Analyse - En prenant le contre-pied de la numéro 1 du PS sur le dossier des retraites, le directeur du FMI tente de se poser en réformateur responsable.
La première secrétaire du parti socialiste (PS), Martine Aubry s'adresse aux journalistes le 18 mai 2010 à Paris après le Bureau national du parti. (© AFP Thomas Coex)
C’est ce qui s’appelle frapper par surprise. Certes, jeudi soir dans A vous de juger sur France 2, prestation d’abord conçue comme une opération de déminage quant au rôle contesté du FMI dans la crise, Dominique Strauss-Kahn a soigneusement écarté l’échéance de 2012 : «J’ai une mission à remplir, et je ne demande qu’une chose, c’est qu’on me laisse travailler.» Mais ce sensible repli tactique camouflait une percée d’importance, menée au chapitre des retraites celle-là. Quarante-huit heures tout juste après que Martine Aubry eut affirmé que les socialistes s’opposeraient «de toutes [leurs] forces au fait de repousser l’âge légal au-delà de 60 ans», son camarade de Washington a pris l’exact contre-pied de la première secrétaire : «Si on arrive à vivre 100 ans, on ne va pas continuer à avoir la retraite à 60 ans.» Et d’enfoncer le clou idéologique : «Je ne pense pas qu’il faille y avoir de dogme.»
Plus de doute : il s’agit bien de la première escarmouche entre deux des plus sérieux prétendants à l’investiture socialiste, qui, associés depuis le congrès de Reims de 2008, juraient jusqu’ici qu’il n’y aurait entre eux jamais d’affrontement. Dans le premier cercle aubryste, on observait vendredi un mutisme prudent. Pendant que les strauss-kahniens de la direction étaient contraints à de subtiles contorsions. La députée Marisol Touraine, chargée du dossier des retraites : «Pour le PS, non plus, la référence aux 60 ans n’est pas un dogme», ce qui ne sautait pas aux yeux à la lecture des propositions présentées mardi. Jean-Christophe Cambadélis, premier lieutenant de DSK : «C’est la position qu’il a toujours défendue. Il n’était en rien dans la volonté de se distinguer de X ou de Y. Il faudrait être un âne politique pour s’attaquer à Martine au moment où elle réussit.»
Contorsions. Reste que, du côté non strauss-kahnien de la direction, «le coup de pied de l’âne a été ressenti, confirme un de ses membres. Ce n’est pas anodin. Il y a une volonté délibérée de mise en difficulté et une démarche visant à maintenir l’avantage sondagier». Un autre feint de s’interroger : «N’aurait-on pas encore traduit les propositions retraites du PS en anglais de la côte Est ?» Difficile en effet de croire que DSK, dont les interventions dans le champ politique français sont calibrées au micron près, n’avait pas l’intention de se démarquer d’une Aubry contrainte par son aile gauche, Benoît Hamon et Henri Emmanuelli en tête, de ne pas bouger sur les 60 ans. De ce point de vue, c’est carton plein.
Liberté. Alors que le ministre du Budget, François Baroin, jugeait «intelligent» le propos de DSK, la gauche du parti et de la gauche montait au créneau. Crescendo. «L’âge légal de départ à 60 ans n’est pas un problème de dogme, mais une question de justice et de liberté», assène Guillaume Bachelay, proche de Laurent Fabius. «Pour les Français, le maintien de l’âge légal à 60 ans est un bouclier», estime Razzy Hammadi, proche d’Hamon. Jean-Luc Mélenchon, leader du Parti de gauche : «A l’évidence, sa candidature en 2012 compliquerait très sérieusement les capacités de rassemblement et de dynamique de la gauche.» Pendant que le communiste Pierre Laurent se demandait si ces propos étaient «ceux d’un homme de gauche», ou ceux «d’un homme que la fonction de dirigeant du FMI fait inexorablement dériver». Réplique de François Kalfon, proche de DSK : «Dominique Strauss-Kahn n’est pas dans le politiquement correct. Il est extrêmement libre sur l’ensemble des domaines, et s’exprime sans tabou.»
Bousculer les canons, donc. Frapper de l’extérieur, en jouant de sa liberté de mouvement, face à des concurrents empêtrés dans les équilibres de l’appareil. DSK, par l’expérience de la primaire de 2006 instruit, aurait-il pris le parti de faire du Royal ? Avec, dans un contexte de «bataille politique contre le gouvernement», ce risque résumé par un dirigeant Parti socialiste : «Difficile d’être une solution quand on commence à être un problème…»