Sans contestation possible, François Hollande, candidat du Parti Socialiste et du Parti Radical de Gauche, a réussi son entrée en campagne et son discours du Bourget. Devant plus de 20 000 militants et sympathisants, au cœur d'une scénographie inspirée des conventions démocrates (et des congrès de l'UMP sous Nicolas Sarkozy…), le candidat a pris une posture combattive, visant à démontrer son volontarisme et à répondre à une partie de l'électorat de gauche qui s'interrogeait sur son positionnement politique et s'inquiétait de son profil centriste.
François Hollande a donc rassuré par un discours, qui – malgré sa longueur (près d'1h30) – était en fait largement allégé par une bonne dose de storytelling. Pour ceux donc qui craignait le contraire celui veut être le futur président de la République sera bel et bien un président de gauche, de centre gauche certes, et non un président centriste.
Un discours pour rassurer le peuple le gauche
Il y a quelques signes qui ne trompent pas ; bien sûr la presse a fait ses titres sur l'ancrage à gauche du discours du candidat socialiste, mais elle est si modérée habituellement que ce n'est pas forcément sur elle qu'il faut fonder son analyse de la perception extérieure du discours ; de fait, dans la presse, les deux principaux titres critiques de la gauche, L'Humanité et Médiapart, saluent de fait cet ancrage : Michel Guilloux note « un discours de gauche, bien loin des eaux tièdes sociales-libérales d'il y a cinq ans ou du “le politique ne peut pas tout” d'il y a dix ans » et la rédaction de Médiapart – qui pointait la veille encore le programme flou du candidat – titrait « François Hollande s'installe à gauche ».
Le président du Conseil général de Corrèze n'a en vérité pas lésiné sur les symboles, tant dans le vocabulaire que dans certaines des propositions qu'il a avancées, surprenant par la même les médias et son équipe (qui avait annoncé un discours généraliste et non un discours programme). Si l'appel à la mémoire historique de la gauche reste très modérée – évocation consensuelle en République de la Révolution Française et de la Résistance (quant 1936 est presque oublié), et passage obligé par 1981, le seul intellectuel "mobilisé" est Albert Camus –, la volonté d'inscrire la Loi de 1905 dans la constitution (au-delà de l'inscription du simple principe de laïcité) et surtout la dénonciation de la finance et de l'argent-roi démontrent la volonté de François Hollande de s'inscrire dans la filiation d'Aristide Briand et de François Mitterrand.
Deux passages resteront comme les marqueurs de ce discours et de cette volonté de parler à la gauche :
« Dans cette bataille qui s’engage, je vais vous dire qui est mon adversaire, mon véritable adversaire. Il n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa candidature, il ne sera donc pas élu, et pourtant il gouverne. Cet adversaire, c’est le monde de la finance. Sous nos yeux, en vingt ans, la finance a pris le contrôle de l’économie, de la société et même de nos vies. »
« … j’aime les gens, quand d’autres sont fascinés par l’argent. »
Tactiquement donc, le rassemblement du Bourget est une réussite ; il a débordé les critiques de la droite qui ne s'attendait pas à ce qu'il fasse des propositions et il a parlé à la gauche qui ne s'y attendait pas forcément non plus. Sans doute, est-ce l'une des raisons de l'inquiétude croissante dans le camp conservateur, illustrée par l'interview particulièrement hors sol et paniquée d'Henri Guaino, lundi 23 janvier 2012 au matin sur France Inter.
Des innovations, des précisions et … des reculs
Le candidat socialiste a donc aligné des propositions relativement nombreuses qui devraient encore être complétés jeudi en conférence de presse et dans une émission télévisée.
Il s'inscrit dans l'économie générale du projet socialiste – ou de l'accord de majorité parlementaire conclu entre le PS et Europe-Écologie Les Verts – mais s'en écarte à de très nombreuses reprises, soit pour apporter des innovations souvent positives, soit pour opérer des reculs politiques relativement importants.
Revue de détail :
Le discours du candidat reste par contre ambigu sur des points d'importance.
La question sociale est finalement peu traitée et surtout rien n'est dit sur la question salariale ; l'annonce sympathique, faite par le candidat sur la radio publique Le Mouv' lundi 23 janvier 2012, de la création d'une notation sociale des entreprises (revendication de la CFDT) ne vient pas encore – et de loin – compenser ce manque qui devra être précisé – espérons-le – jeudi 26 janvier.
Noël Mamère a depuis dénoncé une autre impasse du discours : l'écologie. C'est vrai que le sujet est assez peu traité (hors la rénovation thermique des logements). Mais surtout le candidat, s'il maintient son engagement de réduire de 75% à 50% la part du nucléaire dans la production d'électricité d'ici 2025, lance une véritable provocation à l'égard des écologistes en revendiquant une industrie nucléaire forte qui inventerait les « technologies et les progrès de demain » (ce qui est en soi relativement contestable).
Mais le flou est assez important sur la construction européenne. Il est évidemment impossible de mettre en cause l'engagement européen du candidat qui redouble d'assaut pour le réaffirmer. Ses propositions s'alignent sur celles du PS et de la gauche en général quant à la demande répétée d'une intervention plus forte de la BCE pour soutenir les États et la création d'Eurobonds. Mais on ne comprend pas très bien ici l'utilité d'un nouveau Traité de l’Élysée avec l'Allemagne quand le candidat aura fort à faire déjà pour renégocier le projet de traité Merkozy. Enfin, le candidat avalise de fait une discipline budgétaire européenne comme moyen de convergence économique des principaux États membres qui ne peut fonctionner si l'Union Européenne n'est elle-même pas un acteur économique et budgétaire de premier plan : il conviendrait ici de réaffirmer la nécessité d'un véritable budget européen, avec des recettes autonomes, la capacité de recourir à l'emprunt ; il faudrait également rompre avec la logique de l'intergouvernementalité qui a échoué et que Merkel et Sarkozy veulent renforcer. Ce n'est pas de gouvernance dont a besoin l'UE mais d'un gouvernement démocratique où le parlement européen serait le fondement de la légitimité politique du Président de la commission. Henri Weber a fait à ce sujet une excellente tribune dans Libération (le 3 janvier 2012) et sans se faire taper sur les doigts [cliquer ici pour lire l'article] ; François Hollande serait bien inspiré de la relire.
Le candidat doit encore répondre à deux enjeux stratégiques
Le premier et le plus évident est de savoir comment un futur président de la République de gauche peut combattre l'adversaire, que François Hollande s'est lui-même fixé «le monde de la finance», en s'étant fixé un plan de charge difficilement réalisable et qui semble être fait pour répondre aux injonctions du système financier néo-libéral : l'objectif de porter à 3 % du PIB le déficit public en 2013 (objectif qu'avait également affiché Martine Aubry, sans que cela soit plus réaliste) puis de rétablir l'équilibre pour la fin du mandat imposera de fait une austérité budgétaire assez contradictoire avec l'ambition affichée par la gauche. On voit mal comment les dépenses nouvelles seraient compensées par des économies nouvelles avec en plus un tel carcan. D'autre part, tout écart sur ce projet serait immédiatement interprété comme un échec par les marchés qui ne manqueraient pas de nous le rappeler. Espérons que le candidat sera amené à réviser une position, que personne à gauche ne lui demande, surtout après la perte du « triple A ».
Enfin, le second enjeu est clairement exprimé par son concurrent de gauche, Jean-Luc Mélenchon : il s'agit du rapport que le candidat entretient avec les partenaires de la gauche. Si Jean-Pierre Chevènement semble déjà préparer son ralliement au candidat socialiste, les différents épisodes de la relation aux écologistes ont complexifié la relation. Le manque évident – et sans doute temporaire – dans les axes du candidat sur la question sociale (salaire, conditions de travail, retraites) et les ambiguïtés vis-à-vis du centre troublent fortement les échanges avec le Front de Gauche, alors même le candidat commun du PCF, du PG, de GU et de la FASE a largement modéré son discours.
ll y a un moment où la question de votre rapport à M. Hollande va se poser, en particulier en vue du second tour…
Vous admettrez que je prépare ce moment avec beaucoup d'énergie. Car ce sera bien différent selon que le Front de gauche fera 5 % ou 15 %. S'il est à 15 %, il va falloir que le PS arrache un paquet de pages de son programme pour coller les nôtres s'il veut convaincre nos électeurs. Est-ce qu'ils pensent qu'ils vont attraper nos électeurs avec ce tract dans lequel ils réduisent la retraite à 60 ans aux seules carrières longues ? Croient-ils les convaincre avec pour seul argument que M. Sarkozy est un agité ? C'est totalement insuffisant. Il faut proposer un contenu radicalement alternatif. Nous le faisons.
Vous pensez donc qu'il y a une stratégie délibérée de la campagne Hollande de ne surtout rien exposer ?
Je ne m'explique pas son comportement. La campagne me paraît très en dessous de tout ce que je connais du mouvement socialiste. C'est quand même une élection majeure ! Si moins de 100 jours avant, ils n'ont toujours rien à dire, c'est qu'il y a un problème. Moi, j'ai fait campagne pour la retraite à 60 ans, les 35 heures, etc. C'est quoi le socialisme pour eux ? Le contrat de génération ? Pour moi, c'est la planification écologique, la VIe République, les conquêtes sociales… En ce sens, je me trouve être aussi un candidat des socialistes.
A vous entendre, vous paraissez inquiet ?
A force, oui. Ils gèrent leurs acquis, sans plus. Et ils se vident de leur sang. Hollande devrait s'en rendre compte ! Si vous regardez les sondages aujourd'hui, le niveau de la gauche face à la droite est très bas : on est à peine à 40 %. La méthode de campagne de François Hollande fragilise la gauche : un programme commun avec les Verts illisible, un refus obstiné de la discussion avec notre mouvance, et une certitude aveuglée qu'il suffira de paraître pour rassembler.
Interview de Jean-Luc Mélenchon pour Lemonde.fr le 21/01/2012
François Hollande a un peu commencé à répondre à Mélenchon ce week-end. Mais il n'est pas possible de donner l'impression que tout sera fait pour ménager le MODEM et l'électorat centriste, c'est-à-dire retirer du programme tout ce qui pourrait sérieusement effaroucher François Bayrou et ses adeptes. On sent d'ailleurs qu'à l'ambiguïté de l'équipe Hollande – ambiguïté renforcée par des déclarations annexes laissant à penser qu'une alliance est possible (ce qui rendrait du même impossible les alliances à gauche), comme l'un des derniers tweets de Bruno Le Roux (ci-dessous) – répond l'ambiguïté de l'équipe de François Bayrou : Marielle de Sarnez le dimanche 22 janvier n'a rien exclu, Jean-Luc Benhamias n'a contesté lundi 23 janvier au matin que la forme du discours du Bourget mais aucune proposition.
C'est aux socialistes de fixer le périmètre de la majorité et non à ceux qui ont toujours fait partie de nos adversaires politiques d'en décicer.
Autant de précisions et de réponses attendues à partir de jeudi prochain.
Frédéric Faravel
Secrétaire fédéral du PS Val-d'Oise aux relations extérieures