Libération revient sur les dissensions croissantes entre formations de gauche. Les charges agressives et contre-productives de Jean-Luc Mélenchon compliquent effectivement la tâche mais il semble que la direction de la Rue de Solférino y ait vu une occasion rêvée pour refuser d'associer les membres du Front de Gauche à la photo de famille du mercredi 9 janvier.
Il est pourtant peu conforme de dire que les collectivités de gauche - où PS, PCF, EELV, PRG, PG, MRC et/ou MUP travaillent le plus souvent de concert - soient totalement en phase avec les choix gouvernementaux : les inquiétudes montent bon train quant à la cure d'austérité que l'Etat leur promet, alors même que les maires socialistes n'ont cessé de publier voeux et motions pendant 10 ans pour rappeler l'importance stratégique déterminante d'une consolidation des finances locales et que les collectivités fournissaient 70% de l'investissement public dans le pays
Aussi est-il faux de dire comme Harlem Désir «Nous gérons ensemble les collectivités. Le PCF assume avec nous son rapport au réel dans les collectivités. Il faut l’assumer au plan national» [Lire plus bas]. L'un n'entraîne pas l'autre automatiquement, et si on faisait un sondage chez les maires et présidents de gauche (sous couvert d'anonymat) il es probable que certains aient quelques surprises.
Par ailleurs, il ne m'a pas semblé que le Pacte de Compétitivité faisait partie des propositions du PS au sortir de son dernier congrès, mais j'ai dû mal lire sans doute la motion 1 qui sert d'orientation majoritaire.
Il faut donc ouvrir d'urgence tous les débats et ne surtout pas verser dans les règlements de compte : rien de grand dans ce pays ne se fera sans le rassemblement de la gauche, de toute la gauche, tant aux municipales qu'au niveau gouvernemental. Mais pour permettre ce second volet, il faut marquer politiquement une inflexion volontariste que nombre de socialistes appellent de leurs voeux.
Frédéric FARAVEL
Enquête Les critiques réitérées de Jean-Luc Mélenchon et du Parti communiste envers la politique sociale du gouvernement illustrent l’éloignement croissant des deux familles de la gauche.
Libération - Jeudi 10 janvier 2013 - Par LILIAN ALEMAGNA
Il ne leur manquait plus que le rouge. Toutes les couleurs de la majorité étaient représentées hier après-midi, au siège du PS, pour une réunion des chefs de parti. Une première depuis le début du quinquennat Hollande. Après la «gauche plurielle» version Jospin et la «gauche solidaire» d’Aubry aux régionales de 2010, Harlem Désir et les socialistes inventent la «gauche rassemblée». Un peu moins tout de même que les fois précédentes : le Front de gauche, communistes en tête, est absent. Une nouvelle illustration du fossé qui se creuse à gauche.
Car après les blocages communistes au Sénat, donnant l’occasion aux socialistes de les accuser de «voter avec la droite», le PS a trouvé le moyen de s’écharper de nouveau avec le PCF, fin décembre, après la publication sur le Web de leurs vœux de fin d’année. Une vidéo dans laquelle le parti de la place du Colonel-Fabien égrenait une longue liste des promesses non tenues par François Hollande. «Une faute contre la gauche», une «honte pour ses auteurs», avait fustigé Désir. Jean-Luc Mélenchon a demandé à son ancien camarade de cesser ses «invectives». Joyeuses fêtes…
Ces prémices d’une guerre des gauches se sont matérialisées lundi soir sur France 2 autour du débat entre Jean-Luc Mélenchon et le ministre du Budget, Jérôme Cahuzac. C’était le premier affrontement télévisé direct entre l’ex-candidat Front de gauche et un socialiste depuis l’élection de Hollande. Deux visions de ce que doit être une politique de gauche. Un échange clivant, comme l’écrit Mélenchon sur son blog, «que la rue de Solférino a toujours voulu éviter car elle se sent incapable d’en assumer la conséquence interne et dans la gauche sociale». Satisfait de distinguer deux lignes à gauche, celle du «PS de Cahuzac» et la sienne, il se réjouit que cette «confrontation» soit «sur la scène publique».
«Thèse mortifère». «Bonne chance à ceux qui doivent constituer les listes des municipales de 2014 après un tel débat…», se désole un député PS. Comme cet élu, ils sont nombreux, chez les socialistes, à s’inquiéter d’une recrudescence de la théorie des «deux gauches». «C’est une thèse mortifère qui ne sert que la droite et l’extrême droite, met en garde Guillaume Bachelay, n°2 du PS. Séparer gestion et transformation ou distinguer responsabilité et opposition est une erreur d’analyse.» Et à l’aile gauche du parti majoritaire, on compte défendre la digue : «Il n’y a rien de plus néfaste et de plus faux. Ça arrange peut-être Mélenchon de le croire, mais c’est nous condamner à la défaite, fait valoir Emmanuel Maurel, un de leurs porte-voix. En plus, la ligne de Cahuzac, comme celle de Jean-Luc sont toutes deux minoritaires !» Pas d’accord, rétorque Mélenchon sur son blog : «[Cahuzac] est […] absolument dans la norme de la gauche sociale-démocrate européenne devenue économiquement sociale-libérale et politiquement démocrate.» Une «vieille gauche», a-t-il encore répété hier matin sur RMC. Et chez ses alliés communistes, on juge aussi qu’«il y a une seule gauche, mais deux orientations en son sein : une de rupture et l’autre, sociale-libérale, d’accompagnement d’un système qui ne fonctionne plus», plaide leur porte-parole, Olivier Dartigolles.
Dans sa stratégie de démarcation, Mélenchon ne s’occupe pas que du PS. Hier dans Nice-Matin, il s’est aussi intéressé aux écologistes : «Comme les socialistes, ils sont partagés entre deux ailes. Une aile écolo-libérale et une autre écolo-socialiste.» «Il y a surtout des écolo-écologistes, balaie Pascal Durand, le leader d’Europe Ecologie - les Verts (EE-LV). Les mots qu’emploie Mélenchon, comme ceux de Cahuzac, sont du vieux monde. La question à laquelle on doit répondre est : "Quelles sont les nouvelles marques d’une gauche sociale et environnementale aujourd’hui ?" Arrêtons de se redéfinir par rapport au passé.» Dans cette querelle new-look d’anciens et modernes de gauche, Désir met en garde Mélenchon : «Il n’y a jamais de primes à ceux qui divisent.» Du coup, chaque camp rejette la faute de la mésentente. Au PS ça donne : «C’est un crève-cœur de voir les communistes avec leurs idéaux alors qu’ils connaissent les marges budgétaires de la France, attaque Jean-Christophe Cambadélis. Il fut un temps où ils partageaient l’effort national de redressement du pays.» Harlem Désir use aussi de l’argument «responsabilité» : «Nous gérons ensemble les collectivités. Le PCF assume avec nous son rapport au réel dans les collectivités. Il faut l’assumer au plan national.»
Amnistie. En revanche, si la gauche est divisée, insiste-t-on au Front de gauche, c’est d’abord la faute à l’«accélération de l’orientation sociale-libérale» de la politique de François Hollande. «La majorité politique qui l’a élu ne se retrouve pas dans ce qu’il fait, défend Dartigolles. En aucun cas, le Front de gauche ne parie sur l’échec du gouvernement. Nos critiques ont été médiatisées, mais nous mettons sur la table des propositions ! Or le PS reste sur une seule attitude : c’est comme ça, pas autrement et il n’y a rien à discuter.» Il est vrai que les amendements des sénateurs communistes lors de l’examen du budget ont été rejetés par un gouvernement assuré de faire passer son texte en dernière lecture à l’Assemblée. Proche de Mélenchon, Eric Coquerel donne un autre exemple : «Lorsqu’ils ont rencontré Hollande, Jean-Luc et Martine [Billard, coprésidente du Parti de gauche, ndlr] ont proposé une loi d’amnistie des syndicalistes.» Hollande leur avait dit qu’il s’en occuperait. Et puis rien…
Comment amorcer la réconciliation ? Au PS, certains plaident pour avancer ensemble sur des lois économiques et sociales où toute la gauche serait d’accord. Maurel exhume par exemple la loi interdisant les licenciements boursiers, proposée en février par les communistes au Sénat et votée par les socialistes. Ce texte n’a jamais été repris par le gouvernement. Bachelay pousse, lui, pour inscrire à l’ordre du jour la proposition de loi brandie par Hollande lors de sa campagne et visant à obliger un groupe, s’il veut fermer un site, à examiner les offres de reprise ou bien à le céder. «On doit répondre ensemble à comment bâtir un nouveau rapport de force face au capitalisme financier. Quel levier la puissance publique active-t-elle ?» avance le député, rapporteur du projet de loi sur la Banque publique d’investissement (BPI). Sur ce texte, il se félicite d’avoir obtenu le vote des communistes. «Le rassemblement de la gauche, il faut aimer ça, avoir de la patience», glisse-t-il sibyllin. Manière de souligner que d’autres dans sa maison PS n’en ont pas.
Hier, les leaders des partis de cette nouvelle «gauche rassemblée» ont décidé la mise en place de cinq groupes de travail. Au menu : «emploi, industrie, démocratie sociale», «investissements innovants et écologiques à l’horizon 2020», «réformes institutionnelles et territoriales», «harmonisation fiscale et sociale en Europe» et «laïcité, école, jeunesse». A la sortie de la réunion, Désir a lancé que les responsables du Front de gauche étaient «les bienvenus. C’est une réunion de toutes les formations politiques qui veulent la réussite de l’action du gouvernement». Réponse du PCF en forme de non-recevoir : «Nous ne sommes pas intéressés par des sessions de rattrapage, dit Dartigolles. Il y a urgence à avoir une relance du débat à gauche, à ciel ouvert, sur les solutions à la crise. Ça ne peut pas se faire autour d’une table à Solférino.» Les communistes veulent des «débats publics» et non des «sommets». Et au Front de gauche, on opte pour la stratégie du «rapport de force» en lançant une «grande campagne contre l’austérité» avec en vitrine un meeting de Mélenchon et du chef du PCF, Pierre Laurent, le 23 janvier à Metz. A quelques kilomètres de l’usine Arcelor-Mittal de Florange. «Avant même les périodes électorales, il faut montrer qu’on peut faire autrement», dit Coquerel.
«Quasi-insulte». Au PS, pour calmer les ardeurs communistes à l’aube des négociations pour les municipales de 2014, l’entourage de Désir mise sur l’«effet de ciseau entre un discours de quasi-insulte à l’égard du président de la République et la pratique du compromis électoral». Les deux responsables élections des partis ont prévu de se voir avant la fin du mois. Les socialistes pointent aussi les divergences locales du Front de gauche pour y enfoncer un coin. Les élus franciliens ne se privent pas de pointer qu’en Ile-de-France, les communistes - dont Pierre Laurent - ont voté le budget 2013 quand les proches de Mélenchon s’y sont opposés. A chacun ses contradictions.