissant un gouvernement ultraconservateur et autoritaire, soutenu par un parti fasciste le Jobbik ; il faudra sans doute une bonne génération avant que la gauche s'en remette dans ce pays. Bien moins grave, le Labour Party britannique ne paie plus ses cotisations à l'Internationale socialiste et le Parti travailliste néerlandais et le Parti démocrate italien n'en sont même plus membres. L'Internationale elle-même n'est pas exempte d'incohérences : incapable de convaincre le Parti des Travailleurs brésilien de la rejoindre ou d'engager un dialogue même critique avec les partis de gauche vénézuélien, équatorien et bolivien, elle compte en son sein des organisations qui assument explicitement une orientation néo-libérale, vient d'y accueillir le FLN algérien, après avoir tardé à exclure en 2011 les partis de Ben Ali et de Moubarak.
La famille socialiste et social-démocrate ne brille donc pas par la cohésion politique et stratégique ; elle ne semble pas non plus avoir retenu la leçon des années 1990 et 2000 durant lesquelles ses membres ont mené des politiques d'inspiration libérale, qui se sont révélées funestes tant du point de vue économique et social qu'électoral. Elle n'a pas été capable de reformuler un projet politique mobilisateur. Martin Schulz, notre candidat à la présidence de la commission européenne lors des dernières élections européennes, était supposé porter une exigence de réorientation de la construction européenne ; il est aujourd'hui Président du Parlement européen et a expliqué que le nouveau gouvernement grec serait obligé de faire des compromis : « Je lui ai dit (...) que je ne peux pas m'imaginer que les revendications radicales que lui et son parti ont émises jusqu'ici d'une part trouvent une majorité en Grèce, d'autre part que les partenaires de l'UE y souscrivent », c'est une négation de la nécessité du rapport de force, un oubli de ce que nous avons porté avec lui dans la campagne européenne.
Ainsi il n'est pas très étonnant de constater que lorsqu'il existe un dynamique à gauche, ce sont d'autres partis qui en profitent, surfant sur les compromissions des sociaux-démocrates ou sur leur incapacité à proposer une alternative crédible à la droite : Syriza en est le symptôme le plus prégnant, mais c'est aussi le cas de Podemos(promis à des scores mirifiques aux prochaines législatives) mais aussi d'Izquierda Unidaen Espagne. Au Portugal, la CDU communiste a plus progressé que le PS. En Irlande (nord et sud), c'est Sinn Féin qui est en dynamique alors que le Labour s'effondre. Pour compléter le tableau, plusieurs forces politiques siègent dans les groupes parlementaires européens écologistes ou GUE/NGL, alors qu'ils portent un discours socialistes assez « classiques », c'est le cas de Syriza (dont le leader Alexis Tsípras était le candidat du Parti de la gauche européenne, présidé par Pierre Laurent, à la présidence de la commission) ou de Sinn Féin à nouveau, mais aussi du Parti Socialiste néerlandais, du SNP écossais ou du Parti Socialiste Populaire danois.
Si les socialistes européens, et parmi eux en premier les socialistes français, veulent sortir de l'impasse politique, il est urgent d'engager un dialogue structurel avec ses forces nouvelles ou, pour celles qui sont entrées plus anciennement dans le paysage politique, ont su se renouveler alors que nous étions incapables de structurer une alternative à l'offensive libérale engagée depuis la fin des années 1970, au point d'intégrer de manière plus ou moins assumée une partie de ce discours dans son corpus programmatique.
Nous devons également mettre fin au compromis historique avec les anciens démocrates-chrétiens, devenus conservateurs. Il ne s'agit plus simplement d'assurer la co-gestion du Parlement européen, pour un bon fonctionnement des institutions communautaires, mais trop souvent les compromis s'étendent au fond des politiques et des délibérations et amènent les membres du groupe S&D à concéder trop de points au PPE et aux libéraux. Cela mine durablement la lisibilité et la cohérence de nos options politiques, et nous rend plus inaudible encore auprès des électeurs européens. Nous devons lui substituer un rapprochement avec le Parti de la Gauche européenne, dirigé par Pierre Laurent, et les Écologistes. Seule cette option nous permet de rendre crédible la perspective d'une alternative politique sur les enjeux de la construction européenne.
Nous devons dépasser les cadres d'un Parti des Socialistes Européens qui n'est absolument pas à la hauteur des enjeux du continent ; le PS français doit de nouveau assumer en son sein de porter les débats que les sociaux-démocrates n'osent pas affronter. Ce travail avait débuté sous la Présidence de Poul Nyrup Rassmussen, avec le soutien de Martine Aubry lorsqu'elle était Première secrétaire, elle a permis que s'impose enfin l'idée d'une candidature commune à la Présidence de la Commission, en appuyant une interprétation très généreuse des traités européens, afin de politiser les élections européennes. Depuis son départ, le PSE est redevenu un forum de dirigeants nationaux a minima qui ne produit plus rien et n'implique pas les militants socialistes européens. Les seules initiatives militantes européennes ont eu lieu hors du PSE, avec la plate-forme Européens contre l’Austérité initiée par l’aile gauche du SPÖ autrichien, repris en Allemagne, en France, en Italie, signée également par des élus de la Gauche Européenne et Ecologistes, avec la mobilisation des ailes gauches sociales-démocrates contre les accords de libre-échange transatlantiques, au côté du mouvement syndical européen.
Si l'Union européenne a vocation à renforcer son poids politique, alors les citoyens doivent être plus associés, alors les militants socialistes européens doivent être convoqués pour se prononcer sur l'orientation politique du PSE et ses dirigeants (c'est d'autant plus crucial que les fonctionnements de nos partis diffèrent profondément d'un pays à l'autre ; ainsi les délégations nationales dans les congrès du PSE ne reflètent absolument pas la réalité des sensibilités politiques qui s'expriment dans les partis).
Enfin, les socialistes français doivent ouvertement interroger le périmètre politique du PSE et de l'Internationale Socialiste, qui n'ont plus aucune cohérence interne et ne sont plus en mesure dans ces conditions de peser sur les débats internationaux. La dernière action réelle de l'IS a été l'accouchement des accords d'Oslo en 1993, en mettant autour de la table nos camarades du Fatah et du Parti travailliste israélien. Depuis plus rien !
Nous sommes socialistes, nous sommes donc favorable au projet européen et internationalistes. Ces questions sont donc incontournables et la résolution des enjeux qui y sont liés impérative.
Frédéric FARAVEL, membre titulaire du BNA, BF PS95, section de Bezons
Arnaud Delcasse, SF PS 06 – Maxime Lonlas, suppléant CNCF, CF PS 95 – Charlotte Picard, CFC PS57 - Brice Giacalone, SF PS14 et suppléant CN – Henri Le Lorrain, SF Europe PS93 – Sébastien Lombard, SF PS95, secrétaire de section du Haut-Val-d'Oise – David Cayla, supléant CN, PS49 – Gérald Elbaze, titulaire au CN, BF PS33 – Dylan Boutiflat, SF PS95, titulaire CNCF – Martine Chantecaille, titulaire au CN, BF PS85 – Mathieu Pouydesseau, SF FFE – Élodie Schwander, titulaire au CN, BF PS07 – Adeline Lamberbourg, adjointe au Maire du 13e ardt, BF PS75 – François Rochon PS94 – Patrick Chasserio, CF78 – Jean-François Thomas, premier secrétaire fédéral de la Meuse, conseiller régional, BN