Évidemment, les saillies nationalistes et germanophobes d'Arnaud Montebourg, comparant Angela Merkel à Otho Von Bismarck, et de Jean-Marie Le Guen, comparant les voyages de Sarkozy en Allemagne à celui de Daladier se rendant à Munich, sont d'une bêtise crasse. Sous entendre ainsi que les dirigeants démocratiques d'une Allemagne exemplaire de ce point de vue serait des copies d'ancien dirigeants réactionnaires/militaristes ou nazis est naturellement une insulte qui n'apporte rien au débat politique. Dans le cas de Jean-Marie Le Guen, le ridicule est complet puisqu'en stipendiant les voyages de Nicolas Sarkozy en Allemagne, l'UMP pourra aussi bien lui rétorquer que François Hollande allant aujourd'hui à Berlin pour le congrès du SPD n'est pas en reste.
Cependant, tous les voyages ne se valent pas, et sans insulter nos voisins et partenaires allemands, il existe un débat politique à mener avec eux concernant de nombreuses divergences dans l'approche de la construction européenne et dans les solutions politiques nécessaires pour répondre à la crise actuelle. Ce débat, Martine Aubry l'avait annoncé durant la campagne des primaires en rappelant qu'une fois élue Présidente de la République, elle aurait à l'engager sans fard avec Angela Merkel, en attendant que le SPD sous la conduite de Sigmar Gabriel puisse accéder au pouvoir en 2013 à la tête d'une coalition Rouge-Verte.
La crise actuelle est une crise de système ; les réformes libérales, que se sont volontairement imposées les Etats occidentaux durant les 35 dernières années, ont abouti au paroxysme d'une crise financière, économique et sociale, que les partis conservateurs et libéraux ont le toupet d'intituler "crise des dettes souveraines". Les assauts actuels des marchés sur les finances publiques posent crûment désormais la question de la crise démocratique, dont le premier soubresaut avait été le rejet légitime du projet de Traité Constitutionnel Européen par les Français et les Néerlandais, puis le rejet du Traité de Lisbonne par les Irlandais.
Les gouvernements mettent en place des politiques d'austérité - inefficaces au demeurant - sous pression des acteurs des marchés financiers et des agences de notations, alors qu'aucun suffrage civique n'est venu valider une telle option. Les gouvernements sont défaits et sont faits sans retour aux urnes car celui-ci est vécu comme un vecteur d'instabilité par les financiers. Le gouvernement d'union nationale en Grèce et le référendum avorté de Papandréou en sont une nouvelle fois une illustration criante, mais également l'installation du gouvernement technique de Mario Monti en Italie.
Il est évident que la zone euro ne peut pas continuer à être gérée sans un minimum de convergence économique, fiscale et sociale. Les écarts entre les Etats membres ne peuvent qu'être - en période de crise - source de tension et d'éclatement. Chacun des Etats seraient également soumis à une violente dégringolade économique si la monnaie unique venait à disparaître ; et l'Union européenne et la zone euro ont l'avantage de peser suffisamment sur l'économie mondiale pour engager une profonde réorganisation des rapports économiques mondiaux (pour peu que les Européens s'accordent dessus) pour qu'on décide non seulement de sauver la monnaie unique mais également d'en faire des outils politiques efficaces pour les Européens et sur la scène mondiale.
Or pour faire face à cet enjeu majeur, nous ne disposons pas aujourd'hui d'acteurs politiques qui prennent la mesure de la situation.
La régression Sarkozy
Alors que l'Union européenne et la zone euro souffrent d'un déficit démocratique majeur, les peuples ne se sentant pas associés à la construction européenne, Nicolas Sarkozy propose de revenir à un fonctionnement inter-gouvernemental, méthode dépassée car les négociations entre gouvernements européens dans un cadre aussi intégré que l'Union européennes ne peuvent prétendre suffisamment à l'onction démocratique nécessaire pour les citoyens européens se sentent engagés par des décisions lourdes de conséquences. Dans nos Etats européens, c'est un fait que l'intégration économique, la monnaie unique et les nombreux transferts de souveraineté ont affaibli les souverainetés nationales. Il n'est plus véritablement possible de revenir sur les transferts de souveraineté déjà engagés sans provoquer un délitement de l'Union et de nos économies respectives. Or si la souveraineté populaire ne trouve pas à s'incarner à l'échelle des décisions européennes, nous agrandirons encore le fossé entre les citoyens et l'Union européenne, et c'est bientôt la construction européenne elle-même qui sera mise en cause. A ce titre, les propositions de Nicolas Sarkozy sont non seulement un recul démocratique, y compris au regard du Traité de Lisbonne, mais également une stratégie suicidaire pour l'Europe.
L'impasse Merkel
Angela Merkel propose une autre impasse pour la construction européenne. Confrontés aux assauts et à la spéculation des marchés, engagés dans des politiques d'austérité inefficaces imposés de l'extérieur, les Etats européens ne sortiront pas de la crise sans un bol d'air financier. Or la Chancelière allemande propose de valider par traité des logiques économiques dangereuses et d'aggraver également le hiatus démocratique européen :
- Elle exige un approfondissement des politiques d'austérité, alors que celles-ci ont déjà démontré leur incapacité à résoudre les crises. Notons au passage que l'Allemagne - du fait d'une situation économique complexe - s'est très longuement abstenue de respecter les critères de Maastricht qu'elle veut ériger en prison de fer pour les Etats européens ;
- elle refuse en soi un changement de statut et de stratégie de la Banque Centrale Européenne, par l'émission des Eurobonds et le rachat direct des dettes souveraines, prétextant des questions de doctrines institutionnelles, mais jouant avant tout sur le "traumatisme" historique de l'hyper inflation allemande de 1923 ;
- elle considère enfin que les Etats qui connaissent des difficultés financières sont laxistes et doivent être soumises à des sanctions juridiques de la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE). C'est une logique institutionnelle purement allemande, de faire primer en toute chose le droit sur la politique quand c'est plutôt l'inverse en France et dans de nombreux autres pays européens (même si nous vivons également et heureusement sous régulation constitutionelle et juridique). Il y a là matière à débat institutionnel entre nous, mais qui n'autorise en rien les insultes et les raccourcis historiques ridicules.
Des solutions existent à gauche
Les acteurs actuels de ce que nous considérons à tort comme un couple ou un moteur franco-allemand doivent donc impérativement être remplacés si nous voulons sortir de l'ornière. Les élections allemandes ne se dérouleront pas avant 2013, mais on peut considérer que le Parti Socialiste français et le SPD allemande avaient entamé sous la direction de Sigmar Gabriel et de Martine Aubry un travail important qui a nourri les propositions alternatives du Parti Socialiste Européen. Les projets de ces différentes organisations politiques peuvent permettre d'envisager des solutions politiques efficaces à l'échelle européenne.
Les Grünnen ont également eu l'occasion d'infléchir une position initiale calquée sur le rigorisme budgétaire de la chancelière allemande sous l'influence d'Europe-Ecologie / Les Verts. Les positions fédéralistes et démocratiques des écologistes européens sont connues ; elles peuvent venir favorablement en appui d'une stratégie sociale-démocrate européenne refondée. En appui seulement, car les écologistes ont tout de même tendance à sous-estimer les logiques nationales.
Les positions de Jean-Luc Mélenchon sont assez floues. Le Parti Communiste Français avait fini par accepter le fait communautaire et commençait à intégrer que les luttes européennes pouvaient avoir des débouchés politiques. Mais l'ancien socialiste a sensiblement glissé d'un combat démocratique commun à une grande partie de la gauche française contre le projet de TCE, à une posture plus "souverainiste" proche de celle de Jean-Pierre Chevènement qui n'est en rien efficace.
Les craintes de François Hollande
La position de François Hollande, candidat du Parti Socialiste et du Parti Radical de Gauche, doit être scrutée avec attention. Il peut porter l'alternance en France dès mai-juin 2012 et ainsi changer une bonne partie des paramètres du débat européen, notamment dans la relation qu'il inventera au moins pendant un an avec Angela Merkel. Martine Aubry lui avait tracé la voie, il a pris sans doute la mesure du dossier en se déplaçant deux semaines de suite à Bruxelles puis à Berlin ; mais François Hollande est aujourd'hui au milieu du gué si ce n'est ambigu.
Il a évidemment raison de fustiger l'aligement de Sarkozy sur les positions économiques de l'Allemagne. Il a également raison de dénoncer la procédure de sanctions économiques contre les Etats sous l'égide de la CJUE proposée par Merkel, comme son aversion contre-productive pour les Eurobonds. Nicolas Sarkozy courant après Angela Merkel, François Hollande pouvait aisément dénoncer l'impuissance du Président sortant, qui prétend à Toulon que Merkel et lui s'accordent sur l'essentiel et se fait désavouer/ridiculiser le lendemain par la Chancelière sur les eurobonds et la CJUE.
Mais François Hollande ne veut pas de nouveau Traité européen. Et là, il y a incohérence. Car sans nouveau traité européen, toutes les interventions de la Banque Centrale Européenne (BCE) sur les marchés pour soutenir la zone euro sont hors traité et de fait illégales. Sans nouveau traité européen, pas d'Eurobonds. Sans nouveau traité, le parlement européen ne peut acquérir de nouvelle prérogative et devenir le véritable représentant de la souveraineté populaire européenne. Sans nouveau traité pas de réel budget européen voté par le parlement européen, avec des recettes propres et une capacité d'emprunt qui permette d'en faire un levier économique. Sans nouveau traité, pas de réforme des statuts de la BCE et donc pas de prise en compte de la croissance et de l'emploi dans son action...
C'est parfaitement contradictoire avec les aspirations des socialistes français. Mais l'explication est psychologique et le candidat la donne dans son interview au Journal du Dimanche daté du 4 décembre : "J’ai à l’esprit l’expérience du Traité constitutionnel européen : des mois et des mois pour être négocié, puis pour être ratifié et autant pour être repoussé."
François Hollande n'a toujours pas digéré son échec de 2004-2005 sur le projet de TCE ; il est marqué par la défaite du OUI et le désaveu que le peuple de gauche avait alors infligé à la majorité des responsables socialistes. Un nouveau traité réveille donc sa crainte de subir une nouvelle fois cette campagne et cet échec. Mais c'est une erreur car cela impliquerait que les Français (et d'autres) ont repoussé les textes de Bruxelles et de Lisbonne par europhobie ou euroscepticisme : ce n'est pas le cas. Il faut présenter aux Européens une stratégie eurovolontariste sans argumentaire eurobéat. François Hollande doit donc prendre pleinement la mesure de la tâche et dépasser ses propres blocages. La gauche en a besoin pour gagner en 2012, les Français et les Européens attendent des solutions, des vraies !
Frédéric Faravel
Secrétaire fédéral du PS Val-d'Oise aux relations extérieures