L'irruption des lycéens et des étudiants dans la mobilisation sociale et populaire contre la réforme des retraites exigée par Nicolas Sarkozy ne va bientôt plus faire débat. Le changement de stratégie du gouvernement se traduit aujourd'hui par le choix de la violence légale : la recherche de l'incident et la provocation policière sont des techniques assez connues des gouvernements conservateurs pour tenter d'apeurer le bon peuple et pour retrouver le réflexe électoral de juin 1968.
Cependant il faut revenir sur la première tentation du gouvernement et de l'UMP devant les prémisses de mobilisation de la jeunesse : "Jeunes vous n'y connaissez rien, vous seriez irresponsables", "Cette réforme ne vous concerne pas", "Manifester, descendre dans la rue, c'est dangereux", "Vous êtes manipulés par le Olivier Besancenot"... Valérie Pécresse a cherché à ranimer la flamme de cette stratégie de communication en s'inquiétant pour les étudiants de la préparation de leurs examens de la Toussaint : cela fait quelques années que j'ai quitté les bancs de la Fac mais mes amis étudiants ne m'ont pas parlé de cette grande innovation qui se serait révélée après mon départ.
Essayons de répondre point par point à cette stratégie d'infantilisation.
- "Cette réforme ne vous concerne pas" : curieuse injonction alors que durant des mois le gouvernement a expliqué que la réforme était en partie défendue au nom des jeunes générations. Par ailleurs, il apparaît évident que ceux qui entreront dans 5, 10 ou 15 ans sur le marché du travail, rarement avec un CDI, voient avec inquiétude la perspective de cotiser durant 41, 42, 43 ans, pour une retraite à 67 ans et encore non garantie, d'autant que des réformes à venir (si la droite se maintenait au pouvoir) pourraient alourdir la note.
- "Vous n'y connaissais rien, vous seriez irresponsables" : bel exemple d'un gouvernement qui abaisse la majorité pénale à 13 ans, donc pour lequel la responsabilité de l'enfant dans ses actes est établie, et qui dénie aujourd'hui à des lycéens et des étudiants, qui entendent donc parler tous les jours de questions économiques, sociales, politiques, philosophiques, historiques, toute capacité à faire le tri dans les informations - vraies et fausses - qui sont distillés dans les médias ou dans les tracts des uns et des autres. Sans compter qu'il existe des lycéens majeurs, que les étudiants le sont... à ce compte pourquoi ne pas repousser l'âge de la majorité civique à 25 ans ?
- "Vous êtes manipulés par l'extrême gauche" : pour qui connaît les organisations lycéennes - généralement peu fortes en militants durables - et étudiantes, le rapprochement avec le NPA, LO, ou des groupuscules gauchistes, prête franchement à sourire, voir à s'exclaffer. La réalité est plus prosaïque : les jeunes ne sont pas plus cons que leurs aînés ou leurs parents, qui s'opposent à 71% au projet de loi du gouvernement, ils ne sont pas plus dominés ou manipulés par des organisations de gauche radicale ou même modérée qui les couveraient du regard en permanence. Nos jeunes gens lisent, écoutent, surfent : ils sont capables de faire le tri entre un tract distribué par Benjamin Lancar et les Jeunes Pop à la sortie d'un lycée, et ceux diffusés par l'UNL à la sortie du même lycée. Visiblement, les seconds sont plus convaincants que les premiers.
- "Descendre dans la rue, c'est dangereux" : il faut relativiser cette affirmation quand les jeunes rejoignent des cortèges syndicaux unitaires déjà très encadrés par les SO des Confédérations. Le risque existe - il est vrai - quand les cortèges ou les rassemblements de jeunesse sont seuls présents ; on sait tous que des casseurs ont pu ici et là tenter de détourner l'orientation de ces manifestations. Mais cela reste rare. La plupart du temps les lycéens et les étudiants sont pacifiques, et organisent eux-mêmes leur propre SO. La stratégie choisie par le gouvernement d'envoyer des cars de CRS pour "maîtriser" le moindre rassemblement de lycéens ressemblent à cet effet à une provocation et l'irresponsabilité et l'immaturité est bel et bien aujourd'hui du côté du pouvoir.
Nul ne sait aujourd'hui jusqu'où ira la mobilisation des salariés et des jeunes, nul ne sait aujourd'hui s'ils obtiendront satisfaction dans quelques semaines ou après 2012. Mais les jeunes qui aujourd'hui se mobilisent devront se rappeler qu'après avoir chercher à les infantiliser, le pouvoir conservateur a en 3 jours décidé de les brutaliser, considérant que c'était là la meilleure stratégie électorale.
Frédéric Faravel
Secrétaire fédéral du PS Val-d'Oise chargé des relations extérieures